Par Benoit Voyer
8 novembre 2024
A l’été 1995, dans un restaurant français situé au coin des rues Sherbrooke Est et Monsabré, à Montréal [1], je rencontre l’auteur Michel Quoist. Il est au Québec dans le cadre d’une tournée afin de promouvoir son livre « Dieu n’a que des désirs », publié aux Éditions Sciences et culture. L’ouvrage a été écrit à la suite d’entretiens avec le journaliste Élie Maréchal. Auprès de son diffuseur au Canada, j’ai demandé à le rencontrer afin d’écrire un article sur la prière pour la Revue Notre-Dame du Cap [2], le magazine du grand sanctuaire marial trifluvien pour lequel je collabore depuis 1992.
Je suis intimidé par cette rencontre. Ce n’est pas tous les jours qu’on rencontre un auteur qui a un rayonnement international. Ce n’est pas rien: Plus de huit millions d’exemplaires de ses livres ont été vendus. Son bouquin « Prières » a été traduit en 26 langues. Il s’agit d’un phénomène jamais rencontré en littérature religieuse. Même le pape Jean-Paul II a lu ses bouquins pour nourrir sa vie intérieure.
Afin de bien me préparer, j’ai passé plusieurs journées à lire un imposant dossier de presse, son livre "Dieu n'a que des désirs” et trois de ses ouvrages et à préparer soigneusement mes questions.
La veille de l’entretien, me vient une idée: Mettre de côté toutes mes questions complexes de journaliste et y aller avec des interrogations simples, vraiment simples… comme si c’était un enfant ou un commençant dans la foi, c’est-à-dire un néophyte, qui mène l’échange. Sur ma feuille de route je note: “La prière: Qu’est-ce que c’est? A quoi ça sert? Comment on fait? Comment se placer physiquement pour prier? Quoi penser des prières toutes faites, c’est-à-dire écrites par diverses personnes? Quand je prie, Dieu écoute vraiment? Est-ce qu’il y a des mots qu’il aime que je lui dise? Et j’écris bien lisiblement dans la marge: « M’en tenir à des questions courtes et très simples ».
Tel que convenu, Michel Quoist m’attend dans l’entrée du restaurant. J’entre avec mon appareil photo, mon magnétophone et mon calepin de notes. « Vous êtes monsieur Voyer? » Avec son accent de France, je comprends qu’il est arrivé bien avant moi. Je m’excuse de l’avoir fait attendre. « Bien non! C’est moi qui suis en avance… »
Ce qui se passe est inhabituel. En temps normal, j’arrive le premier aux rencontres et les invités arrivent à l’heure pile ou en retard. De plus, lorsqu’il s’agit d’une vedette, il est accompagné d’un attaché de presse. Michel Quoist est seul et en avance sur l’horaire.
A mon grand étonnement, je rencontre un homme d'une très grande simplicité. D’ailleurs, je lui dis en préparant mon magnétophone. Il m’explique que pour demeurer ainsi, il a longtemps opté pour l’humble apostolat en paroisse et auprès des jeunes. Il me confie qu’il n’a jamais accumulé ses honoraires d’écrivain. Il les a tous donnés a des associations catholiques de jeunes français.
Nous nous asseyons à la table que nous propose le serveur. Nous lui demandons des cafés et lui expliquons brièvement que nous sommes là pour une interview.
Parce ce que je sens que l’entretien a débuté dès que nos regards se sont croisés, sans tarder j’ouvre le magnétophone, je le place devant lui et lance avec le sourire aux lèvres et sarcasme: « Ainsi donc, vous-êtes un spécialiste de la prière? » Visiblement, il n’aime pas la question. Il me lance: Vous savez, « je suis un chrétien et un prêtre comme les autres qui essaie de prier. J’ai surtout cherché à le faire à partir de toute la vie. Je me suis dégagé très tôt des textes de prières tout faits. Ce qui est important, c’est de rencontrer le Seigneur dans toutes circonstances et avec nos goûts. Il faut prier avec nos mots à nous…»
J’entre sans tarder dans mon plan de match: Mais, « Qu’est-ce que prier? »
Il me répond: « C’est de parler à Dieu comme à un ami, c’est exprimer son amour par la parole, par des gestes, en chantant, en offrant quelque chose à celui que l’on aime, avec des gestes… Il y a bien des formes possibles et inimaginables de prières. Prier c’est, aussi, s’exprimer par le silence, c’est-à-dire être là à côté de quelqu’un par amour. Prier c’est aimer. Il y a de nombreuses façons d’exprimer son amour».
Tout va comme prévu, je lui lance ma deuxième question: « A quoi sert la prière? »
Un peu soupe au lait, il s’emporte: Mais « coup donc, lisez mes livres! » Je ne m’attendais vraiment pas à une telle réaction.
Laissant mes notes de côté, je le regarde dans les yeux et lui raconte ma préparation des derniers jours. Durant mes explications, le calme s’installe. Il sourit. Il semble apprécier l’orientation éditoriale.
Je reprends l’entretien: Alors, « à quoi sert la prière? »
Il répond: « Elle sert à répondre à l’amour infini de Dieu. Il est venu au-devant de nous pour nous le déclarer. On peut s’ouvrir à celui-ci ou bien lui dire « Je n’en ai rien à faire de ton amour! » Si on s’ouvre à un amour, on est transformé par lui. »
Je demande: « Comment prier? »
Il répond « A ceux qui me disent « Je ne suis pas capable de prier! », je dis toujours « Est-ce que tu es capable de dire Bonjour? Bonsoir? Je t’aime? J’ai fait ceci? J’ai fait cela? » Ils disent « bien oui ». Alors, je rétorque à ces gens « C’est cela aimer ». Il s’agit de le dire à Dieu. C’est simple! Pas besoin d’apprendre à prier… Ça m’agace un peu les histoires d’écoles de prière. On n’apprend pas à dire « je t’aime! » »
Je rétorque tout-de-go: « Comment dire « Je t’aime » à quelqu’un que je ne connais pas? »
Michel Quoist: « C’est comme dans l’amour humain : quand une fille se présente à un gars et vice-versa, ils ne se connaissent pas au début et, pourtant, ils dialoguent dès la première rencontre. Ensuite, au fil du temps, la relation s’approfondit. »
Question: « Y a-t-il une position corporelle, une façon de respirer qui favorise davantage le dialogue avec Dieu? »
Michel Quoist: « Ce sont des préfaces a la prière. Ce n’est pas la rencontre. Les techniques de respiration, je ne suis pas contre, mais je n’aime pas beaucoup cela, parce qu’au fond on mélange la méthode avec la prière. Ces longues préparations engendrent beaucoup d’illusions. Quand on fait de longs exercices de préparation, on se retrouve en face de soi. La prière c’est se trouver en face de Dieu. »
Je tente de voir si j’ai bien compris : « La prière se fait donc au cœur du quotidien… »
Michel Quoist: « Bien oui, bien oui… Vous savez, ça me barde d’aller faire des courses. Je demande au Seigneur, « Viens-tu avec moi? » C’est une prière ça! En faisant des courses, je lui dis : « Regarde la dame, elle a une drôle de tête! » Dans ma tête, je vois une image. Je me permets de rire.
Reprenant le fil de l’entretien, je lui demande son opinion : « Alors que pensez-vous des formules de prières? »
Michel Quoist: « Eh bien, il faut s’en servir quand on n’a pas les mots à sa disposition… Encore une fois, quand un garçon aime une fille, il n’a pas une liste de formules. L’amour c’est l’expression d’une vie. »
Je réponds: « Donc, ce n’est guère nécessaire… »
Michel Quoist: » Bien non! Quand on est pauvre, quand on ne sait pas quoi dire au Seigneur, il faut les utiliser. Quand on prie en commun, il y a la belle formule du « Notre Père ». Cependant, on n’utilise pas une formule pour exprimer son amour; on parle avec ses mots a soi. Cela dépend du cheminement de chaque personne. Il y en a qui ont besoin de beaucoup de mots pour s’exprimer et d’autres qui n’en ont pas besoin. C’est la présence qui compte. »
Après un bref silence, je lui demande : « Et quand on n’a plus rien à dire? »
Il me regarde en souriant : « Il suffit d’être là, l’un à côté de l’autre… Il suffit de se regarder et de se mirer par nos regards. »
Je pense à voix haute : « C’est comme la prière au Saint- Sacrement! »
Il me sourit: « L’adoration c’est ça! C’est d’être là pour celui qui est là, gratuitement.»
Je demande: « Combien de temps devrait-on prier chaque jour? »
Il éclate de rire et me lance: « Combien? (rire)… Avec une parade (rire)… Je ne sais pas! C’est comme si vous me demandiez « Combien de temps dois-je embrasser ma femme? » Je ne sais pas. Ça dépend de vous! Ça dépend d’elle! Ça dépend si elle a besoin de sentir votre amour! »
Le rire fait place à l’intensité des regards. Comme s’il lisait en moi…
Après un silence, l’agnostique en moi lui demande : « Est-ce que Dieu écoute vraiment? Est-ce qu’il nous répond? »
Il ne me lâche pas du regard : « C’est lui qui a parlé le premier… par l’Écriture. On y croit ou il n’y croit pas! C’est sûr! Sa Parole c’est une lettre d’amour qu’on a reçue. C’est lui qui a parlé le premier et c’est nous qui ne répondons pas. Il répond par les Écritures, les événements, les personnes que nous rencontrons, etc. Pour le voir et l’entendre, il faut la foi. »
Naïvement, je demande : « Est-ce qu’il y a des mots et des gestes que Dieu aime plus que d’autres? »
Il ne se laisse pas distraire : « Ben non !!! Il connait tous ses enfants et il sait qu’ils sont différents. Chaque enfant a une façon différente de dire « papa, je t’aime bien ! » Dieu accueille les différentes façons. Ce n’est pas la façon extérieure qui importe, c’est le contenu.»
Je me fais intime: « Dieu veut que je me révèle tel que je suis…»
Il ajoute: « On n’a pas à copier l’autre dans sa prière. C’est quelque chose de personnel. C’est pour cela qu’il est difficile d’en parler d’une façon générale. C’est tellement différent pour chacun comme est différent l’amour vécu par telle ou telle personne.»
En conclusion, j’ose entrer dans son univers secret: Et vous, « comment est votre prière? »
Il accepte la confidence : « Elle est pleine de silences. C’est plus contemplatif… Au début d’une relation amoureuse, les mots et les gestes sont importants. Au fil des années, il y en a de moins en moins. »
Je referme mon magnétophone. Je le remercie du fond du cœur pour l’échange.
Sans le savoir, ce jour-là, Michel Quoist m’a fait la plus belle des catéchèses sur la prière que j’ai eu l’occasion d’avoir de toute ma vie. Quelques mois plus tard, j’apprendrai avec regret son décès.
Michel Quoist nous a quitté le 18 décembre 1997. Il repose au Havre, en France.
_______________________________________
[1] Bâtiment démoli. Il s’agit maintenant du 5780, rue Sherbrooke Est
[2] Benoit Voyer. « LA PRIÈRE : Un dialogue d’amoureux », Revue Notre-Dame du Cap, octobre 1995, pp. 8 et 9 (BSSH)