En ce 9 avril 2025

Autoroute des Cantons-de-l'Est, le 8 mai 2024

Louis Rousseau


Louis Rousseau

Louis Rousseau est professeur au Département des sciences religieuses de l'Université du Québec à Montréal, depuis 1969, et professeur titulaire depuis 1982. Même s'il en est à ses dernières années de travail à l'UQAM, il ne se prépare pas encore à prendre sa retraite dans l'immédiat. Il y verra à 70 ans, peut-être! Il est passé à la phase « conseil » de sa vie professionnelle, refusant maintenant les lourdes charges administratives.

En 1973, il obtenait un doctorat en sciences religieuses de l'Université de Montréal. Depuis cette époque, il a écrit un très grand nombre d'articles et a collaboré à plusieurs livres. Il a aussi écrit Le bas clergé catholique au dix-neuvième siècle: Approche comparative d'une population pastorale en voie de changement (Groupe de recherche en sciences de la religion, 1995). En 1994, avec Stéphane Baillargeon, journaliste au quotidien Le Devoir, il a réalisé une série d'entrevues qui forment le livre Entretiens avec Louis Rousseau Religion et modernité au Québec (Liber, 1994).

Enfin, il est bien fier de ce que devient son fils Karel, 9 ans, Quand il parle de lui, ses yeux brillent.

Article paru en mai 2001.

« Il faut favoriser des avenues vers la maturité spirituelle »

Ce matin, le professeur Louis Rousseau arrive à son bureau de l'Université du Québec à Montréal (UQAM) embarrassé, gêné, mal à l'aise... « Excusez-moi, j'ai encore pris deux rendez-vous en même temps! » Le journaliste venu le rencontrer, qui trouve la situation fort amusante, rassure l'homme: « Ne vous inquiétez pas, je vous attends le temps qu'il faut! »

Elle n'est pas facile, la besogne de directeur des études de premier cycle en religiologie de l'UQAM en cette période difficile. Au moment de la rencontre, les émotions du spécialiste des phénomènes religieux, un des plus prestigieux au Canada, sont à leur sommet.

En 2001, il cosigne avec une brochette de personnalités, dont Mgr Bertrand Blanchet, évêque catholique romain de Rimouski et membre du comité épiscopal de l'éducation, une lettre ouverte portant sur « La religion et la morale à l'école réduites au statut de micromatières ».

Avec des collègues, il demande au ministre de l'Éducation du Québec, François Legault, « qu’il reconsidère sa décision quant au temps accordé en ce domaine pour être fidèle à ses propres orientations et répondre aux besoins des jeunes du Québec en cette matière [...] Les élèves ont besoin d'un temps propice à la réflexion sur le sens de la vie, la recherche éthique, la compréhension de différentes visions du monde, la recherche de la vie bonne et de leur action dans le monde. La réduction envisagée du temps d'enseignement rend cela impossible ».

« Allez! Entrez ! » lance-t-il une heure plus tard. La porte se ferme sur le monde extérieur et s'ouvre sur son univers secret. Les mystères de la sagesse et les convictions de cet homme vont se révéler. Son regard espiègle et son sourire paternel révèlent une riche personnalité. Ses cours, dont ceux d'initiation à la morale et à la religion et sur les religions amérindiennes, font les délices de ses étudiants.

Lorsque le petit fait une crise...
Le religiologue Louis Rousseau, né en 1939 au sein d'une famille ouvrière, ne passe pas par quatre chemins pour parler de la crise du christianisme en Occident: « Il faut être honnête: une des crises majeures de l'Église du Québec est l'anti-intellectualisme des responsables ecclésiaux ».

Il a un très grand respect de la tradition catholique, mais l'ancien Dominicain ne peut se taire, particulièrement en ce temps de crise sévère. Il exprime ses observations et ses commentaires, afin de lancer des pistes sérieuses pour qu'elle sorte de son marasme. Il dérange comme un prophète, et l'avenir saura fort probablement lui donner raison sur plusieurs points.

Il ne veut guère critiquer pour critiquer. Il souhaite seulement que le christianisme retrouve ses lettres de noblesse. Ses opinions, qui se veulent constructives, méritent d'être écoutées et considérées. Son expérience, riche de quarante ans de réflexion, est sérieuse. Il parle en connaisseur et en homme de foi.

L'anti-intellectualisme infantilisant

Selon Rousseau, la principale cause du désastre ecclésial tient à l'anti-intellectualisme des pasteurs chrétiens.

« Les théologiens du Québec étaient parmi les plus avant-gardistes et les plus stimulants dans les années 1960. Nous avions une grande race de spécialistes. Or, pour gérer le problème du célibat - qui n'a pas grand-chose à voir avec l'interprétation de la foi (!) -, l'Église catholique a fait disparaître pratiquement une génération de ses meilleurs théologiens», dit-il.

Pour faire une caricature de la situation, les bergers ont reçu la seule consigne d'être sympathiques. « Faites de la dynamique de groupe et ça va marcher (!) », leur a-t-on dit. L'érudit est direct sur ce point: « Le christianisme, ce n'est pas seulement être copains! La pensée jovialiste - Soyez heureux, pensez positif! - est bien meilleure en la matière. » Après tout, les fidèles ne sont pas des moutons!

Il regrette que les membres du clergé ne soient pas davantage incités à la lecture: « Plusieurs laïcs sont bien plus poussés en termes de culture. » Il trouve cette paresse intellectuelle lourde à porter. Les civils questionnent... Les prêtres sont incapables de répondre. « Le laïc se lasse et il se dit: "Puisque c'est comme ça, je reviendrai l'an prochain!" Et comme il y a plein de choses à faire dans la vie, il ne revient pas! », dit le professionnel attristé.

La crise: il y a de quoi pleurer!
Bien qu'il soit un élément central, il n'y a pas que l'anti-intellectualisme qui est à la source du problème. La crise du christianisme en Occident est multicausale. Devant la complexité du casse-tête, il y a de quoi pleurer!

Il y a aussi le problème du message et de son interprétation. Il parvient difficilement à s'adapter au contexte social où il est diffusé. Le résultat saute aux yeux: l'Évangile ne rejoint plus la masse. Il faudrait que ce qui est communiqué parvienne à toucher les personnes qui ne croient pas ce message annonciateur de la libération et qui donne un sens à la vie », ajoute-t-il. Selon lui, il faut trouver une nouvelle manière d'en parler afin qu'il devienne une bonne nouvelle.

Pour arriver à une adaptation, un travail théologique doit préalablement être réalisé. Les schèmes philosophique et théologique qui ont été développés depuis la civilisation grecque (pendant environ 1500 ans) n'ont plus de sens. Nous ne pouvons plus parler de la même manière. Le travail de traduction des images bibliques en langage moderne est urgent. « Il faut une traduction de la tradition dans des termes de référence qui sont significatifs pour le monde contemporain. » Cependant, pour cela, il faut que cessent l'anti-intellectualisme et le cloisonnement des pensées.

Enfin, il y a la question paralysante de la morale. En sachant qu'il provoque les esprits conservateurs, Louis Rousseau ose dire tout haut ce qu'il croit: « Le message de l'Évangile est attirant. Il n'y a pas de doute sur ce point. C'est le traitement de l'interprétation des textes fondamentaux en langage contemporain qui fait scandale, particulièrement en matière de morale. »

Lorsque tu seras grand...
Il faut donner les moyens à chaque personne d'entrer dans un univers religieux adulte. Pour cela, il faut favoriser des avenues vers la maturité spirituelle. L'aventure intérieure est la voie favorite de cet expert des religions.

« L'expérience de la rencontre de Dieu peut être développée dans une démarche hautement individuelle. Il faut initier les gens à la vie spirituelle. Pourquoi ne pas créer des écoles d'apprentissage à la méditation dans la pure tradition de la lectio Divina? Cela ne coûte pas cher de s'imbiber de la symbolique biblique! » suggère le spécialiste qui n'a jamais été consulté par le clergé catholique en 30 ans de pratique.

Il n'est pas nécessaire d'aller en Orient pour trouver des centres de formation à la méditation. L'expérience monastique a un enseignement riche à révéler. La mystique occidentale n'a rien à envier aux autres voies spirituelles. Tout est affaire de mise en marché. « Une spiritualité est précisément ce qui donne du souffle, ce qui permet de recueillir toutes ses énergies, encore et toujours », disait Mgr Bertrand Blanchet, archevêque de Rimouski, en 1992. C'est la nouvelle respiration que rêve Louis Rousseau pour le christianisme d'ici.

Pour l'avenir, il faut développer l'expérience spirituelle individuelle et réinventer des rituels destinés à la famille et au cercle d'amis. Ce sera la naissance d'une nouvelle forme de communautés de base. Ces rites feront revivre une tradition vivante afin de se souvenir que le cheminement humain se situe dans l'axe « passé-avenir » de la communauté et de la tradition. En réinterprétant l'héritage des ancêtres, il y a de l'espoir pour « un demain » de la foi chrétienne en Occident.

Il lance aussi l'idée, comme dans le rapport Risquer l'avenir, d'une Église volontaire où les nouveaux membres demanderaient d'être admis à l'âge adulte et où la communauté lieu de croissance de la foi. Louis Rousseau croit qu'il faut redéfinir l'Église comme étant le lieu d'une communauté d’appartenance libre et volontaire d'une foi adulte.

Dominicain un jour, Dominicain toujours
Le professeur Rousseau parle peu de lui, mais lorsqu'il se laisse aller, il est touchant. Il faut avoir été touché intérieurement par la rencontre de quelqu'un de bien spécial pour être habité par ce feu pacifiant qu'il y a en lui. Cela ne peut être qu'une expérience spirituelle intense.

Sa flamme est née après ses études classiques au Collège de Montréal. C'est au couvent Saint-Albert-le-Grand des Dominicains, où il entre en 1960, qu'il est séduit. En 1961, « j’ai découvert la grande prière de l'Église, les psaumes, la Bible, la liturgie et j'ai trouvé ça merveilleux. Je crois que je suis devenu vraiment chrétien à ce moment. J'ai découvert la libération qu'on peut trouver dans l'expérience religieuse intime... », lance-t-il.

À l'été 1966, à la veille d'être ordonné prêtre... « J’étais en train de définir ma vie en ne donnant aucune place au bonheur humain, quotidien et familial, comme avoir des enfants, une femme, un amour... J'avais décidé de vivre comme si je n'avais pas de corps! Tout était dans la tête. Je me suis rendu compte que ça n'avait pas d'allure pour ma vie. J'ai décidé de quitter la communauté », dit-il. Mais il a eu beau sortir physiquement de la fraternité, celle-ci n'est pas sortie de lui. Dominicain un jour, Dominicain toujours. Il reste profondément marqué par le style de vie de ces religieux.

Une nouvelle vocation: professeur << uqamien >>
C'est à ce moment qu'il décide de poursuivre ses études à la maîtrise. Il opte pour l'Institut des sciences religieuses de l'Université de Montréal. Durant ses années de formation intellectuelle, il opte pour un parcours non théologique de la religion, une approche plus près des sciences humaines. En 1967, il passe au doctorat et, à l'automne 1968, commence sa carrière dans le monde de l'enseignement au Collège Sainte-Marie.

À la fondation de l'UQAM, à l'automne 1969, le directeur du nouveau Département des sciences religieuses, Yvon Desrosiers, lui demande de se joindre à son équipe. A l'automne 1976, Louis Rousseau devient directeur du département et, par la suite, occupe divers postes. Il y a quelques mois, il est devenu le directeur de la concentration en enseignement religieux et en enseignement moral. Malgré ses tâches administratives, ce qu'il préfère est enseigner.

Être un professeur « uqamien » en religiologie veut presque dire *être un extraterrestre! » Pourtant, les sciences religieuses permettent de découvrir l'extraordinaire dynamisme créateur de l'humain qui cherche à donner un sens à la finitude de son existence. Devant cette passion qui l'habite, le professeur Rousseau ne peut se taire. Le spécialiste ne peut pas rester inactif. Il est toujours heureux de partager son expérience. Il est très occupé, mais il trouve toujours du temps, même si parfois il doit combiner inconsciemment deux rendez-vous en même temps. Une poignée de main, la porte s'ouvre... Il repart aussi rapidement qu'il est arrivé deux heures plus tôt.

Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp.131 à 137. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).