Des États généraux en santé mentale
Par Benoit Voyer
27 juin 2025
Le Québec est mur pour des États généraux en santé mentale, une grande consultation comme il n’y en a jamais eue.
Dans le milieu des soins psychiatriques, auquel j’appartiens, on le constate au quotidien : Ça ne marche pas très bien! Les succès que nous rencontrons sont trop peu nombreux.
Autour de moi, tous sont en accord avec l’idée qu’une vaste consultation est rendue nécessaire afin d’établir un plan stratégique, efficace et surtout réaliste, un plan que chaque établissement de santé puisse adapter à sa réalité locale et à sa clientèle. La réalité des malades des régions de Lanaudière et des Laurentides n’est pas identique à celles de Montréal, Québec, du Nunavik, de la Beauce ou du Bas Saint-Laurent.
En matière de soins psychiatriques, les artisans du milieu qui voient évoluer au quotidien les personnes malades, surtout ceux au pied du gigantesque organigramme de Santé Québec, aimeraient s’exprimer librement. Les infirmiers et infirmières, les agents d’interventions, les préposés aux bénéficiaires et tous les autres qui donnent des soins - souvent depuis de nombreuses années - ont développé des expertises dont on se prive.
Ils sont consultés « pour la forme », mais savent bien que les décideurs tiennent peu compte de leurs opinions dans la réalité et que, presque toujours, les orientations sont déjà données avant qu’on s’adresse à eux.
Ils sont souvent découragés de voir arriver de nouveaux idéologues formés dans les universités dicter de nouvelles manières de faire. J’entends souvent de vieux collègues me dire : « Ils ont déjà essayé ça, il y a quinze ans! Pis ça n’a pas marché! Et là, ils remettent ça en place… On le sait que ce sera un échec! »
Les États généraux que je propose ne vise pas que les soins psychiatriques. C’est tout le réseau de la santé mentale québécois qui doit être consulté, à commencer par les personnes malades et, comme je viens de l’écrire, les premiers intervenants.
Ces États généraux doivent notamment comprendre :
1- Une « recherche-action » sur le terrain afin d’écouter les malades et les intervenants, individuellement ou en très petits groupes. Nous pourrions peut-être confier cette étude indépendante aux chercheurs universitaires en sociologie.
2- Confier à des enquêteurs choisis pour leur neutralité, des visites sans avis dans les milieux de soins afin de se mettre en dialogue et, surtout, à l’écoute des travailleurs en santé mentale de jour, de soir et de nuit parce que la réalité des malades n’est pas la même dans un rayon de 24 heures.
3- Une commission d’enquête publique pour ceux qui veulent s’exprimer sur le sujet. Les particuliers et les organismes qui ont des intérêts à défendre seraient entendus en ce lieu.
4- La participation des médias intéressés à réaliser des reportages et analyses sur le terrain. Nous avons besoin de diverses perspectives. Ils ont habituellement le talent de nous proposer des angles qu’on oublie de regarder.
5- Un rapport final et des recommandations réalistes.
Bien entendu, durant la période de ces États généraux, qui pourraient durer jusqu’à trois ans, une analyse budgétaire rigoureuse devra être faite. Les recommandations finales devront démontrer comment on pourra en « avoir pour notre argent » avec les nouvelles propositions. On le sait, ce n’est pas parce qu’on augmente les budgets qu’on arrive à de meilleurs résultats.
De plus, il faudra voir de quelle manière les milieux communautaires et des affaires peuvent contribuer au plan d’action à mettre en place.
La réflexion ne fait que commencer.
Au Québec, des États généraux en santé mentale sont urgents.
Gaston L’Heureux
Gaston L’Heureux
Gaston L'Heureux travaille dans divers médias. Il est aussi impliqué dans de nombreuses causes qui lui tiennent à cœur. Il s'est fait connaître grâce aux émissions Les Coqueluches et Avis de recherche, présentées à Radio-Canada. Il y a quelques années, on lui a appris qu'il était atteint du diabète.
Article paru en octobre 2000.
« La sensation qui vient après l'épreuve ne s'explique pas »
« J'ai songé m'enlever la vie par désespoir », me confiait-il, il y a quelques semaines. « Je me suis accroché en pensant à ceux que je laisserais. De plus, je me suis demandé si j'avais tout fait pour être heureux. Alors que je ne voyais plus la lumière au bout de mon tunnel, je me suis accroché à ce que d'autres personnes ont déjà vécu. »
J'ai voulu en savoir plus long: « Mais, Gaston, pourquoi vis-tu? Tu as des raisons de vivre? »
« Parce que chaque jour est complètement différent. J'ai vu des gens dans le plus grand désespoir. J'en ai vécu de grands! Je m'accroche parce que j'ai vu trop de situations changer. Tu sais, quand tu t'en vas en mer, il y a une tempête. Crac! Ton mât est arraché. Tout à coup! Hop! C'est le calme... et puis tout continue comme si rien ne s'était passé. La sensation qui vient après l'épreuve ne s'explique pas », pense-t-il à haute voix.
Il se rappelle Claude Brunet, un tétraplégique avec qui il a travaillé. Pour lui, ce bonhomme aurait eu des raisons de s'enlever la vie: pas de bras, pas de jambes, pas de vie sexuelle... Et pourtant, il avait un grand appétit de vivre à plein. « Ce n'était pas un imbécile! C'était un homme d'une très grande foi! Sa gestuelle et sa façon d'aller au fond de sa vie m'ont impressionné », ajoute-t-il.
Il demeure réaliste. Dans le quotidien, il n'est pas toujours possible d'être en constante sérénité. Selon lui, la nature étant ce qu'elle est, l'humain traverse des périodes de givre, des tempêtes et des orages. C'est un des secrets de l'âme.
N'est-ce pas aussi l'expérience des grands mystiques catholiques comme Jean de la Croix et Thérèse d'Avila? Ils ne vivaient pas toujours en état de béatitude. En soi, la crise intérieure est normale et nécessaire pour la croissance personnelle.
Malheureux comme L'Heureux
Est-il possible de porter le nom de L'Heureux et de se sentir malheureux? L'idée me fait sourire et je n'hésite pas à la lui exprimer.
«Attention mon cher! Je ne suis pas malheureux! Mais je ne suis pas un optimiste. Je suis un inquiet. Je n'ai jamais la certitude des choses - du moins de ce qui est essentiel. Je suis un perfectionniste», lance-t-il pour me faire comprendre rapidement qui il est au plus intime de son être.
Le roman de la vie
Pour Gaston L'Heureux, ce qui importe dans la vie, c'est d'être pleinement humain: « Je pense que chaque vie est un roman. C'est comme les empreintes digitales: elles sont toutes différentes! Tu sais, comme dans les romans, il y a des vies plates, drôles, trépidantes, compliquées, optimistes, pessimistes et, aussi, il y a des vies d'amertume. Les humains sont à la fois les plus exaltants et les plus décevants. »
Il s'intéresse au plus haut point à ce que vit l'autre. Lors de notre rencontre, j'étais en plein burn-out et en grand questionnement sur ma vie, sur la vie. Après l'interview, il a pris plus d'une heure à s'intéresser à ce que je portais de difficile en moi. Sa présence a grandement influencé mon retour au bien-être.
Quelques minutes avant de nous quitter, il m'a dit: « Qu'importe l'heure, si tu vis un moment sombre, n'hésite pas à me téléphoner! » Je n'ai pas eu besoin de le faire, mais j'ai grandement apprécié sa disponibilité. C'est ce que j'appelle vivre à plein son humanité: être un don de soi pour les autres.
Un p'tit gars de Québec
« Les premières années, j'étais enfant de choœur à la Basilique Notre-Dame de Québec. Le mercredi, Maurice Duplessis venait à la messe à la chapelle Saint-Joseph. Il me donnait toujours un pourboire: 10 ¢. Il disait que c'était pour mon père qui était organisateur pour le Parti libéral! J'allais aussi servir la messe chez les Jésuites. J'avais déjà de la graine de curé! », relate-t-il les yeux pétillants et le sourire fendu jusqu'aux oreilles.
« Je me souviens aussi, j'habitais au coin de Saint-Patrice et Saint-Augustin. Nous allions jouer à la cachette à l'Assemblée nationale. Les gardiens nous toléraient! J'allais aussi passer des heures à la bibliothèque du Parlement où il y avait une sympathique dame Bélanger qui me faisait lire La Patrie, Le Canada, et bien d'autres publications. Elle avait compris ma soif de tout connaître », ajoute l'homme aux cheveux poivre et sel.
Ses parents avaient 46 ans de différence d'âge: elle avait 26 ans, lui 72 ans quand Gaston est né, seul enfant du couple. « Je n'étais pas un enfant qui vivait dans un cadre normal! », dit-il. Lorsque son père l'appelait, il n'était pas rare qu'il entende le commentaire: « Hey! Gaston, ton grand-père te cherche! »
De 6 à 13 ans, il est pensionnaire chez les frères des Écoles chrétiennes, à Saint-Augustin-de-Desmaures, situé à 30 kilomètres de la maison familiale. Plus tard, il ira à l'Académie de Québec, également dirigée par les frères de Écoles chrétiennes. C'est là qu'il a entrepris son cours classique, mais...
« J'étais un autodidacte. J'aimais étudier les choses qui m'intéressaient. Un jour que ma mère était inquiète pour mon avenir, Gustave Tardif (doyen de la Faculté de commerce) et monsieur Caron (mon directeur) lui dirent: « Écoutez, on va le garder jusqu’à la philo II ». Alors, j'ai continué mes études sans jamais passer d'examens. Ces professeurs avaient une pédagogie avant-gardiste. Je suis resté là jusqu'à mon entrée au quotidien Le Soleil », aime-t-il se rappeler.
Vocation: journaliste
S'il a choisi le journalisme, c'est qu'il voulait tout faire à la fois. Ce métier lui a permis de répondre à sa curiosité naturelle et à ses besoins fondamentaux: il est curieux et aime toucher un peu à tout.
Comme il dit: l'important n'est pas de tout savoir, mais de savoir où trouver tout.
En me regardant droit dans les yeux et avec détermination, comme pour me convaincre, il me lance que la vocation journalistique, il faut l'avoir dans le sang. On l'a ou on ne l'a pas! C'est tout! Le journalisme naît du désir d'apprendre et de transmettre la connaissance. « Le journalisme d'aujourd'hui est contesté et contestable! », insiste-t-il.
« Et à l'heure de notre mort »
« Lorsque tu vas mourir, qu'est-ce que tu veux que les gens retiennent de toi?» Cette question, il ne s'y attendait vraiment pas. Ouf! Et le silence fut...
Il finit par répondre : « Quand je vais mourir, les seules choses que je veux que les gens retiennent sont les bons coups que j'ai faits. Les pires choses... qu'ils s'en souviennent seulement afin de ne pas répéter les mêmes erreurs! [...] La chose que j'aime le plus entendre quand quelqu'un disparaît est... qu'il repose en paix. Je pense que mon âme continuera à vivre dans la plénitude et la paix. Je ne suis pas un saint! J'aimerais juste que les gens disent de moi: Gaston était un bon gars! »
Tiré de: Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 89 à 93. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).
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