En ce 20 avril 2025

Le chemin de notre amour

Paul-André Comeau


Paul-André Comeau

Né à Montréal, le 9 mars 1940, Paul-André Comeau est professeur invité à l’École nationale d’administration publique (ENAP). Il s’est surtout fait connaître pour son travail de journaliste. Il a longtemps été correspondant de Radio-Canada auprès de la Communauté économique européenne, de 1970 à 1982, et à Londres, de 1982 à 1985. Par la suite, il a été rédacteur en chef au quotidien Le Devoir, de 1985 à 1990, année où il devient président de la Commission d’accès à l’information du Québec. Il a une maitrise en science politique de l’Université de Montréal (1965) et une DES de la Fondation nationale des Sciences politique, de Paris (1967).

Article paru en partie en septembre 2001
Voici l’article complet.


Métier: chercheur didactique, chercheur de vérité

« Comment s’y retrouver dans cet hypermarché des opinions et des idées, et, surtout, comment arriver à se situer?”, questionne l’Assemblée des évêques du Québec (AEQ) dans son document « Annoncer l’Évangile dans la culture actuelle », publié en 1999. « Chez une personne non suffisamment éclairée, cela peut conduire à l’indécision et engendrer la perplexité. Tout devient relatif, ce qui signifie que rien ne mérite d’être poursuivi de manière absolue. Devant l’hyperchoix, les différentes options peuvent être simplement banalisées ».

Le journaliste Paul-André Comeau est professeur invité à l’École nationale d’administration publique (ENAP), une constituante du réseau de l’Université du Québec. Il admet que le problème de la banalisation de l’information médiatique est crucial: « On en arrive à placer au même niveau les mêmes informations et à être capable de se faire une hiérarchie qui permet d’avoir une valeur derrière les événements ou les idées rapportées. La faute de cela est imputable à la multiplicité et a l’abondance des sources, mais aussi à une façon de traiter l’information et à placer à peu près tout sur le même plan. » Les exemples sont nombreux. Il suffit de regarder les actualités télévisées pour mesurer à quel point des faits secondaires sont traités comme étant des événements d’importance nationale.

Des pistes pour bien s’informer
Une façon de sortir de la banalisation face à la multitude d’informations est de se forcer, même si cela n’est pas toujours facile, à confronter les informations nord-américaines à la façon dont on les aborde ailleurs sur la planète. Il faut regarder, à l’égard des mêmes événements, comment on les traite différemment, comment on les situe dans un contexte différent et quelle perspective on leur donne. Cette façon de faire n’est pas miraculeuse, mais elle témoigne des valeurs et des cultures différentes. « Pour traiter notre relativisme, il faut provoquer nos valeurs avec d’autres valeurs », lance le spécialiste en information internationale.

Concrètement, comment bien s’informer? Sur le plan de l’actualité internationale, « on peut regarder toutes les émissions d’informations d’ici, mais je pense qu’il faut aller plus loin que cela. Pourquoi ne pas regarder quelques soirs par semaine The World TV Report de la BBC, émission diffusée sur différentes chaines dont News World? On se rend compte, dans ce bulletin en provenance de l’Angleterre, qu’il y a une hiérarchie dans la présentation des nouvelles internationales totalement différente de ce qu’on nous présente ici. On voit non seulement des événements, mais aussi des problèmes de sociétés, de continents et, également, de valeurs », dit-il. Il vante aussi les informations des bulletins de France, de Belgique et de Suisse présentés sur TV5. A ses étudiants, il recommande aussi Radio Vatican.

Du côté des médias écrits, il encourage la lecture du quotidien Le Devoir qui, selon lui, avec des moyens modestes, a une façon différente de s’attarder aux problèmes. Même s’il ne le considère pas encore comme un journal de référence, il remarque que La Presse fait des efforts remarquables pour élargir ses perspectives et donne un peu plus de lumière a son regard sur le monde.

Enfin, il affirme qu’il faut jeter un coup d’œil sur The Globe and Mail, propriété de BCÉ, qui, selon lui, le meilleur au pays. « C’est le seul journal canadien qui offre une perspective différente sur l’actualité d’ici. Voici un exemple: dans la semaine du 30 avril 2001, c’est le seul quotidien national qui a joué à la une la béatification de la fondatrice des Sœurs de Sainte-Anne. Cette équipe a jugé que cela est un événement de société qui interpelle. Une femme qui, en 1850, fonde une communauté religieuse et qui dira a Mgr Bourget que dans les écoles de campagne il faut qu’il y ait des écoles mixtes par qu’il n’y a pas assez de monde... Il faut le faire! C’était audacieux pour l’époque! Ajoute l’homme de 61 ans aux cheveux blancs.

La vérité
Paul-André Comeau est un chercheur de vérité. D’ailleurs, n’est-ce pas l’importance de cette vérité que le pape Jean-Paul II rappelait, en 1993, dans sa lettre encyclique Veritatis Splendor traitant de certaines questions fondamentales de l’enseignement moral de l’Église? « S’il existe un droit à être respecté dans son propre itinéraire de recherche de la vérité, il existe encore antérieurement l’obligation morale grave pour tous de chercher la vérité et, une fois qu’elle est connue, d’y adhérer » A, écrivait-il. N’est-ce pas la pensée de l’apôtre Jean qui écrit dans son évangile: « Celui qui fait la vérité vient à la lumière? »

Qu’est-ce que la vérité? « C’est une situation idéale ou on est sûr de la réalité du fait, de l’explication et de la signification. Il y a donc très peu de vérités... Celle qui existent sont fondamentales et elles débouchent toutes sur des questions relativement simples, mais immenses (!), sur le sens de notre passage sur terre », explique Paul-André Comeau.

Toutefois, comment trouver la vérité? « C’est une démarche personnelle. La recherche de la vérité, c’est la volonté d’aller au-delà des apparences et d’accepter de mettre entre parenthèses le relativisme ou les recettes faciles. La vérité, c’est le début de l’absolu. Ce sont les quelques grandes certitudes qui peuvent nous surprendre et, dans certains cas, nous éblouir », ajoute-t-il.

C’est dans cette recherche de l’absolu qu’il souhaite que l’Église catholique se situe. A sa façon, il redit, sans le savoir, ce qu’un patron d’une salle de presse mentionnait, en 1992, au Comité des communications de l’AEQ: « Autrefois, on respectait celui qui possédait la vérité, maintenant on respecte celui qui la cherche... qui sait aussi faire part de ses doutes. »

Sortir du pessimisme
L’information médiatique sert de point de départ pour se dégager de ce pessimisme ou de ce marasme du relativisme. Cependant, elle ne peut servir de réponse. Elle amène à réfléchir aux questions de sens et à voir si l’une ou l’autre pourrait se rapprocher de la vérité.

« Je ne pense pas qu’une personne bien informée, qui a structuré ses schèmes de références, puisse être capable de répondre aux questions fondamentales. Il faut faire un pas au-delà et, là, c’est toute la démarche qui sépare l’humanisme de la croyance. Il y a tout un pont à franchir. Il n’est pas évident et il ne s’impose pas de soi », livre l’érudit.

Comment faire ce passage transcendantal? La question l’embarrasse un peu. Il réfléchir quelques secondes avant de tenter une réponse. Puis, après un long silence, il conclut ainsi: « Les certitudes d’hier semblent avoir été toutes évacuées... Certains vont le faire d’eux-mêmes par une démarche consciente, par une réflexion. Je pense que c’est par le contact avec des gens qui ont un message qui peut nous amener à franchir cette étape.

Voilà une voie d’avenir pour l’Église d’ici. Le professeur invité à l’ENAP va dans le sens des propos de la journaliste Denise Bombardier. Elle lançait aux évêques québécois, dans le cadre du colloque national sur l’Église et les communications sociales tenu au Séminaire Saint-Augustin, a Cap-Rouge, les 4, 5 et 6 juin 1992: « Vous êtes victimes de quelque chose qui est tout à fait à la mode et qui est le relativisme. Plus personne ne veut admettre qu’il faut hiérarchiser les valeurs. Plus personne ne veut admettre et ne veut dire à haute-voix qu’il y a des choses plus importantes que les autres, qu’il y a des choses plus fondamentales. Vous savez ce que cela donne, [...] ça donne des jeunes qui ne font plus de distinction entre Dieu. Mickey Mouse et un extra-terrestre [...]. Il faut que vous cessiez de ne pas oser. »

Pour P.A. Comeau, l’Église a joué un rôle prophétique lors du Concile Vatican II. Il fait remarquer qu’elle est la seule société internationale à être le réceptacle de valeurs, de pratiques et de croyances universelles et, aussi, par ses incarnations dans les régions, les pays et les sociétés, à être profondément enracinée. Il trouve cela fort intéressant parce qu’elle est capable de répondre à l’inquiétude des jeunes et des moins jeunes devant la tendance à la mondialisation et à la nécessité de se raccrocher à son terroir, a sa société, a ses valeurs plus locales.

« L’Église me semble à la convergence incroyable du cri du cœur et de l’inquiétude d’aujourd’hui. Contrairement à un certain pessimisme, l’Église a en main des éléments pour donner un nouveau souffle à la proclamation de son message et, surtout, dans sa tentative de rejoindre les gens parce qu’ils sont un peu déstabilisés par le relativisme et les problèmes rattachés à cela. Il est en mesure d’offrir des solutions sérieuses », croit-il profondément. Il encourage l’Église à prendre une place de plus en plus grande dans les médias, tout en se gardant de n’être qu’une voix parmi tant d’autres. « Son message doit rester un message fort! »

Ce discours incarné dans la société contemporaine pourrait bien aller jusqu’à susciter l’admiration. Comme le spécifiait l’auteur Guy Fournier aux Petits déjeuners Communication et société, le 10 février 1999: « Je ne pratique plus depuis longtemps, mais je ne suis pas un cas désespéré! Ça pourrait recommencer si notre Église forçait mon admiration en sortant de sa réclusion pour nous réapprendre ce qu’est le véritable héritage chrétien... »

Un passé garant de l’avenir
Cet héritage chrétien, Paul-André Comeau le connaît bien, lui qui est habité par une présence particulière, par des valeurs de sagesse. Ces propos le font sourire: il estime qu’il y a surtout en lui des valeurs d’inquiétude et d’imperfection.

« Je n’ai jamais la certitude d’avoir réussi et je n’ai pas la conviction d’avoir trouvé la réponse définitive a toutes les questions que je pose. La valeur à laquelle je me rattache, sur le plan professionnel et personnel, est la nécessité et le gout de toujours faire mieux la prochaine fois. C’est presque une obsession en moi. Je suis relativement réaliste et, lorsque je viens de faire quelque chose, je sais si cela a bien été ou le contraire et je sais qu’il y a toujours quelque chose à corriger. Je n’ai jamais été totalement satisfait de ce que j’ai fait. Cela m’amène à pouvoir recommencer en me disant que je pourrais faire mieux telle ou telle chose. Dans un sens, je suis probablement en recherche d’absolu. C’est l’héritage que j’ai reçu d’un professeur de l’externat classique », dit-il en émergeant d’un moment d’introspection; il relève que ce n’est pas tous les jours qu’on se fait questionner sur les valeurs fondamentales de la vie.

L’abbé Hectorien Chapdelaine, professeur au Collège Mgr Prince, de Granby, ville ou la famille de Paul-André Comeau s’établit lorsqu’il a 10 ans, a fortement influencé sa personnalité. Il n’a que des éloges à son égard: « Ce bonhomme qui n’avait pas fait des études au-delà de son grand séminaire, avait le don de nous provoquer et de nous obliger à être meilleurs. Il y avait chez lui une recherche de l’élitisme intellectuel. Je suis reconnaissant à ce prêtre - lorsque j’avais 13 et 14 ans – de m’avoir profondément marqué et de m’avoir incité à me remettre continuellement en question. »

Un chercher didactique
Sa carrière commence à titre de relève d’été à La Voix de l’Est, il passe ensuite au quotidien Le Devoir, puis a l’information internationale a la télévision francophone de la Société Radio-Canada, et, enfin, à la présidence de la Commission d’accès à l’information. C’est en revenant constamment sur son travail que le journaliste est devenu un véritable chercheur.

« Je suis un chercheur didactique. J’ai que ma recherche profite aux autres. Je ne pourrais pas vivre isolé. J’ai besoin de communiquer et de rencontrer des gens. [...] Depuis toujours, ce qui me fait le mieux vivre est de faire des choses significatives pour la société. J’ai toujours eu la prétention d’être, avec d’autres, un instrument de développement culturel et un éveilleur qui amène les gens à réfléchir », confie Paul-André Comeau. Jean-Paul II, le roi de la Cité du Vatican, ajouterait, sans aucun doute, ce qu’il écrivait en 1999: « Toute recherche humaine est, en fin de compte, une recherche de Dieu. »

Ce fils de banquier, né le 9 mars 1940, à Montréal, ne sait pas si c’est à cette recherche honnête et constante de la vérité qu’il doit son excellente réputation. De toute façon, cette question n’a pas grand intérêt pour lui.

Même s.il est flatté que sa renommée l’amène à ce qu’on le consulte publiquement, il importe pour lui qu’on comprenne bien qu’il s’est interrogé sur la pertinence de cette rencontre, qu’il essaie de comprendre et de présenter son état de la situation et ses hypothèses et, surtout, qu’il est à l’écoute.

« Je ne pense pas être très social, explique-t-il. Les cocktails, les rencontres sociales et tout cela, j’y vais parce qu’il faut y aller, mais ce n’est pas une partie de mon existence. Par contre, le contact interpersonnel, ou même par groupe au niveau des échanges d’idées, cela m’est très important. »

Fidèle malgré la distance
Sa tendresse envers sa femme et la fidélité qu’il lui voue ont une grande importance pour lui. Elle travaille en Europe et lui, à Montréal. Ils font la navette entre Montréal et Bruxelles depuis plusieurs années. Elle s’occupe de francisation auprès d’enfants et de réfugiés politiques, avec les Sœurs de l’Assomption. Son regard s’allume lorsqu’il est question d’elle, même après 35 ans.

C’est lors de ses études à Paris qu’il a rencontré cette complice de vie à qui il est très attaché. Même si leur mode de vie est particulier, il ne cache pas le bonheur qu’il éprouve lorsqu’il la retrouve quelques fois par années.

La vie malgré les épreuves
On dit familièrement que rien n’arrive pour rien dans la vie et que les épreuves son-là pour nous inciter à grandir. Paul-André Comeau en sait quelque chose. Il y a quelques années, il perdait son fils unique de 27 ans, un pédiatre voué à un brillant avenir.

Nul besoin de souligner qu’il est peu bavard sur le sujet tellement la peine que ce souvenir provoque en lui est toujours vivantes. Il y a des événements pénibles, impossibles à comprendre. Paul-André Comeau affirme que ce moment difficile l’a amené à réfléchir sur le sens de la vie. Il a compris que s’il était encore ici, c’était afin de continuer à s’améliorer et à partager ce qui l’habite.

Amenez-en des projets!
Il ne songe guère à la retraite. Des projets, il en a plein la tête dont celui de rédiger quelques ouvrages liés à ses cours. Dans un premier temps, il souhaite compléter une synthèse sur l’histoire du Québec, afin de mettre en lumière les ruptures et les lignes de fond de l’histoire d’ici depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiales (1939-1945). Il mijote aussi une réflexion sur l’évolution des valeurs dans la société québécoise.

Il n’y a rien de relatif pour Paul-André Comeau. Pour lui, tout ce qu’il entreprend mérite d’être poursuivi de manière absolue. Cette recherche n’est-elle pas un chemin de maturité spirituelles?

C’est par la diversité des opinions et la recherche constante de la vérité qu’il est possible de sortir de la morosité du relativisme contemporain. Sans être parfait, le roman de la vie de Paul-André Comeau est un témoignage vivant. A force de jouer à la chasse au trésor, il finira bien par le trouver!


Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 73 à 81. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).