En ce 7 avril 2025

Une page du bottin téléphonique de la Haute-Yamaska en 1997

Claude Paradis


Claude Paradis

L'abbé Claude Paradis, animateur de pastorale au Centre hospitalier de Verdun, s'est joint à la communauté de l'Arche, à Montréal. Il est aussi membre du conseil d'administration de la Fédération des Arches au Québec. Il fait partie de l'équipe de l'émission de télévision Évangélisation 2000, diffusée aux réseaux TVA et TQS.

Article publié en mai 2004.

«La mort est quelque chose de grand!»

La mort est un sujet tabou, qui met bien des personnes mal à l'aise. Pourtant, nul ne peut y échapper, trépasser est notre destin. Un jour ou l'autre, même si nous tentons de l'éviter, la mort nous rattrape et nous devons entrer dans cette expérience ultime.

Chaque jour, l'abbé Claude Paradis rencontre les patients en soins palliatifs, au Centre hospitalier de Verdun, pour les préparer à entrer dans le couloir de la mort. Avec le malade et ses proches, il tente de trouver un sens à ce passage vivifiant parce que, pour lui, la mort n'est qu'une autre étape de la vie humaine. La mort n'est pas une finalité.

L'abbé Claude Paradis est né le 7 août 1955, à Sainte-Anne-des Monts, en Gaspésie. Après avoir travaillé comme infirmier, du 27 septembre 1982 au 31 août 1989, à l'Hôpital Brome-Missisquoi Perkins, à Cowansville, il a été ordonné prêtre au service du diocèse de Montréal, le 26 septembre 1997, en la fête des saints martyrs canadiens, connus aux États-Unis sous le vocable des saints martyrs d'Amérique.

BENOÎT VOYER - Claude Paradis, qu'est-ce que la mort?

CLAUDE PARADIS - Pour moi, la mort est quelque chose de grand. En y pensant rapidement, je dirais que c'est un passage. Cependant, plus j'y pense, c'est bien plus que cela. Ce n'est pas juste la fin. C'est un commencement ou une continuité, mais dans un autre état ou une autre dimension ou une autre perspective. La mort, c'est la rencontre face à face avec Dieu. C'est le lieu où tout ce qui n'est pas «christifié» en soi le devient.

B.V. - Dans la vie, quel est le sens de la mort?

C.P. C'est justement la mort qui donne un sens à ma vie parce que, s'il n'y avait pas la mort, il y a beaucoup de choses que j'ai le goût de faire aujourd'hui que je ne ferais même pas. Chaque jour, j'essaie d'entretenir des relations importantes avec les autres parce que je ne sais jamais si demain je serai encore en vie. C'est la réalité de ma mort, qui viendra un jour ou l'autre, qui va faire que je vais essayer de vivre ma journée à plein. Je ne peux pas dire que la mort me fait peur parce que, pour moi, elle a un sens...

B.V. - À la lumière de la mort, quel est le sens de la vie?

C.P. C'est une grande question que vous me lancez. Elle est très importante! S'il n'y avait pas la mort, il n'y aurait pas de vie. Les deux sont indissociables. C'est l'idée de ma finitude qui me fait vivre pleinement ma vie. Et puis, je crois en ce que Jésus nous a dit! La vie ne s'arrête pas à la mort. Elle nous fait plutôt entrer dans une nouvelle expérience de vie, une nouvelle vie. C'est ce qu'il appelle la résurrection.

B.V. - A quoi ressemble cet au-delà?

C.P. Nous vivrons avec un corps glorifié, c'est-à-dire avec un corps qui ne vivra plus de souffrances. De plus, nous retrouverons ceux que nous avons connus et aimés. Comme le Christ dit, ça va être un grand jour. Il y aura un festin! Ça va être un perpétuel jour de noce!

B.V. - Soyez plus précis, quel est le sens de la vie?

C.P. C'est de découvrir Dieu - Je veux voir Dieu! - et de me découvrir à travers mes journées et ma vie. À travers les autres que je rencontre, j'apprends justement à me connaître et à le rencontrer!

B.V. Alors, s'il s'agit d'un si grand moment de l'histoire de chaque personne, pourquoi est-ce que la mort est un sujet quasi interdit pour nos contemporains?

C.P. - C'est peut-être à cause de l'inconnu qu'il y a cette peur. De plus en plus, je me rends compte que les gens ont davantage peur de souffrir que de mourir. Ils ont peur de la souffrance. La société fait en sorte que nous essayons de l'éliminer. Il ne faut pas se le cacher, la mort nous ramène en soi, à notre finitude. Durant la journée de la mort, qu'elle soit la sienne ou celle d'un proche, on doit faire plusieurs deuils. C'est une démarche normale du processus.

B.V. - Comment apprivoiser la mort?

C.P. - Je dis souvent aux gens en fin de vie: Prends le temps de prendre du temps». Le temps nous permet de nous recentrer, de nous resituer et d'apprivoiser cette mort.

B.V. - De quelle manière surmonter la peur de la mort?

C.P. - Quelle question difficile... D'un côté la mort fait peur, de l'autre elle fascine. Une journée, elle nous apparaît comme étant un état de vie extraordinaire. Le lendemain, devant elle, on se dit: «Et s'il n'y avait rien après...»

B.V. Tout est affaire de foi!

C.P. La foi est ce qui fait toute la différence. Il y a une plus grande sérénité chez les gens en phase terminale qui ont la foi en Dieu.

B.V. - Qu'est-ce que Jésus dit à propos de la mort?

C.P. La première chose qui me revient à l'esprit est qu'il nous lance: «Je suis le chemin, la vérité et la vie». Et Jésus, comme chaque être humain, a vécu la mort... Il a vécu des deuils, comme nous! Pour en arriver à la plénitude de sa mission, il a fallu qu'il en fasse plusieurs. Il a notamment dû quitter ses parents et ses amis.

B.V. Et il dit aussi: «Laissez les morts enterrer leur mort!» N'est-ce pas une invitation à ne pas trop se préoccuper de la mort? (Mt 8,22)

C.P. - Laissez les morts enterrer leur mort. Quel propos «songé»! Jésus nous invite donc à ne pas avoir peur de la mort.

B.V. - «Songé?» Je ne trouve pas!

C.P. - Pensez-y bien! Il nous dit de laisser les morts s'occuper de leur mort. C'est une invitation à cesser de craindre la mort! C'est une invitation à les laisser mourir en paix. Ce qui fait le plus mal dans la mort de l'autre, c'est l'absence qui suit le départ. C'est de cela que nous avons peur. Bien qu'il s'agisse d'une continuité de la vie, la mort est le moment de la rupture d'une proximité physique.

B.V. Est-ce qu'il est possible de rencontrer Dieu au moment de la mort et d'arriver à la certitude qu'il existe vraiment?

C.P. - Un jour, il n'y a pas longtemps, quelqu'un me disait: «Vous savez, lorsque je suis entré ici, à l'hôpital, je ne croyais pas du tout en Dieu. C'est dans ma solitude et ma souffrance, et en voyant les infirmières et les préposés aux bénéficiaires travailler, que je me suis dit: il se peut que Dieu soit ici!» Chacun à sa façon peut être un outil pour montrer Dieu! Il passe même par les professionnels de la santé!

Il y a aussi plusieurs personnes que j'accompagne qui me parlent de Dieu sans le nommer. Peut-être seulement parce qu'elles n'ont pas appris à le faire! Sans trop le savoir, plusieurs me font vivre des pages d'Évangile.

Lorsque l'humain est confronté au silence qui survient dans la souffrance, il y a une recherche intérieure qui se fait. Je trouve cela fort malheureux qu'il faille se retrouver au cœur de celle-ci pour se dire: Et si c'était vrai?

B.V. - Chez les gens que vous accompagnez dans le couloir de la mort, qu'est-ce qui vous étonne le plus?

C.P. Ce sont les mourants qui offrent leurs souffrances pour d'autres personnes qui sont en santé. Leurs souffrances deviennent une source de salut pour les autres. Il y a une grande noblesse dans cette attitude.

B.V. - Comment annoncer à quelqu'un que son ange viendra bientôt le conduire à Dieu? Quels mots dire?

C.P. - C'est toujours délicat. On ne s'habitue jamais à annoncer à quelqu'un qu'il va mourir.

B.V. - Quels mots dire?

C.P. Avant tout, il faut s'assurer d'une présence et beaucoup d'écoute. Parce que, assez rapidement, la personne va avoir besoin de parler. Vous savez, c'est lorsqu'on les «laisse se dire» que les personnes en viennent à nommer Dieu parce que cela va ensemble. De plus, durant cette relecture de vie qui s'amorce, il y a de nombreux pardons qui se font. Ces moments de miséricorde sont d'intenses instants de joie pour le mourant et ses proches.

B.V. - Vous ne répondez pas à la question! Quels mots dire?

C.P. - Je ne sais pas. (Il fait un long silence. Il s'intériorise. Il cherche en lui, comme s'il n'y avait pas de réponse satisfaisante... Et il lâche un grand soupir en haussant les épaules... puis tente une réponse.) Il faut dire la vérité. C'est un moment trop précieux pour se taire. Personnellement, j'aimerais mieux le savoir le plus rapidement possible afin de pouvoir vivre intensément ces moments avec mes proches.

B.V. - Et lorsque la personne sait et qu' « elle se raconte », qu'est-ce qu'il faut dire? Qu'est-ce qu'il faut lui répondre?

C.P. La personne qui va mourir a peut-être juste le goût de parler de ce qui lui arrive. J'entends souvent le patient en soins palliatifs dire qu'il trouve cela désolant de ne pas pouvoir parler du sujet de sa mort avec sa famille. «Je sens une gêne. Je les sens mal à l'aise. Mais j'aimerais tant parler avec eux de ma mort!» dit-il de différentes manières.

Il y a, dans plusieurs familles, une «non-acceptation» de la mort de leur proche. On refuse donc d'aborder la question en lançant des platitudes comme: «Voyons! Tu vas guérir!» C'est une forme de déni. Lorsqu'un médecin a annoncé au patient que c'est la fin, il ne faut pas entretenir avec ce dernier de faux espoirs, car cela devient une forme de mensonge. Donc, pour répondre à votre question, il faut juste être présent et répondre à leurs questions, avec simplicité, et être le plus vrai possible.

B.V. - Avez-vous personnellement vécu une expérience de mort?

C.P. - Oui.

B.V. Comment cela s'est-il passé et qu'est-ce que l'expérience a changé dans votre vie?

C.P. - C'est cette expérience de la mort qui m'a donné la certitude que Dieu existe vraiment. J'ai fait, il y a quelques années, un arrêt respiratoire. On m'a réanimé. Durant ce moment, il s'est passé quelque chose en moi. Ça a été un déclencheur. Suite à l'expérience, je me suis mis en recherche. Je ne savais pas quoi, mais je cherchais vraiment. Je vous évite le récit de toutes mes démarches et tentatives, mais je suis finalement devenu prêtre catholique.

B.V. - Et quelles sont les conclusions de votre expérience?

C.P. - Je découvre dans mon sacerdoce et, surtout, à travers la mort des autres, ce que j'ai longtemps cherché. Je cherchais la dignité de la personne humaine. En réalité, c'est ma propre dignité que je cherchais! Et je ne savais pas où la trouver. L'avais perdu la mienne à travers mes excès de boisson et d'expériences sexuelles. Je la cherchais dans toutes les directions. À travers l'expérience de la mort, j'apprivoise ma propre vulnérabilité.

Toute personne meurt de la même façon. Qu'importe la vie qu'elle a eue! La promesse de la vie éternelle est la même pour tous. C'est là notre seule dignité. Même si dans la vie nous nous sommes tenus à l'écart de Dieu, c'est indéniable, la mort nous ramène à lui.

Chaque jour, j'accompagne des gens dans le couloir de la mort dans le cadre de mon travail d'animateur de pastorale en milieu de la santé. C'est tellement grand ce qui se passe dans cette expérience! Il y a quelque chose qui se passe dans la chambre du mourant, qui est vraiment plus grand que l'humain. Cette expérience est vraiment difficile à exprimer avec des mots, puisqu'une description juste est impossible. Cependant, je vous affirme que c'est une expérience extraordinaire! J'espère ne jamais m'habituer à cela!

Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp.145 à 151. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).