En ce 21 avril 2025

Sur le vif a Montréal

 

Sur le vif a Montréal en septembre 1986

Saisi de drogue a Granby

 

Saisi de drogue au 350, rue Simond Sud, a Granby, le 26 septembre 1986

Léon-Pierre Éthier


Léon-Pierre Éthier

Né le 28 mars 1936 (fils de Marie-Ange Lajeunesse et Éloi Éthier), Léon-Pierre Éthier nous a quittés le 12 décembre 2001, à l’Hôpital Saint-Luc, à Montréal. Il est inhumé dans le lot 04463 (section L) du Cimetière Notre-Dame-des-Neiges, à Montréal. Il a été un pionnier dans l’accompagnement spirituel en phase terminale des sidéens.

Article paru en juillet 1998

Du sida du corps au sida de l’âme

A la demande de son médecin, Léon-Pierre Éthier vit maintenant retiré. Depuis quelques semaines, il a laissé son travail auprès des sidéens. Son apostolat missionnaire a été considérable, se concrétisant entre autres dans l’accompagnement spirituel des sidéens en phase terminale. Au moment d’entrer en réclusion, Léon-Pierre Éthier, ce modèle a imiter, a accepté de raconter son itinéraire.

Pauvre parmi les pauvres. Rejeté parmi les rejetés. Voici la vie de Léon-Pierre Éthier.

Pendant neuf ans, il s’est occupé des sidéens a l’approche de la mort, en plein centre-ville de Montréal. La maladie n’était guère sa principale préoccupation. Alors que la recherche médicale s’active afin de trouver des médicaments pour améliorer l’état physique des malades, Léon-Pierre Éthier s’adresse à leur âme. Il présente « Jésus modèle de la route à suivre » aux sidéens et les accompagne spirituellement de la vie a la mort physique, et de la mort physique a la vie après la vie, au royaume des bienheureux du ciel.

Il est l’un des rares à aborder les sidéens avec le thème de la spiritualité, ce qui n’est guère à la mode au Québec. D’ailleurs, parmi des centaines de titres traitant du sida conservés à la Bibliothèque nationale du Québec, qui possède la plus importante collection de livres édités dans la belle province, aucun ne traite d’une approche spirituelle.

Tu vas attraper le sida!
« C’était un soir, il y avait des funérailles pour un sidéen. Les cendres étaient sur la table. Au baiser de paix, il y avait là un bonhomme qui avait l’air d’un cure-dent. Je me suis senti attiré par lui, alors que nous étions plus de 80 ans cette grande salle. Au moins 50 étaient porteurs du virus. J’ai été vers lui. Je l’ai pris dans mes bras. Je lui ai souhaité la paix de Jésus. Je l’ai embrassé et j’ai entendu à l’arrière de moi : « Attention, Tu vas attraper le sida! » Comme je venais de l’embrasser sur les deux joues – il avait plein d’herpès et de sans dans la figure -, je l’ai embrassé encore une fois sur la joue. Je lui ai dit : « Je t’aime et Jésus t’aime encore plus que moi ». Il m’a fait un beau sourire… Lorsque je suis dans la tristesse, je pense à lui et tout disparait. Ce jour-là, j’ai vu en lui la sainte face de Jésus », raconte Léon-Pierre qui, depuis cet incident n’a plus peur des sidéens et du sida.

Durant ses années de dévouement, il accompagne 610 malades. Une vingtaine d’entre eux meurent dans ses bras. Cela peut sembler héroïque, mais il ne faut pas croire que cela a été facile à vivre pour lui.

Daniel, qui a rendu l’âme le 4 décembre 1988, est de ce nombre. Léon-Pierre Éthier s’en souvient comme si c’était hier. Longtemps, le malheureux malade a hanté ses rêves. Aujourd’hui, l’accompagnateur a la certitude qu’il est en paix.

Il y a aussi Denis. Son histoire est unique. « Le père de Denis n’acceptait pas que son fils soit homosexuel », poursuit l’homme de 62 ans au verbe facile. « Il est venu le visiter quatre fois avant sa mort. Après son décès, il m’a dit : « Je veux mourir comme mon gars ». « Tu veux mourir comme une tapette !? », lui ai-je demandé. Il m’a répondu : « Oui! » Cet homme a été rejoint par les attitudes de son fils. Au moment de sa mort, Denis disait : « Je tiens la main de mon chum. Il est tellement beau, mon Jésus… » Lorsque son père venait le voir, il répétait les mêmes paroles : « Tais-toi papa, je tiens la main de mon chum… qu’il est beau!... Qu’il est beau... » Deux semaines avant de mourir, Denis s’est confessé et a assisté à la messe. »

Ghislain Robert est celui qui a le plus marqué sa vie. Il en parle comme un père parle de son fils. « J’ai vécu avec lui une profondeur spirituelle que je n’ai jamais vécue avec un autre sidéen. » Ce chic homme qui a été la victime d’un pédophile a l’âge de 9 ans – un ami de la famille – a souvent suivi Léon-Pierre Éthier dans ses tournées d’un bout a l’autre du Québec. Il parlait de sa maladie, de sa vie et de la foi en Dieu qui l’habitait. « Pendant 3 ans, j’ai visité 45 000 jeunes dans les écoles secondaires. Quatre mille m’ont écrit à peu près la même chose : si tu es venu juste pour moi, tu m’as sauvé… Je vais suivre tes conseils. Dernièrement, j’ai refusé l’invitation de 51 écoles parce que je suis malade. J’ai des pierres aux reins », dit-il, fier de son exploit et déçu de ne pouvoir y donner suite.

Le sida, l’affaire de tous
Pour Léon-Pierre Éthier, le sida n’est pas seulement l’affaire des homosexuels et des plus pauvres de la société. Toutes les classes sociales sont touchées. Mais les gens ont honte de cette maladie et les décès par cause du sida sont souvent annoncés sous le couvert du cancer ou d’autres maladies.

« Condom du fun »
Le condom protège un peu des infections, mais n’empêche pas toujours la contamination des partenaires sexuels. Le latex contient de très petits trous : trop petits pour laisser passer les spermatozoïdes, mais assez grands pour laisser passer le virus du sida.

Le meilleur moyen de ne pas attraper le virus est l’abstinence, bien sûr. Beaucoup prônent aussi une meilleure éducation sexuelle comme protection. Mais on se trompe : ce n’est pas d’une éducation sexuelle que les jeunes ont besoin, mais d’une éducation a l’amour. Aimer, c’est savoir attendre l’autre. Néanmoins, pour les aventures compulsives, deux épaisseurs de latex valent encore mieux que rien.

Enfance
Léon-Pierre Éthier est né dans une famille de 13 enfants. Il a connu une enfance difficile : son père était alcoolique, très intransigeant, qui faisait souvent pleurer sa mère.

Comme tous les membres de sa famille, a 15 ans, il « bummait » dans les rues de Montréal. Pendant 3 ans, il a mené une vraie vie de clochard.

Il confie : « Il y a 45 ans, lorsqu’on bummait, on avait pitié de nous autres : c’est un mendiant, un petit de la rue, c’est un pauvre! Alors on nous accueillait, on nous gardait dans une petite chambre pour dormir l’hiver. L’été nous couchions dehors. J’aimais bien fouiner d’un bord a l’autre, à me déniaiser… C’est comme ça que j’ai visité une partie de la province de 15 à 18 ans. J’étais un clochard, un bum… Pis j’aimais ça! J’étais bien dans ça! »

Vie en communauté
Heureusement, son cas n’était pas désespéré. En 1954, il entre en communauté. Il avait 18 ans. Huit ans plus tard, juste avant de prononcer ses vœux, il quitte la congrégation. « En arrivant chez moi, mon père m’a dit : « Tu es défroqué! Tu es le déshonneur de la famille! Retourne donc dans la rue! » Léon-Pierre passe encore six mois à la rue, à vagabonder.

En novembre 1962, il est décidé à se suicider, mais le hasard allait changer son plan. « J’entre dans une église. Il y avait là un prêtre qui prêchait. Il m’a touché. Après la cérémonie, je suis allé le rencontrer. Il m’a fait entrer dans son groupe religieux. Mais… Je trouvais ça trop riche. Alors il m’a dit : « Je vais t’envoyer dans une communauté qui ramasse n’importe quoi ». Si au moins il m’avait dit… n’importe qui! J’y suis entré et demeuré pendant 14 ans. C’était une congrégation semi-contemplative. »

Diaspora
Après des années passées dans cette congrégation, il la quitte dans le but de devenir diacre permanent dans un diocèse ou l’évêque désire ses services. Le berger diocésain l’aide afin qu’il soit relevé de ses vœux perpétuels. Après quelques mois de formation universitaire, l’évêque meurt… Son projet tombe à l’eau. Cependant, il deviendra agent de pastorale. Pendant huit ans, il s’occupera des clochards, des pauvres de la Saint-Vincent-de-Paul et des jeunes de la rue. Durant ces années, il passe également 6 mois en France, a l’Arche de Jean Vanier.

En 1980, a la mort de la deuxième épouse de son père (sa mère est décédée en 1974), il décide volontairement de retourner vivre dans la rue. Il se donne doux mois a temps plein pour toucher du doigt les souffrances morales des jeunes de la rue. Mais la vie de clochard n’offre plus le même confort ni la même joie de vivre que dans sa jeunesse. Les problèmes sociaux ne sont plus les mêmes après tant d’années.

En 1981, il commence une série d’expérience : trois mois à la Famille Myriam Beth’léem à Baie-Comeau, trois mois à Hauterive au service de la prévention du suicide, trois mois a la Trappe de Mistassini, trois mois à Sutton avec les alcooliques et un séjour un peu plus prolongé au monastère des Trinitaires à Granby ou il travaille auprès du père Jean-Paul Regimbal. Il revient finalement à Montréal pour s’occuper des jeunes de la rue, jusqu’au jour où il fonde une fraternité pour les sidéens,

Un vrai « bum »
« Je suis un vrai bum! Bummer est une vocation spéciale! On a la liberté! On n’a pas un dollar dans les poches, mais on a tout! » lance-t-il avec élan.

Aux hommes? Aux femmes?
La question de l’orientation sexuelle d’une personne est toujours délicate à aborder. Léon-Pierre Éthier, lui, n’hésite pas l’ombre d’un instant à dire sa préférence pour la gent féminine.

Longuement, il parle des deux femmes qu’il a profondément aimés. A 17 ans, il a connu une étudiante en soins infirmiers qui a été envoyée de Montréal à Québec chez une tante puisque ses parents s’objectaient a cette relation. A 26 ans, a sa sortie de communauté, il a aimé une jeune fille dont le père était avocat. Encore une fois, a cause de la famille de la jeune fille qui ne voulait guère du jeune Léon-Pierre dans le clan familial parce qu’il n’était pas du même rang social, l’histoire amoureuse prend fin. La première s’est finalement mariée. Il n’a jamais eu de nouvelles de la seconde (lorsqu’il parle de cette dernière, ses yeux et sa voix s’emplissent d’émotions). Il a visiblement encore plein de tendresse pour elle.

Des saints sidéens
« Il faut faire cheminer les âmes vers Dieu. Le Seigneur a mis dans mon cœur que ces malades ont plus besoin de la lumière éternelle que de simples soins du corps. C’est vrai qu’il faut les soigner physiquement, mais le soutien moral est très important pour ces personnes qui bien souvent ont été délaissées, mises de côté a 15-18 ans et qui ont dû cheminer dans une voie qui n’était pas celle qu’ils désiraient pour gagner un repas ou un coucher le soir », explique-t-il.

Il conclut : « A travers tous mes amis, les malades du sida, je découvre Jésus. Je découvre un Jésus à l’agonie quand ils apprennent qu’ils sont porteurs du virus du sida; je découvre un Jésus crucifié lorsqu’ils avancent dans leur maladie; et je découvre un Jésus ressuscité au moment de leur départ vers le Père et qu’ils me disent : « Tu sais, j’embrasserai Jésus pour toi! » Ce qu’ils attendent de nous, c’est un regard de tendresse et d’amour ».


Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 65 à 71. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).