Par Benoit Voyer
18 novembre 2024
Le nombre de chrétiens persécutés connait une progression considérable autour de la planète. La situation est inquiétante. C’est ce que révèle l’Aide à l’Église en détresse (AED) dans son document biennal « Persécutés et oubliés? Rapport sur les chrétiens opprimés pour leur foi 2022-24 ». Dans sa présentation, l'organisme lance un véritable cri du coeur en écrivant que « l'augmentation de la violence religieuse à l'encontre des chrétiens est plus forte que jamais ».
La fondation pontificale a mené une recherche dans 18 pays clés, notamment en Amérique latine et en Extrême-Orient. Les auteurs des persécutions sont parfois des États, des institutions publiques ou des groupes privés, notamment des extrémistes religieux et des groupes criminels.
En plus de montrer l’ampleur du problème, l’étude met au grand jour la diversité des actions contre les croyants: Des arrestations de plus en plus fréquentes sur la base d'accusations de blasphème à l'encontre d'autres religions, la réinstallation forcée ou l'expulsion, la dévastation ou la confiscation des lieux de culte, la conversion et le mariage forcés, l'intimidation et l'enlèvement et la promotion d'informations offensantes et fausses sur les chrétiens.
On voit aussi des cas de double application du droit qui obligent les chrétiens à des restrictions plus importantes que les adeptes d'autres religions ou des lois qui interdisent la conversion au christianisme.
Les auteurs écrivent que la migration des chrétiens et la privation des droits civils « soulèvent des questions quant à la survie à long terme de l'Église dans les régions clés ».
Il souligne que les persécutions les plus difficiles se sont déplacées du Moyen-Orient vers les pays africains. Il est note qu'en Syrie, où il y avait jadis plus de 1,5 million de chrétiens avant 2011, il y en a de nos jours seulement 250 000 et qu'en Irak ils représentent actuellement moins de 0,5 % de la population.
Le rapport contient de nombreux témoignages de victimes. Au fil des ans, j’en ai également entendu plusieurs.
Au Guatemala
Un beau jour de 1980, le père François Lapierre[1], de la Société des prêtres des missions étrangères, trouve sous sa porte une lettre au ton impératif: « Si dans les 48 heures vous n’êtes pas sorti du pays, nous devrons vous supprimer ». Sans tarder, il se rend chez son évêque pour lui demander conseil. Une quinzaine de prêtres viennent d’être tués. Ce sont les semaines les plus sanglantes de la guerre civile qui sévit au Guatemala. Le prélat n’hésite pas un instant et va lui-même le reconduire à la frontière du Honduras ou François Lapierre restera jusqu’en 1983.
« En allant le rencontrer, je me disais: si j’ai des indications claires que je dois rester, je vais rester! » se soutient-il.
C’est en 1979 qu’il arrive avec une équipe de prêtres et de laïcs au Guatemala pour y travailler. Le Guatemala vit une guerre civile très importante. L’expérience est très difficile pour ces personnes installées dans la région ou il y a un affrontement entre l’armée et la guérilla révolutionnaire qui combat le régime établi. Raoul Léger, un Acadien faisant partie du groupe de Canadiens, y a même laissé sa peau. Son exécution marquera à jamais la vie de François Lapierre.
Lors des funérailles de Mgr Juan José Gerardi, qui sera aussi assassiné à cause de son implication dans la réalité des droits humains, il repensera beaucoup à son ami Raoul : « Je me suis rappelé notre expérience au Guatemala. Il y a eu des centaines de milliers de personnes qui ont été torturées, tuées ou déplacées »
François Lapierre deviendra évêque du diocèse catholique de Saint-Hyacinthe, au Québec, de 1998 à 2017.
Au Soudan
Les chrétiens n’ont pas la vie facile au Soudan. Le problème ne date pas d’hier.
Le 7 août 1999, tard en soirée, le père Gilles Poirier[2], 57 ans, de la Société des prêtres des missions étrangères, descend de l’avion ou l’a fait monter, quelques heures plus tôt, le gouvernement du Soudan afin de l’expulser de son pays. Dans les couloirs de l’aéroport de Dorval, il est calme malgré la grande souffrance intérieure que viennent de lui infliger les dirigeants soudanais qui cherchent à restreindre toutes actions de l’Église catholique en terre soudanaise passée sous régime islamique.
L’ordre de partir arrive le 17 juillet 1999. Pendant trois semaines, il tente tout – avec l’avocat du diocèse où il habite – pour connaître les raisons qui poussent le gouvernement à l’expulser. Il va jusqu’à visiter les ministères un a un, sans jamais officiellement recevoir de réponse.
« Le motif, ils ne me l’ont jamais dit. J’ai été au ministère de l’immigration et ils ont exigé que je quitte le pays. J’ai demandé quelles étaient les raisons de mon expulsion. Ils m’ont dit: “Nous, on est sous des ordres que nous exécutons. Nous ne savons pas les raisons”. J’ai demandé ou je pourrais aller m’informer. Ils m’ont envoyé à la Sécurité d’État du ministère des Affaires sociales qui inclut les affaires religieuses. C’est à ce moment qu’a commencé mon pèlerinage d’un bureau à l’autre. Cela n’a pas donné de résultats », me racontait-il au printemps 2000 dans un entretien pour la Revue Sainte Anne.
Le 7 aout, il doit quitter le pays sous peine d’emprisonnement. Comme convenu, il se rend à l’Immigration. Des fonctionnaires soudanais l’escortent à l’aéroport pour s’assurer de son départ. Ce n’est qu’une fois à bord de l’avion qu’ils lui remettent son passeport: « On ne m’a jamais dit les motifs, sauf que nous savons à la longue! Le gouvernement avait payé un informateur qui vivait dans notre communauté chrétienne. On lui a donné quelques sous en échange de renseignements... ».
Dans ce coin du Soudan, les missionnaires catholiques s’occupent de petits projets de développement. Les femmes y tiennent notamment un petit commerce pour apporter un peu de pain à la maison, le salaire des maris ne suffisant pas aux besoins de leurs familles.
Le père Gilles Poirier ajoutait: « Un nouveau projet que nous voulions établir voulait être un apport pour l’Église afin de permettre à un prêtre soudanais qui arrive pour nous remplacer d’avoir des possibilités financières pour continuer les œuvres. Nous avions des machines à moudre le grain dans un secteur, des restaurants dans deux secteurs et un petit magasin dans un autre coin. Un des hommes les plus engagés de l’Église locale ne payait pas ses engagements. Il n’apportait rien! Avec le temps, on a dû sévir. Par esprit de vengeance, il m’a dénoncé au gouvernement sous de faux prétextes.»
Les gens du village connaissent cette histoire. C’est d’eux que les vraies raisons sont venues. Habituellement, c’est le silence sur les situations d’expulsion dans ce pays, mais cette fois, ce ne fut pas le cas à cause de la pression de l’Église. Le lendemain du départ de Gilles Poirier, l’affaire faisait la manchette des journaux soudanais, à la surprise du gouvernement. Celui-ci a répondu aux journalistes que le religieux a semé la haine entre les chrétiens et les musulmans, qu’il a fait de la corruption en donnant beaucoup d’argent - surtout aux étudiants afin d’alimenter la haine – et qu’il a été expulsé de plusieurs pays. Rapidement, le gouvernement a nié cette déclaration: « Nous n’avons pas dit cela! »
« On m’a confirmé, lors des derniers échanges, que je serais réintégré. Cependant, je ne projette pas retourner immédiatement parce qu’il y a trop de douleurs et de conflits dans la paroisse ou j’étais. Je ne suis pas assuré que mon retour soit une bonne chose pour l’instant », me confiait le prêtre des missions étrangères.
Mercredi rouge
Le 20 novembre, tous sont invités à avoir une pensée particulière pour les chrétiens persécutés. Le « Mercredi Rouge » a pour objectif de rappeler que beaucoup de chrétiens vivent dans des régions ou des pays où ils sont persécutés ou que d’autres minorités le sont.
____________________________________________________[1] Benoit Voyer. Les Témoins de l’essentiel, Éditions Logiques, 1998;
[2] Benoit Voyer. Les Témoins de l’essentiel, Éditions Logiques, 1998.