En ce 6 avril 2025

Le bottin téléphonique en 1986

Raymond Beaugrand-Champagne


Raymond Beaugrand-Champagne

Raymond Beaugrand-Champagne est un retraité de la Société Radio-Canada. Il a été réalisateur à la télévision. Par la suite, il a animé, pendant quelques années, l'émission Rencontre spirituelle à l'antenne de Radio Ville-Marie, qu'il est possible de réécouter sur le site www.dieu-parmi-nous.com. Il collabore au Nouvel informateur catholique (NIC) et donne des conférences sur les Croisades, l'Inquisition, l'Eucharistie et nombre d'autres sujets.

Article paru en septembre 1999.

Notre société a besoin de témoins et de saints

«Souvent, quand je rentre de la cathédrale, le samedi soir, j'ai l'impression que le Christ doit pleurer en voyant ce que j'aperçois, rue Sainte-Catherine. C'est comme si je l'entendais gémir», dit Raymond Beaugrand-Champagne. «Je vois tous ces gens, semblables à des fourmis que l'on aperçoit lorsque nous soulevons une grosse pierre. Ils s'en vont dans toutes les directions. Et on ne sait pas où ils vont, ni vers quoi ils vont. Les gens semblent ne pas le savoir! Plusieurs ne font que passer le temps de façon insignifiante, alors qu'il y avait la cathédrale qui les appelait à l'Eucharistie... Les gens ne savent même plus, bien que catholiques, que les choses les plus admirables se déroulent dans les églises! »

« L'amour n'est pas aimé », s'écriait saint François d'Assise. Comment peut-on vivre à ce point dans le vide, l'impiété, l'hypersexualité et le matérialisme? Est-il possible que la société continue ainsi sa course sans se rendre compte? On constate heureusement que la nausée s'empare de plus en plus des gens. La nausée peut sans doute conduire parfois au suicide, à l'alcoolisme, à la toxicomanie, à la violence et à la dégradation de l'être humain. Or, il faut crier à l'urgence! Il faut que des témoins de la foi se lèvent pour clamer leur joie de vivre. Il faut surtout des témoins vivants des valeurs de l'Évangile, des témoins pleinement engagés jusqu'à la plus petite fibre de leur être.

C'est pour cela que ce Montréalais qui habite à deux pas du Musée des beaux-arts de Montréal, rue Sherbrooke, consacre sa retraite à tenter de donner le goût de vivre dans l'intimité de Dieu. Il s'inspire des saints pour propager son message à la radio. Ces témoins vivants de la présence de Dieu parmi nous sont des modèles inspirants à imiter.

C'est son espérance en l'avenir qui le fait demeurer positif au creux de cette crise de la foi que les Québécois traversent: «On vivra bientôt un grand renouveau. Nous allons voir des choses sublimes qui vont surgir dans une Église réduite. Il y aura sans doute beaucoup moins de monde dans les églises, mais ce sera une Église qui rayonnera dans sa charité de façon phénoménale.

Il y aura de plus en plus de saints!» Une génération de nouveaux bienheureux est en train de naître au Québec.

Prendre la parole
Je ne m'attendais jamais à prendre la parole à la radio au nom de ma foi. Cela s'est présenté à l'ouverture de Radio Ville-Marie. À quelques jours d'avis, le vendredi, je reçois un coup de téléphone de René Barbin, fondateur de la station et directeur de la programmation. Il me demande d'animer une émission d'une heure, le lundi suivant, parce qu'il n'y avait personne d'assigné de 11 h à midi. «On voudrait quelqu'un qui parlera cinq jours par semaine de la vie des saints», m'a-t-il dit. J'ai aussitôt accepté. J'ai donc débuté le 1er mai 1995, jour de l'ouverture de la station», raconte-t-il.

Néanmoins, Raymond Beaugrand-Champagne a une passion pour la Parole de Dieu depuis sa petite enfance. Celle-ci fait partie de l'héritage laissé par sa mère. Il se souvient des visites à l'église en sa compagnie, alors qu'il avait à peine quatre ou cinq ans.

Il s'intéresse tôt à l'enseignement religieux. Il fait sa première communion à six ans et devient rapidement servant de messes à l'église Sainte-Madeleine d'Outremont. Vers l'âge de 12 ans, il rêve déjà de devenir moine et d'entrer à l'Abbaye Saint-Benoît-du-Lac, mais il doit attendre ses 18 ans pour réaliser son désir. Au collège, il est bon premier en apologétique, en religion et en français. «Je n'aspirais qu'à me donner à Dieu!»

Mais la Providence voulait qu'il soit ailleurs. Il doit quitter l'ordre des Bénédictins à 20 ans et terminer ses études en obtenant une licence en philosophie à l'Université de Montréal. N'ayant pu trouver un monastère en France qui ne soit pas glacial en hiver, il devient bibliothécaire au Grand Séminaire. En 1956, il entre à Radio-Canada comme chef de comités de lecture au Service des textes, et passe, en 1960, au secteur des émissions religieuses de Radio-Canada en tant que réalisateur. Il travaillera sur de nombreux projets dont la série Rencontres qu'il réalisera de 1970 à 1990. Cette série lui a permis de présenter 750 interviews avec les grands témoins de la foi de notre siècle à travers le monde. «J’ai rencontré des saints vivants!», dit-il le regard rempli de lumière.

Un saint marquant
Durant cette série, il sera particulièrement marqué par le père Jean Tyszkiewicz, ermite élu abbé cistercien d'Aiguebelle, en France, de 1977 à 1983. Cet homme, né le 23 février 1917 et décédé le 17 octobre 1986 à la suite d'un cancer, avait un véritable don pour scruter les cœurs.

«Ce Polonais a vécu une expérience tragique! Il a été capturé à 20 ans par les Russes qui l'ont amené dans une prison près de Moscou. Il a été traduit devant un peloton d'exécution à 4 h du matin. Comme il était d'une très grande famille qui possédait autrefois de riches possessions en Pologne et en Russie, c'était délicat! Au lieu de donner le signal "Feu", le commandant crie "À demain!". Le peloton d'exécution répète cela le lendemain. Subir un tel drame à 20 ans l'a marqué pour la vie! C'est étonnant qu'il n'en ait pas perdu la raison!» dit-il.

La guerre terminée, le père Jean aboutit à Paris avec sa famille très fortunée. Il se lance dans le commerce. Un jour, à 36 ans, il part pour l'Algérie avec une femme, sa voiture et des amis... Un soir de voyage, alors qu'il a bu, il lance: «J'en ai assez de cette vie! Demain, je vais entrer à la Trappe pour me faire moine!» Comme il l'avait dit, il entre dans l'ordre des Cisterciens de la stricte observance en Algérie, au monastère où ont malheureusement été assassinés par des islamistes sept Trappistes, il y a quelques mois.

«Cette expérience qu'il me racontait m'a fasciné. Ce moine heureux avait un tel regard! Je voyais devant moi un homme arraché au péché... Il était tellement rayonnant qu'il avait le don de recevoir à Aiguebelle de nombreux prêtres des diverses régions de la France. Ils venaient parler à ce Trappiste pour lui confier leurs difficultés et souvent leur désir de quitter la prêtrise. Ils repartaient les larmes aux yeux, consolés et plus décidés que jamais à demeurer fidèles! Il avait le don de poser des questions tout doucement, de scruter ses interlocuteurs. Il l'a d'ailleurs fait dans les entrevues qu'il nous a accordées! Ses réponses se transformaient parfois en question! Il scrutait l'interviewer, l'abbé Marcel Brisebois. Mon confrère de travail s'est même senti obligé après l'interview de lui dire: «Je suis moi-même prêtre! Je suis même aumônier chez des Clarisses au Québec!» Cet homme m'a saisi du fait d'être si habité par Dieu, un peu comme petite sœur Annie que nous avons interviewée à Rome. Elle respirait la présence de Dieu!» ajoute Raymond Beaugrand-Champagne.

Le frère André Barbeau, successeur du père Jean à l'Abbaye d'Aiguebelle se souvient: «Ces émissions de Radio-Canada, diffusées, si ma mémoire est bonne, dans le cadre de la série Rencontres, m'avaient aussi beaucoup impressionné à l'époque. Québécois d'origine, j'étais alors jeune moine à l'Abbaye cistercienne Notre-Dame-du-Lac (La Trappe d'Oka), près de Montréal, et j'étais bien loin de me douter qu'un jour je succéderais comme abbé à cet homme remarquable que je n'ai malheureusement pas connu de son vivant», m'écrivait-il dans un courriel.


Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp.187 à 191. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).

Psaume 150