La psycho-dynamique de la conversion


Le concept central de la Criminologie Clinique est celui de la RÉHABILITATION.  Grâce à l’évolution de la science criminologique, on a vu l’intérêt principal se déplacer de l’ACTE criminel vers la PERSONNE du criminel. Ainsi la Criminologie clinique se penche-t-elle sur le problème de l’HOMME, auteur d’un crime, afin d’en connaître les multiples aspects biologiques, psychologiques, sociologiques et culturels. Le but de cette minutieuse enquête, c’est de parvenir à poser un diagnostic précis et d’élaborer ensuite un plan de traitement afin d’aider le criminel à reprendre sa place dans la société. Or, le criminel ne parviendra jamais à se réinsérer dans le circuit social qu’à la condition de changer son comportement et de réviser le système de valeurs qui sous-tend ce comportement criminel.

Changer de comportement, réviser son système de valeurs réajuster son mode d’agir à un nouveau système de valeurs, qu’est-ce donc sinon la description du phénomène extraordinaire qu’on appelle la CONVERSION ? C’est même à se demander s’il peut y avoir une réhabilitation authentique et durable sans une authentique conversion ?

Notre brève étude voudrait d’abord définir le terme de « CONVERSION » avant de mettre en lumière la psycho-dynamique particulière de ce phénomène tel qu’observé chez certains criminels. Pour terminer, nous voudrions souligner les relations qui existent entre la CONVERSION et la RÉHABILITATION.

1.Définition

La langue française emploie le terme CONVERSION dans plusieurs sens : en langage militaire, la conversion signifie « un changement de front » ; dans la marine, la conversion désigne « un mouvement circulaire exécuté par un corps de bâtiment » ; En mécanique, on parlera d’un « centre de conversion ». En d’autres domaines, on parlera de « conversion de rente », de « conversion d’équations », de « conversion de maladie ».

Dans le contexte de la présente étude, le terme CONVERSION se réfère à un phénomène psychologique très précis. Il est pris dans son acceptation intellectuelle et morale bien qu’il conserve quelque chose de son acceptation physique. En effet, dans son sens PHYSIQUE, le terme « convertir » implique l’idée de se « tourner vers » un but nouveau, soir encore l’idée de « pivoter sur soi-même », soit enfin de « retourner et revenir vers son point d’origine ».

C’est donc au sens figuré et métaphorique qu’on emploie le terme CONVERSION sur le plan intellectuel et moral. De la notion d’orientation physique, on passe à celle de changement d’orientation intellectuelle et morale.

Au figuré, le terme CONVERSION évoquera encore l’idée de « tourner son attention vers quelque chose ou vers quelqu’un ». On rencontre encore le terme CONVERSION dans le sens de « se tourner vers un but » ou marque alors un objectif, une intention finale.

Dans un excellent ouvrage « LE PROBLEME DE LA CONVERSION » (1), le Rev. Père Paul Aubin, s.j., scrute en profondeur la signification du terme de conversion tel qu’employé par les auteurs profanes et sacrés. Au terme d’une exégèse rigoureuse, l’auteur reconnaît deux types de conversions : la conversion philosophique ou profane, et la conversion religieuse ou chrétienne.  En comparant les deux, l’auteur conclut :

« Conversion philosophique et conversion chrétienne n’ont souvent
de commun que le nom ; et pourtant, l’une et l’autre sont présentées
comme un mouvement essentiel de vie spirituelle et morale…
Leur différence apparaît vite si l’on fait attention à certaines expressions
que les uns emploient plus facilement que d’autres…
Le christianisme, par exemple, unit très usuellement de mot
« épistrophe » au mot « metonoiein ». Rien de tel chez les
philosophes ou l’expression « se tourner sur soi-même » est
typique » (p.186).

En d’autres termes, la conversion chrétienne est « vers le Seigneur » et implique le dépouillement de soi-même pour adopter les idées nouvelle (métanoia) alors que la conversion philosophique ou profane se fait « vers soi-même » et implique l’idée d’une découverte progressive de ses ressources personnelles.

Dans le contexte de la psychologie moderne, il faudrait rapprocher la « conversion philosophique » a « l’insight », c’est-à-dire a un effort d’introspection et d’auto-analyse qui permet au sujet de prendre conscience de soi-même et de se situer dans le contexte global de la vie sociale.

Par ailleurs, la conversion chrétienne repose essentiellement sur la découverte de QUELQU’UN vers qui on se retourne. C’est la découverte de l’AUTRE avec qui on établit des rapports de personne à personne, et cet AUTRE c’est DIEU. C’est donc la prise de conscience de soi-même mais en face d’un AUTRE vers lequel on tend. Au lieu de se situer soi-même au sein de contingences bio-psycho-socio-culturelles, le converti se situe par rapport à une PERSONNE, qui est un absolu et dont dépend un plan universel de salut au sein duquel on a sa place précise ; une personne qui propose des valeurs nouvelles ; valeurs qui exigeront, par voie de conséquence, un comportement nouveau.

La conversion profane ou philosophique marque un certain retour à l’origine. L’homme, en se tournant vers soi-même, veut connaître sa place dans l’ensemble du cosmos. L’intelligibilité de son existence résulte de la synthèse qu’il réussit à faire autour de son point d’origine. La conversion religieuse ou chrétienne, elle, se fonde sur la découverte de DIEU et se situe par rapport à l’Alliance qui marque l’origine des rapports interpersonnels entre les deux, entre la créature et son créateur, entre l’homme et son Dieu. Le philosophe cherche à se mettre au diapason du Cosmos d’où résultera une sorte d’harmonie existentielle entre la nature et lui ; le chrétien, pour sa part, vise à se mettre en harmonie avec la volonté de Dieu, assuré par là qu’il sera en parfaite harmonie avec l’ensemble de l’univers.

II. La démarche

Que nous envisagions la conversion profane ou la conversion religieuse, il reste toujours que cette conversion est « un acte de la raison qui implique un changement radical dans la conduite et la disposition intérieure du caractère ». Il y a une prise de conscience de certaines valeurs et prise de position en face de ces valeurs de sorte qu’il en résulte chez l’individu, une nouvelle manière de voir les choses et un comportement tout différent de celui qu’il avait auparavant.

Or, ce changement, cette transformation du sujet, ne peut se faire que progressivement et par étapes. Ce qui nous intéresse plus particulièrement, au ou nous en sommes, ce n’est pas le CONTENU du système de valeurs proposé. Ce n’est pas, non plus, le mode naturel ou surnaturel selon lequel cette transformation s’opère chez le sujet en voie de conversion. Ce que nous désirons souligner, c’est la dynamique propre qui caractérise le phénomène de la conversion tel qu’observé chez certains criminels. C’est donc l’aspect psychologique plutôt que théologique qui revient ici notre attention.

On pourrait distinguer cinq phases dans la démarche de retour qu’est la « conversion » :

1-La révolte contre l’ordre existant ;
2-La prise de conscience que cette révolte est sans issue ;
3-La prise de conscience des valeurs proposées ;
4-La prise de position en face de ces valeurs ;
5-La mise en pratique de ces nouvelles valeurs.

On remarquera que la conversion ne suit pas une démarche rectiligne et ascensionnelle vers un sommet. Au contraire, il s’agit plutôt d’un mouvement d’oscillation pendulaire. C’est une marche dialectique qui procède par mode de négation et d’affirmation.

Le sujet commence par se poser en s’opposant à l’ordre existant. Mais, il se rend compte que cette opposition est stérile puisqu’elle aboutit à l’absurde. C’est pourquoi il décide de s’opposer à son propre état de misère. En s’opposant a sa misère, il cherche à se poser dans un ordre nouveau qui est le contraire de sa misère. Cependant, il ne peut s’intégrer dans cet ordre nouveau qu’en renonçant aux anciennes valeurs. Finalement, le sujet ne peut selon les nouvelles normes et valeurs que s’il renonce pratiquement à son ancien comportement. Ce n’est qu’au terme de ce mouvement d’oscillation du négatif au positif et du positif au négatif que le sujet finit par retrouver son équilibre dans la paix et la loi qui accompagnent le repos.

Chez le délinquant, comme chez le criminel, cette démarche de la conversion prend véritablement le sens d’un drame existentiel, En effet, c’est tout l’être qui est atteint : son mode de vie, sa façon de penser, sa façon d’agir, son échelle de valeurs, son image « de soi », son idéal suprême. Il s’agit, pour lui, de restructurer toute sa personnalité de fond en comble. Cela ne peut se faire sans de violentes oppositions. C’est pourquoi le mouvement oscillatoire dont nous avons déjà parlé prendra d’autant plus d’amplitude que le sujet est plus attaché à sa vie criminelle.

1-La révolte contre l’ordre existant

Le trait caractéristique de toute personnalité délinquante, c’est d’affirmer son autonomie en s’opposant à l’ordre établi. Tout ce qui compte à ses yeux, c’est de faire selon sa propre volonté, sans égard pour les autres, et surtout, sans entrave de la part des autres. Toute intervention de l’autorité devient un outrage à sa personnalité. Toute forme de contrôle devient une atteinte à sa liberté.

Il ne faut donc pas se surprendre de constater que le délinquant ou le criminel accueille avec tant d’hostilité les premières démarches du prêtre ou du thérapeute. La réaction sera d’autant plus violente que le sujet se sent plus menacé. Il se livre à toutes sortes de généralisations outrancières à l’égard des personnes qui tentent de le secourir. Il prétend qu’il veut la paix et rien ne sert de perdre son temps avec lui. En réalité, c’est sa façon à lui de crier au secours.  Ce qu’il faut par-dessus tout durant la première phase, c’est une attitude sereine, compréhensive et pleine de tact pour ménager les susceptibilités du sujet qui reviendra malgré les apparences contraires.

2-La prise de conscience que cette révolte est sans issue

L’échec de cette première approche n’est qu’un échec apparent. En réalité, le sujet a subi un choc d’autant plus grand que sa réaction a été plus violente. Ce qui le trouble surtout, c’est de voir qu’on ne l’a pas rejeté. L’angoisse qu’il en ressent remet en question l’équilibre (d’ailleurs instable) de sa personnalité. A cause de son angoisse, il va revenir auprès de son « ennemi ». Il va scruter la valeur et l’authenticité de la personne qui a osé lui parler ainsi. Progressivement, il se rend compte que sa position est absurde. Il prendra conscience, parfois avec acuité douloureuse, qu’il est privé de beaucoup de choses, principalement de sa liberté, a cause de son esprit de révolte. Sa capacité d’introspection s’avise et il se découvre toutes les misères. Le fait que sa misère est le résultat de sa volonté propre lui inspire un tel dégoût qu’il se croit irrémédiablement perdu à jamais.

Durant cette deuxième phase, le sujet continue à opposer des fins de non-recevoir à toute forme de solution que pourrait lui suggérer le prêtre ou le thérapeute. Mais on sent que la principale objection n’est plus l’obstination aveugle.  Il devient de plus en plus apparent que le sujet ressent une profonde impuissance a tout bien. Il avoue qu’on aurait pu réaliser quelque chose avec lui si on l’avait connu plus tôt, mais actuellement tout est perdu. Le succès éventuel des conseils proposés durant cette seconde phase dépendra, dans une large mesure, de la qualité des relations interpersonnelles établies à ce moment précis. Le sujet fait du « testing » pour mesurer le degré de sincérité et le désintéressement authentique qui motivent la personne qui le traite. S’il découvre la moindre faille chez cette personne, le délinquant en tirera un argument suffisant pour légitimer sa persévérance dans la voie du mal.

3-La prise de conscience des valeurs proposées

Abimer par l’absurdité de sa révolte, le délinquant ou le criminel prend progressivement conscience de ce qu’il aurait PU ETRE, de ce qu’il aurait DU ETRE. Il se surprend de n’être pas encore détruit par sa propre bêtise et commence à découvrir que l’univers n’est pas fait seulement de haine et de vengeance. Il se rend compte peu à peu qu’il y a place pour l’amour et le pardon. Mais l’unique moyen pour lui de bénéficier de cet amour et de ce pardon, c’est de se conformer aux valeurs qu’on lui a proposées durant ses heures d’angoisse. Il se plaît à comparer le bonheur relatif qu’il éprouvait plus jeune lorsque ces valeurs avaient pour lui quelque signification, avec le malheur qu’il éprouve depuis qu’il a rejeté ces mêmes valeurs. Comme l’expérience lui a prouvé hors de tout doute qu’il s’était trompé, il se voit dans la possibilité de sortir de son erreur en suivant les conseils d’un autre. Il se risque donc à accorder une certaine crédibilité au système de valeurs proposé par cet autre. Après tout, il n’y a rien à perdre. Puisqu’on ne peut plus aller plus bas, il ne reste plus qu’à monter plus haut.

Au cours de la troisième phase, le sujet perd beaucoup de son anxiété. A force de se faire répéter que tout n’était pas perdu et que seul l’effort personnel parviendrait à vaincre les obstacles, il finit par retrouver un peu de cal intérieur. A la faveur de cette accalmie, il peut réfléchir davantage au contenu du système de valeur qu’on lui propose. Il manifeste une certaine docilité à ce qu’on peut lui dire et parfois il ressent une impression de découverte sensationnelle. Le réconfort qu’il en éprouve le stimule à vouloir en savoir plus long sur la question. Ce qui caractérise sa démarche, c’est la formulation négative de son enquête. Il procède par objections et passe au crible de la critique les réponses reçues. Il semble préoccupé de savoir si la personne qui lui parle croit vraiment aux valeurs qu’elle propose. Ce qu’il analyse, ce n’est pas tellement le RAISONNEMENT mais bien le COMPORTEMENT de son interlocuteur. Ce qu’il redoute le plus, en effet, c’est d’être dupe de quelques paroles mielleuses qui ne correspondent à rien. Sa révolte n’en deviendrait que plus agressive, et son obstination dans le mal plus enracinée.

4- La prise de position en face de ces valeurs

Au terme de cette longue et pénible évolution, le sujet en arrive au point crucial de la conversion. Il avoue s’être trompé et d’avoir végété trop longtemps dans une révolte stérile. Il avoue également que tout ce qu’on a pu lui dire jusque-là est plein de bon sens. Mais reste à franchir l’étape majeure de la décision en face des valeurs proposées. Bien des liens sensibles et psychologiques retiennent le sujet dans ses dispositions antérieures. Sur le plan intellectuel et moral, il veut vraiment s’engager dans la voie nouvelle. Les valeurs humaines, sociales et morales qui lui ont été présentées, exercent sur lui un réel pouvoir de séduction. Il peut parler avec enthousiasme du bien qui l’attire et désire réellement accomplir, mais sur le plan pratique, les œuvres ne sont pas conformes aux idées.

La principale difficulté, qui compromet le succès de cette quatrième étape, c’est une fausse interprétation de l’ambiguïté que l’on constate chez le sujet. On est porté à taxer d’hypocrisie ou de lâcheté l’attitude ambivalente du sujet. Il dit une chose, mais en fait une autre ; il promet de bien faire et le voilà en rechute ; il gagne notre confiance puis semble profiter de la première occasion pour trahir cette même confiance.

Loin d’être de l’hypocrisie ou de la lâcheté, cette apparente incohérence est le signe de l’effort réel que fait le sujet pour sortir de l’ornière. Il faut plus qu’une bonne résolution pour tenir droit dans le bon chemin. Il faut des efforts, des rechutes et des relèvements. Il n’existe pas réhabilitation sans une certaine marge de récidive chez les criminels et les délinquants authentiques. C’est pourquoi, il ne faut ni blâmer, ni condamner, ni rejeter le sujet à la suite de ces récidives inévitables. L’essentiel, c’est de lui projeter une image positive de soi-même et de veiller à ce que les rechutes soient plus rares et moins graves d’une fois à l’autre. Ce à quoi il faut s’attacher avant tout, c’est l’orientation générale de la volonté du sujet. Tant que ce dernier conserve la conviction qu’il peut bien faire s’il le veut, tant qu’il croit possible de sortir de son impasse en appliquant les principes qu’on lui enseigne, la conversion est entre bonne voie.

5-La mise en pratique des nouvelles valeurs

La différence essentielle entre la quatrième et la cinquième phase, c’est que la quatrième se joue principalement au niveau de l’intelligence spéculative tandis que la cinquième se situe au niveau du jugement pratico-pratique et de la volonté expresse. Il ne s’agit plus d’une simple CONFORMATION de son esprit aux principes et aux valeurs proposées; il s’agit bien plutôt d’une CONFIRMATION EN ACTE de ces mêmes valeurs. Il a fallu quatre longues étapes pour mettre sur pied les structures d’une nouvelle personnalité en substituant des valeurs humaines, sociales et morales aux valeurs délinquantes de l’individu. La cinquième phase se concentre davantage sur le fonctionnement pratique de la personnalité globale. Le sujet éprouve une certaine crainte de s’engager à corps perdu dans la nouvelle voie. Il craint par-dessus tout, les jugements de ses anciens compagnons qui le traiteront DE DÉGONGLÉ, DE TRAITE, DE LACHE, etc… Il éprouve un certain malaise d’avoir laissé tombes ses amis d’autrefois. Il n’échappe pas à un certain sentiment de culpabilité d’avoir trahi le « gang » ou les anciens copains. Les difficultés concrètes de l’engagement humain, social et chrétien lui pèsent réellement sur les épaules au point qu’il éprouve de la nostalgie profonde de la « belle vie » du passé. Ce n’est qu’après avoir réussi cette dernière étape avec succès que l’on peut parler sérieusement de CONVERSION.

Le danger, que court le prêtre ou le thérapeute durant cette dernière phase, c’est de se montrer trop « protecteur ». Il faut amener le sujet à voler peu à peu de ses propres ailes. On jugera de la maturité de ce dernier d’après sa capacité d’autodétermination dans le bien. C’est une étape d’affranchissement progressif qui doit se terminer par l’indépendance totale du sujet à l’égard de son thérapeute. Cela n’est possible, évidemment, que si le sujet a bien réussi l’intériorisation des normes et principes de la vie normale. Il faut donc que le sujet soit exposé suffisamment aux chocs de la vie courante pour éprouver la solidité de sa conversion, sans quoi le résultat de nos efforts ne sera pas à la hauteur du but proposé.

III. Relations entre la réhabilitation et la conversion

Si on accepte que la réhabilitation soit « un processus psycho-social de rééducation et de resocialisation des personnalités délinquantes ou criminelles » il devient impossible de dissocier la RÉHABILITATION de la CONVERSION. Peut-on espérer logiquement qu’un criminel retourne à la vie normale sans qu’il ne se produise en lui de changement en profondeur. Le comportement social d’une personne n’est pas seulement le dressage de cette personne a certains réflexes conditionnés. Il faut que le comportement extérieur soit de certaines valeurs.

On peut s’attendre à ce qu’un délinquant ou un criminel change sa manière d’agir sans d’abord changer sa manière de penser et sa manière de juger le monde qui l’entoure, sans qu’il n’ait pris une claire conscience de la place qu’il occupe réellement dans l’ensemble de ce monde? Pour ce faire, il doit revenir sur lui-même et se situer dans l’univers qui l’entoure; en d’autres mots, il doit au moins se « convertir » dans le sens profane du terme.

Par ailleurs, comme il s’agit pour le délinquant de S’OUVRIR A L’AUTRE et d’intégrer dans sa personnalité globale cette perception DE L’AUTRE, il importe souverainement, pour l’efficacité et la durabilité de sa réhabilitation, que la conversion profane se prolonge et s’achève dans la conversion religieuse. En effet, cette découverte de l’Autre, cette prise de conscience d’une Personne à connaître, à aimer et à imiter, place le sujet dans une perspective beaucoup plus large et dans un climat beaucoup plus favorable à la réhabilitation complète de sa personnalité. Toutes les valeurs humaines, sociales et morales sont doublées en quelque de valeurs surnaturelles. De plus, le sujet ne se sent plus seul en face de soi-même pour vaincre les obstacles intérieurs et extérieurs a lui-même. Il peut compter sur la PRÉSENCE de l’Autre pour surmonter l’anxiété de l’isolement et surtout, il peut compter sur le SECOURS de l’Autre – la grâce – pour triompher des obstacles courants.

Il ne faudrait pas croire pour autant que la réhabilitation se limite à la conversion et vice-versa. S’il est vrai qu’il ne peut y avoir de réhabilitation efficace et durable sans une authentique conversion, il est également vrai de dire qu’une conversion sans réhabilitation n’est ni efficace ni durable. Retour sur soi-même, retour vers Dieu doivent faire partie d’un programme sérieux de réhabilitation pour le délinquant criminel. Mais ce programme de réhabilitation pour le délinquant et le criminel doit être beaucoup plus vaste et beaucoup plus diversifié que la simple conversion profane ou religieuse.

Ce qu’il reste à souhaiter, en terminant, c’est que les programmes de de réhabilitation tiennent davantage compte dans l’avenir de la nécessité d’un solide programme moral et religieux pour assurer l’efficacité et la durabilité de leur œuvre.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de la revue Trinité Liberté, Vol.6 No 3, décembre 1974, pp.7 à 15. Copie disponible chez: BANQ (PER120)

L'autonomie du Québec

Je ne me cacherai pas, fondamentalement je suis un nationaliste conservateur québécois. En figure poétique, le « Québec est mon pays, le pays de mon cœur ». Mais…


Et je dois être honnête, je suis mal à l’aise avec l’idéologie socialiste des partis politiques de gauche et de centre gauche comme le Parti québécois et Québec solidaire. Je connais trop bien les fondements de ces formations.

Au début de ma vingtaine, j’ai été président de l’aile jeunesse du Parti québécois de la circonscription de Shefford (devenue celle de Granby) et, plus tard, président de l’association de Deux-Montagnes et membre de celle de Groulx pour Québec solidaire.

Pour ce qui est du Parti québécois, en 1988, je m’y joins à la demande du député Roger Paré. Avant de m’engager, je lui dis : « Roger, je peux te donner un coup de pouce parce que me le demandes sincèrement, mais je dois être honnête : je ne suis pas très chaud à l’idée de l’indépendance du Québec… ». Il me répond, le sourire aux lèvres : « On va te convaincre… ». Je lui rétorque pour le berner : « Bonne chance! » Et j’ai travaillé bénévolement à ses côtés quelques années, mais jamais avec une grande conviction.

Pour ce qui est de Québec solidaire : Je me suis laissé simplement endormir par les beaux discours de Françoise David au début de la formation politique. Elle disait que dans QS on peut se parler ouvertement et qu’il y a de la place pour tout le monde. Foutaise! Dès que je me suis retrouvé dans les « instances officielles », mes idées de centre-droit social, économique et politique n’étaient guère appréciées. Rapidement, on m’a fait comprendre que chez les « orange » on est socialistes et communistes. J’ai rapidement déchanté.

Je reviens à mon sujet.

En ce moment, sur la question constitutionnelle du Québec, c’est d’une évidence : la majorité des Québécois ne sont pas chauds à l’idée d’un autre référendum sur l’indépendance du Québec.

Le sondage des 20-21 avril 2024 de Pallas[1] le montre bien. A la traditionnelle question : « Si un référendum avait lieu sur la souveraineté du Québec, voteriez-vous pour ou contre la souveraineté du Québec ? » 50% des répondants affirment être contre la souveraineté du Québec au niveau national, alors que le camp du Oui récolte 39% d’appui.

De plus, depuis février 2023, la maison Léger a publié neuf sondages mesurant les appuis à la souveraineté. Au cours de cette période, la proportion de répondants qui voteraient pour l’indépendance a oscillé entre 34% et 38%.[2]

Et puis, soyons honnêtes, ce rêve de souveraineté québécoise appartient au passé. L’obsession de Paul Saint-Pierre-Plamondon[3] de vouloir à tout prix tenir un référendum sur l’indépendance du Québec dans un premier mandat est la position la plus radicale qu’un chef du Parti québécois a eu depuis 1970.

En revanche, tout comme moi, les Québécois sont nationalistes. Au sein de la confédération canadienne, ils veulent que le Québec soit fort et autonome. Pour eux, le Québec n’est pas une culture parmi tant d’autres. Concrètement, en d’autres mots, les citoyens du Québec sont autonomistes et désirent continuer de cheminer au sein d’un Canada moins centralisateur. De plus, ils accordent beaucoup d’importance à la tradition et aux droits et responsabilités individuels.

Benoit Voyer
17 juin 2024


[1] Cf. Philippe J. Fournier. « Un fossé se creuse entre Québécois et Québécoises sur la question de la souveraineté - Mise à jour de la projection référendaire Qc125 : 58-42 », Québec 125, 28 avril 2024. Un fossé se creuse entre Québécois et Québécoises sur la question de la souveraineté (qc125.ca) 
[2] Philippe J.Fournier. “PSPP sert surtout son parti, moins la cause”, L’Actualité, 16 mai 2024.PSPP sert surtout son parti, moins sa cause (qc125.ca)
[3] Cf. Caroline Plante. « St-Pierre Plamondon a une position radicale, selon Duhaime », La Presse canadienne, 15 avril 2024. (Page consultée le 23 avril 2024). www.lapresse.ca/actualites/politique/2024-04-15/avenir-du-quebec/st-pierre-plamondon-a-une-position-radicale-selon-duhaime.php

Jean-Baptiste de la Conception (1561-1613)


En 1561, dans la ville d’Almodovar del Campo, en Espagne, le bienheureux Jean-Baptiste est né du saint mariage de Marc Garcia et d’Élizabeth Lopez. Élevé chrétiennement par ses parents, il montra très jeune des marques évidentes de piété et de mortification. Sainte Thérèse d’Avila qui, de passage en cette ville, se retirait chez les Garcia, l’encouragea à l’étude et aux pratiques de pénitence. Elle lui prédit même en deux circonstances qu’un jour il deviendrait le père réformateur d’une grande famille religieuse.

Stimulé dans sa ferveur, le jeune enfant pratiqua avec tant de zèle les austérités en usage à cette époque que sa frêle santé en ploya sous le faix. Son père intervint pour lui ordonner de cesser la rigueur de ses mortifications, mais Jean-Baptiste de répondre : « Si la pénitence m’a rendu malade, elle me ramènera aussi à la santé ». Et de fait, cela se produisit!

Sa grande intelligence, un des plus beaux génies de l’Espagne affirme Lopez de Vaga, se forma aux humanités et à la discipline philosophique dans les célèbres universités de Baeza et de Tolède. Élève des Carmes déchaux, il bénéficia non seulement de leur profonde culture mais aussi de leur esprit religieux. Il se décida même d’entrer dans ce saint Ordre lorsqu’un de ses parents, le P. Didace d’Avila, l’invita à s’inscrire au rang des Trinitaires chaussés.

Le 28 juin 1580, âgé de 19 ans, il revêtit la blanche bure a la croix bicolore, dans un des couvents de Tolède. Il se montra fervent religieux et disciple docile a l’école d’un professeur aussi saint que savant, le bienheureux Simon de Rojas, O.ss.t. Au terme de ses études, on lui la charge de prédicateur qu’il exerça avec un zèle tout apostolique dans la province de Castille.

Informé de l’érection d’une maison de la stricte observance telle qu’exigée par le concile de Trente, le bienheureux demanda son transfert, poussé par un désir de plus grande perfection. Sa requête fut d’abord refusée par son provincial. Mais le saint formula sa prière à Notre-Dame du remède pour obtenir enfin son envoi au couvent de Valdepagnas. La Mère acquiesça au désir de son enfant. Et voici que le bienheureux Jean-Baptiste reçoit son obédience non plus comme sujet, mais comme supérieur de la maison de la stricte observance.

Les difficultés ne tardèrent pas à surgir au sein même de l’œuvre naissante. La menace d’échec provenait surtout de ce que les religieux gardaient la possibilité de retourner en leur couvent respectif après un séjour plus ou moins prolongé a Valdepagnas. C’est pourquoi l’énergique supérieur crut nécessaire de s’adresser au Souverain pontife pour stabiliser les cadres de la réforme. Après un an et demi d’étude avec les religieux les plus éclairés et les plus saints de la ville éternelle, il présenta son projet à Clément VIII qui l’approuva par la bulle « Ad militantis Ecclesiae regimem », en date du 20 août 1599.

Toute sa vie, il s’appliqua à promouvoir le zèle pour l’observance religieuse et fonda dix-huit couvents ou il établit sa nouvelle famille religieuse réformée. Après avoir donné à ses fils spirituels les exemples les plus édifiants de charité, d’humilité, de fidélité, de pénitence, et les plus hauts enseignements mystiques contenus dans huit volumes de ses œuvres, il mourut saintement le 14 février 1613, l’âge de 52 ans.

Clément XIII a proclamé l’héroïcité de ses vertus le 10 aout 1760 et Pie VII l’a béatifié le 26 septembre 1819. Puisse notre bienheureux père réformateur recevoir avant longtemps les honneurs de la canonisation pour la gloire de la Très sainte Trinité et pour l’extension toujours grandissante de sa famille religieuse!

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, Vol. 2 No. 1, janvier-février 1955, pp. 15 et 16. Copie originale disponible a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049). Le bienheureux a été déclaré saint depuis la publication de cet article.

Dieu le Fils dans ma vie


Notre Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme, ne s’est pas incarné pour le plaisir de vivre sur la terre avec nous. S’il a quitté les splendeurs de la gloire céleste où il vivait heureux dans l’intimité de son Père, c’est qu’il voulait nous faire partager son bonheur en nous faisant partager d’abord sa vie divine par la grâce. « Je suis venu afin que vous ayez la vie, et que vous l’ayez en abondance… »

Jésus nous a tellement aimés que non seulement il nous a DONNÉ sa propre vie, mais il s’est fait lui-même notre vie. C’est dire qu’il ne veut point qu’on le considère comme un étranger mais bien comme l’être le plus intime qu’on puisse connaître et aimer. Il désire qu’on devienne des membres vivants de son Corps mystique pour qu’on reçoive constamment de lui la sève vitale et surnaturelle de la grâce.


C’est dire que Jésus doit devenir pour chacun d’entre nous la VOIE, la VÉRITÉ, la VIE : La VOIE qui nous mène à Dieu le Père, la VÉRITÉ qui nous instruit de secrets divins et la VIE qui nous anime pour l’éternité.

Notre voie
Les auteurs spirituels ont souvent comparé Jésus Christ a un PONT qui relie par ses extrémités la divinité a l’humanité. A la fois Dieu et homme, notre Seigneur comble l’abîme insondable qui sépare le Créateur de sa créature. Lui seul donc est capable de nous acheminer dans l’enceinte de la divinité puisqu’il y a part, de par sa propre nature. Seul aussi peut-il connaître la vraie route qui mène à Dieu : En effet, il répliqua fort adroitement aux pharisiens du Temple qui les questionnaient dans le Trésor : « Je sais d’où je suis venu et ou je vais. Mais vous, vous ne savez ni d’où je viens, ni ou je vais… Vous autres, vous êtes d’en bas ; Moi, je suis d’en haut. Vous autres, vous êtes de ce monde ; Moi, je ne suis pas de ce monde » (Jn 8,14.23). « Personne n’est monté au ciel que celui qui est descendu du ciel, le Fils de l’homme » (Jn 3,13).


C’est donc avec raison que Jésus déclare à ses disciples : « Nul ne va au Père, si ce n’est par le Fils ». Puisque Jésus est le seul vrai médiateur entre Dieu et les hommes, puisqu’il est le Fils unique de Dieu le Père, il est souverainement raisonnable qu’il n’y ait pas, en dehors de lui, de voie plus pure, de voie plus sainte, de voie plus courte pour aller vers Dieu le Père, SON Père qui est aussi NOTRE Père !


Notre vérité
Saint Jean ne cesse d’insister sur cette pensée que notre Seigneur Jésus Christ est le VERBE de Dieu fait chair. La deuxième Personne de la très sainte Trinité qui a daigné revêtir notre humaine nature n’est autre que la Pensée substantielle et subsistante du Père éternel. C’est pourquoi il peut dire en toute propriété du terme : « Je suis la VÉRITÉ ». Il est la VÉRITÉ même tout en étant vraiment homme comme nous !


Jésus est donc qualifié pour nous parler des vérités nécessaires à notre salut. Ce n’est pas seulement une doctrine qu’il enseigne, c’est lui-même qu’il prêche. A tel point que celui qui refuse la vérité, refuse le Fils de Dieu et que celui qui accepte la vérité, accepte Dieu lui-même : « A tous ceux qui l’ont reçu, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu : A ceux qui croient en son nom, qui ne sont nés ni du sang, ni du vouloir charnel, ni du vouloir humain, mais de Dieu par grâce…


Notre Vie
Celui qui admet le Christ Jésus comme sa VÉRITÉ ne peut faire autrement que de le considérer comme sa VIE : « Celui qui croit au Fils a la vie éternelle ». Or, cette vie, Jésus, l’a reçue de son Père, il la possède en plénitude et la donne a qui la veut. La vie divine que Jésus nous transmet est la vie trinitaire, c’est-à-dire la vie de connaissance et d’amour qui unit les trois Personnes de la Trinité dans la seule et même nature.


La vie chrétienne, modelée sur la vie de Jésus, doit être faite de connaissance et d’amour et s’épanouir en opérations vitales tout orientées vers l’approfondissement des mystères divins et l’affection sincère de chaque Personne divine. Alors seulement pourrons-nous dire avec Saint Paul : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi ».


Jean-Paul Regimbal


Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 3, 1958, pp. 5 à 7. Copie conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).


Dieu le Saint-Esprit dans ma vie


Quelle grande ville d’Amérique ou d’Europe n’a pas son monument au soldat inconnu ? Athènes, la ville de la sagesse, a possédé longtemps un autel au Dieu inconnu. Ne serait-il pas le temps que nous décidions d’ériger au plus intime de notre âme, un monument, un autel sacré a la gloire de l’illustre et divin inconnu qu’est le Saint-Esprit ? C’est à se demander si nous croyons vraiment que le Saint-Esprit est Dieu lui aussi ! Rares sont les âmes qui prient quotidiennement la troisième personne de la très sainte Trinité ; plus rares encore sont celles qui vivent de cet Esprit au point de penser à lui, de lui rendre un culte d’adoration, de se “laisser conduire par la main” comme le dit saint Paul, guidé par cet Esprit d’amour, l’Esprit du Père et du Fils dont il dérive comme d’un seul principe spiritateur.

Et pourtant, cet Esprit divin est le sanctificateur de nos âmes, le vivificateur de l’Église dont nous sommes les membres vivants, le transformateur puissant qui nous rend conformes à l’image du seul vrai Fils de Dieu en qui tous nous sommes fils du Père éternel et enfin l’intercesseur de choix qui plaide notre cause auprès de la Trinité

Sanctificateur :
Il n’y a de vraie sainteté que dans l’amour-charité. “Celui qui demeure dans l’amour, demeure en Dieu et Dieu demeure en lui” nous enseigne saint Jean. Mais il ne saurait y avoir de véritable amour surnaturel en nos âmes si Dieu lui-même ne déverse en elles le trop-plein de son propre amour. Or, on sait que l’amour en Dieu n’est autre que l’Esprit saint, la troisième personne de la très sainte Trinité qui procède des deux premières personnes par voie de spiration, par voie d’amour réciproque.

Il est donc tout à fait normal que cet Esprit d’amour opère en nous cette œuvre de sanctification : n’est-il pas lui-même la sainteté même de l’auguste Trinité dont il est l’Esprit saint ? Et cette divine personne commence à nous sanctifier dès le premier instant de notre baptême : “l’amour de Dieu a été diffusé dans vos cœurs par l’Esprit saint”. Cette œuvre de sanctification, il la continue dans le sacrement de confirmation ou nous sommes marqués de nouveau du “sceau de l’Esprit” pour que notre propre sainteté rayonne désormais sur le plan social et ecclésial.

Vivificateur :
La sainteté que l’Esprit saint que l’Esprit nous communique n’est que l’épanouissement normal de la vie divine qu’il infuse en notre être. Tous les dimanches nous disons avec le prêtre : “Je crois au Saint-Esprit vivificateur”. Mais y croyons-nous pour le vrai ?

En fait si nous y croyions sincèrement, nous comprendrions beaucoup mieux comment l’Esprit saint est en réalité l’âme de notre âme. Nous savons tous que le baptême a effectué notre incorporation au corps mystique Mystici Corporis que l’Esprit saint est véritablement l’âme du corps mystique puisqu’il l’anime de la vie divine et qu’il est à la fois tout entier dans le corps et tout entier dans chacun des membres de ce corps. C’est dire que la vie de la très sainte Trinité nous est transmise en définitive par le Saint-Esprit.

C’est cette vérité qui a poussé saint Irénée à écrire cette pensée sublime : de même, dit-il, qu’en la Trinité sainte, la vie divine procède du Père au Fils et ensuite du Père au Fils au Saint Esprit, de même recevons-nous la vie de Dieu en nos âmes, quoique de façon contraire : les baptisés reçoivent l’esprit de Dieu qui les donne au verbe, c’est-à-dire au Fils, et le Fils les présente au Père lequel leur communique l’incorruptibilité.

Transformateur :
 “L’action de l’Esprit saint dans nos âmes est si profonde que saint Paul l’appelle une “régénération”, une naissance nouvelle, une renaissance puisqu’une vie nouvelle et supérieure nous est communiquée.

En réalité, cette opération transformante de l’Esprit saint se fait selon un plan préétabli : c’est que Dieu le Père nous a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils. Or, nous ne pouvons pas être de vrais fils si nous ne sommes pas animés du même esprit dont le Fils unique du Père est rempli. C’est la raison pour laquelle Dieu le Père a envoyé son divin Esprit en nous pour que non seulement nous portions le nom de notre fils de Dieu, mais pour que nous le soyons en réalité ! Dès l’instant de notre baptême “nous avons reçu un esprit de fils adoptifs dans lequel nous nous écrions : Papa ! Père ! Et l’Esprit saint lui-même atteste avec notre esprit que nous sommes enfants de Dieu”, fils dans le seul vrai Fils par la vertu transformante de l’Esprit de Dieu.

Intercesseur :
Cependant le Saint-Esprit ne se contente pas de nous sanctifier, de nous vivifier et de nous transformer à l’image de Jésus ; Il joue un rôle bien particulier en notre faveur auprès du trône de Dieu : celui de paraclet, d’intercesseur. Ce divin intercesseur doit faire éclater la gloire de Dieu en témoignant de la vérité au plus intime des consciences. Il doit nous conduire tous vers la vérité totale pour la gloire de Jésus, l’envoyé du Père.

Et saint Paul nous assure que “l’Esprit saint vient aussi en aide a note faiblesse, car nous ne savons pas ce que dans nos prières nous devons demander ; l’Esprit saint lui-même intercède pour nous par des gémissements ineffables.” Après l’appui d’un tel intercesseur, nous pouvons avoir la certitude morale que Dieu notre Père nous entendra favorablement.

Conclusion : Puisque l’Esprit saint accomplit tant de travail dans nos âmes, n’est-ce pas honteux de voir combien peu nous pensons à lui, combien peu nous l’aimons ? Le temps est venu de prendre une résolution efficace pour restaurer en notre cœur l’autel de ce Dieu méconnu !

Le meilleur moyen de lui prouver notre dévotion envers lui serai de l’invoquer souvent au cœur de la journée pour implorer sa lumière et son secours, de lui demander avec insistance ses dons divins et ses fruits savoureux (surtout ceux de la sagesse et de la charité), enfin de le remercier pour l’œuvre secrète qu’il opère en nos âmes malgré notre ingratitude, notre insouciance et notre oubli !

“Venez Esprit saint, remplissez les cœurs de vos fidèles et allumez en eux le feu de votre amour !”

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 4, octobre-novembre 1958, pp. 4 et 5. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).

Dieu le Père dans ma vie


Nous sommes tous en marche vers l’éternelle patrie et notre court passage sur la terre n’a d’autre fin que de nous préparer le plus parfaitement possible à notre occupation céleste : connaitre, aimer et servir Dieu à jamais. Or, nous pouvons déjà commencer cette préparation lointaine au paradis en nous appliquant avec ferveur à découvrir par la prière et la méditation tout ce qui concerne l’objet principal de notre vision béatifique : la sainte et adorable Trinité. Jésus nous en a donné le secret au soir de la dernière cène : “La vie éternelle, c’est de te connaitre, o Père, toi, le seul vrai Dieu et celui que tu as envoyé, Jésus Christ”.

Père par génération
Jamais nous n’aurions su que Dieu était Père si Jésus lui-même ne nous l’avait d’abord appris : “Nul ne connait le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils l’a révélé”. Or, si le Christ a eu la bonté de nous découvrir ce secret de sa vie intime, c’est qu’il voulait que cette vérité change quelque chose dans notre vie.

Quelle complaisance n’éprouve-t-il pas lorsqu’il nous parle de son Père qui est dans les cieux. “Moi et mon Père, nous sommes un...” Le Fils ne peut rien faire de lui-même qu’il ne le voit faire au Père, car ce que fait celui-ci, le Fils aussi le fait pareillement. Oui, le Père aime le Fils, et il lui montrer tout ce qu’il fait. De même, en effet, que le Père a la vie en soi, ainsi a-t-il donné au Fils d’avoir la vie en lui”. D’autre part, Dieu le Père ne cache pas sa tendre prédilection pour son Fils qu’il a envoyé dans le monde. Il le déclare même sans ambages en deux circonstances solennelles : le baptême de Jésus et la transfiguration.

En ces deux révélations spectaculaires, Dieu fait entendre sa voix dans le roulement du tonnerre : “Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances. Écoutez-le !” Il manifeste donc clairement à la face du monde sa qualité de Père puisqu’il déclare que Jésus-Christ est son Fils unique, celui qu’il a engendré de toute éternité avant même l’apparition des astres lumineux : “ante luciferum genui te…”

Père par création
S’il est vrai que Dieu possède en propre cette qualité de Père du fait qu’il a engendré son Verbe de vie, on ne peut douter que Dieu exerce une certaine paternité à l’égard de toute la création. Saint Paul nous dit bien que c’est de lui que découle toute paternité au ciel et sur la terre.

Dieu, en effet, est notre Père par création puisque c’est en lui en vérité que nous recevons à tous les instants l’être et la vie. Jésus-Christ a souvent insisté sur cette idée pour nous faire comprendre notre souveraine dépendance de Dieu. Le sermon sur la montagne en est l’exemple le plus lumineux.

“Aimez vos ennemis et ceux qui vous persécutent. Ce faisant, vous deviendrez les fils de votre Père qui est dans les cieux, car il fait lever son soleil sur les bons et les méchants et tomber la pluie sur les justes et sur ceux qui ne le sont pas. Vous donc soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait...” “ Ne vous inquiétez pas du boire et du manger, car votre Père céleste sait que vous avez besoin de tout cela...” “Si donc vous, tout mauvais que vous êtes, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il ce qui est bon a ceux qui le lui demanderont”.

Ajoutons à cela les merveilleuses paraboles que le Christ a composées pour nous faire saisir plus clairement comment son Père nous aime malgré nos misères et nos péchés : par exemple la parabole de l’enfant prodigue, celles de la vigne et du vignerons homicides sans compter les enseignements explicites du Christ sur ce point.

Ainsi donc, toute créature peut revendiquer Dieu pour Père et c'est déjà une grande consolation de savoir que Dieu n’est pas seulement un juge sévère et un maitre rigoureux, mais qu’il est surtout un Père aimant de qui procède toute vie et tout bien.

Père par adoption
Mais le message le plus bouleversant, le plus révolutionnaire que le Christ ait lancé sur terre, c’est bien que son Père à lui, la première personne de la très sainte Trinité, est aussi notre Père a chacun de nous dans la mesure où nous vivons de sa vie divine : la grâce surnaturelle. En effet, au jour de l’ascension, le christ n’a-t-il pas affirmé devant ses apôtres : “ Voici que je retourne à mon Père qui est aussi votre Père”.

Bien sûr, Jésus n’entendait pas signifier que nous étions, comme lui, fils du Père par voie de génération, mais bien fils du Père par adoption. Saint Paul nous en avertit lorsqu’IL dit dans son épitre aux Romains “Vous avez reçu un esprit de fils adoptifs dans lequel nous nous écrions : Abba ! Père !”

Mais cette paternité adoptive est si efficace que Dieu le Père nous la communique par la grâce, une participation réelle a sa nature divine au point que nous vivons de sa vie trinitaire. Fort de cette conviction, saint Jean n’a pas cessé de répéter : “voyez combien est grand l’amour que le Père nous a témoigné, puisqu’il a voulu non seulement que nous soyons appelés ses enfants, mais que nous le soyons en effet”

Nous ayant appelés à participer de sa propre vie intime, le Père nous a prédestinés à être conformes à l’image de son Fils bien aimé. C’est dire qu’il nous enveloppe tous du même amour dont il aime de toute éternité son Fils unique.

Qu’est-ce qui se dégage de ces sublimes vérités ?

Conclusion
Puisque Dieu est mon Père non seulement par création, mais même par adoption, je dois l’aimer d’un amour filial. Toute ma vie doit s’écouler sous le signe de l’amour et de la confiance à l’égard de mon Père. Si ce Père bien aimé est la source, le principe de ma vie naturelle et surnaturelle, il doit en être la fin, le terme bienheureux. Une résolution s’impose donc à mon cœur d’enfant : « J’irai vers mon Père ». Quelles que soient mes fautes, mes misères, mes faiblesses, je suis sûr de trouver dans le cœur de Dieu un cœur de Père qui pardonne tout à son enfant repentant.

Quelle douceur m’inspire ce nom de Père ! Mes prières en gagnent toute la suavité puisque prier c’est ouvrir son cœur à son Père. Et le ciel, mais c’est tout simplement la maison de mon Père ou je retrouverai enfin celui vers lequel je tends de tout mon être, de toute mon âme d’enfant.

Ah ! Ne comptons pas avec notre Père du ciel ! Entrés dans sa famille par la grâce de l’adoption, nous ne sommes plus des serviteurs qui travaillent pour un salaire. Nous sommes des enfants que l’amour seul doit guider. Les intérêts du bon Dieu, sa gloire, son beau règne dans les âmes, voilà notre ambition.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 2, 1958, pp.7 à 9. Disponible a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).

Le culte de Notre-Dame du Rachat au Canada


La dévotion a la reine du ciel et de la terre sous le titre de Notre-Dame du remède s’établit dans tous les lieux où se rencontrent les religieux de l’Ordre trinitaire. C’est que, en effet, cet Ordre lui voue un culte spécial en tant que patronne et protectrice de cet institut.

Chose surprenante cependant, le nom de la Vierge de « Los Remedious » précéda de plusieurs siècles l’arrivée des Trinitaires au Canada. En 1775, un explorateur espagnol Juan Perez fut envoyé par le vice-roy du Mexique pour explorer la côte ouest du Canada. Au cours de cette expédition, un des membres de son équipe, portant le nom de Quadra, place sous le patronage de la Vierge de « Los Remedious » le point majestueux qu’il vient de découvrir. Le malheur veut toutefois que cette baie profonde perde son illustre titre en 1778 lorsque le capitaine Cook lui impose le nom anglais de « Bau of Islands ».

Quoi qu’il en soit de ces préludes séculaires, nous pouvons parler avec plus de détails de l’effort tenté par les premiers religieux trinitaires au Canada français pour faire mieux connaitre et mieux aimer la douce Vierge du Remède.

Le premier monument du culte à Notre-Dame du Remède à Montréal est conservé à la paroisse Saint-Jean-de-Matha de Ville-Émard. Il s’agit d’une peinture représentant la Vierge assise sur un trône drapé de riches tentures qui présente à saint Jean de Matha une bourse d’argent pour le rachat des captifs. L’auguste reine tient dans ses bras l’enfant Jésus qui porte dans ses mains potelées un scapulaire blanc a la croix rouge et bleue. Cette œuvre est due au pinceau du R.P. Pie de la Trinité, deuxième curé de la paroisse, dont le talent s’efforça de reproduire une toile originale gardée dans l’ancien couvent de Saint-Thomas-in-Formis.

C’est devant cette image pieuse que vinrent quotidiennement prier les premiers novices canadiens revêtus de l’habit trinitaire. Toutefois, le rayonnement de cette dévotion ne pouvait pas facilement, dans les circonstances pénibles de la fondation naissante, dépasser de beaucoup le cadre restreint de la communauté et de la paroisse.

Avec le développement de la communauté, il devint plus facile de propager un peu plus le culte et la dévotion si chers à l’Ordre trinitaire. Lorsqu’en 1940, le R.P. Antonin de l’Assomption fut désigné comme supérieur du couvent de Saint-Bruno, il mit de tout son cœur et son énergie à obtenir une statue représentant la Vierge du Remède. Il s’adressa aux révérendes sœurs de Notre-Dame du perpétuel secours (Saint-Damien-de-Bellechasse) pour réaliser l’exécution de ce projet.

La révérende sœur Sainte-Émérentienne n.d.p.s. accepta la tâche délicate de mouler pour lui une statue d’après le modèle de la vierge Marie vénérée à Marseille et dont l’image avait été envoyée au Canada par le R.P. Ludovic de Saint-Joseph. La religieuse artiste put sortir de ses ateliers une réplique de Notre-Dame du Remède admirable de douceur et de suavité, statue qui fut bénite solennellement le 17 août 1941 et installée aussitôt dans le couvent de Saint-Bruno (Chambly).

Le père Antonin ne se contenta pas de cette première œuvre. Il voulut diffuser le culte de Notre-Dame du Remède en faisant imprimer des images de divers formats représentant la statue réalisée en 1941. Mais le père, plein de zèle, n’eut de repos que le jour ou il vit enfin sortir des presses un feuillet en l’honneur de la vierge du Remède comprenant, outre la reproduction déjà connue, le chant du Salve Regina propre à l’Ordre trinitaire, avec versets et oraison, un bref historique de cette dévotion peu répandue et diverses autres prières à l’usage des fidèles.

Voici déjà vingt-cinq ans que les Trinitaires se dévouent auprès des paroissiens de Saint-Jean-de-Matha. La paroisse, berceau de l’Ordre au Canada, fête en 1949 le vingt-cinquième anniversaire de fondation. L’occasion est toute désignée pour offrir un gage de reconnaissance à Notre-Dame du Remède. Grace aux soins de la maison Carli, la statue de Notre-Dame revêt une nouvelle forme. Parée d’un diadème royal, la vierge du Remède pour l’habit tricolore de l’Ordre trinitaire. C’est au cours de l’anniversaire d’argent, un peu avant la messe de minuit dans la soirée du 7 au 8 septembre, que la statue fut bénite par le révérendissimes père Ignace du Très-Saint-Sacrement, ministre général de l’Ordre de la très sainte Trinité.

A l’approche de l’année sainte, un nouveau projet marial prend racine dans le cœur d’un trinitaire canadien. Elaborée dans la réflexion et la prière, l’œuvre de Notre-Dame du Remède ou du rachat s’organise sous l’impulsion du révérend père Pierre de la Nativité, vicaire provincial des Trinitaires au Canada :

« L’œuvre de Notre-Dame du rachat a été fondée pour répondre au désir de sa sainteté Pie XII, qui déplore avec une immense tristesse ce renversement de l’ordre social, et elle a pour but de faire prier pour les captifs et leur libération, pour la conversion des persécuteurs et, enfin, pour le retour de la Russie a la foi catholique ».

La chapelle de Notre-Dame du Remède qui sert de centre spirituel a l’œuvre est bénite en la fête patronale de la vierge trinitaire, le 11 octobre 1950. Une assistance imposante témoigne à notre bonne mère le désir sincère qui nous anime de répandre son culte au Canada. Plus d’un millier de membres se sont déjà inscrits dans l’œuvre de Notre-Dame du Remède (du Rachat) depuis sa fondation.

A la paroisse Saint-Jean-de-Matha revient le mérite d’avoir témoigné le zèle le plus empressé pour diffuser chez les fidèles la dévotion mariale propre aux Trinitaires. Une heureuse initiative est lancée en 1956 par le dynamique curé, P. Germain de l’Immaculée-Conception. Il s’agit d’introniser la petite statue de Notre-Dame du Remède dans les foyers de la paroisse. Une réponse spontanée fait écho a l’appel du pasteur. La Vierge du Remède domine en reine dans plus de cent cinquante famille aux quatre coins de la paroisse.

Puisse la vierge Marie bénir l’apostolat et le dévouement de ses religieux pour que non seulement soit honoré son nom très doux, mais aussi pour que la gloire et la louange de la Trinité sainte retentissent en tous lieux dans notre bien-aimée patrie.

O Notre-Dame du Remède, sanctuaire de la très sainte Trinité, accordez a toutes les âmes d’être sur la terre un temple vivant de la divinité pour bénir éternellement le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Ainsi-soit-il.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 4, octobre-novembre 1958, pp. 20 a 22. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska (Fonds P049).

François-Xavier de l'Immaculée Conception (1858-1954)


L’année 1958 nous ramène deux grands centenaires : pour nous les fidèles du monde entier, celui des apparitions de la Vierges à la grotte de Massabielle. Pour tous les religieux de l’Ordre trinitaire, spécialement ceux du Canada français, celui de la naissance de l’illustre ministre général de regrettée mémoire, le T.R.P. François-Xavier de l’Immaculée-Conception.

C’est le 5 juin 1858 que nait, dans le petit village de Woerth en Alsace, un fils à M. Xavier Pellerin et a son épouse Barbara Lienhart. Élevé chrétiennement par ses dévoués parents, le jeune Xavier, car c’est son nom, fait son entrée au Collège apostolique d’Amiens après avoir terminé ses études élémentaires dans son village natal. Les pères Jésuites qui régissent l’établissement forment l’adolescent a la culture classique. Et dirigent sa vie spirituelle vers l’acquisition des solides vertus.

La vocation
Or, voici qu’à l'âge de dix-huit ans, Xavier ressent les premiers appels à la vocation religieuse. Le passage du R.P. Calixte de la providence, unique profès simple du Couvent de l’Ordre trinitaire a Cerfroid, en fournit l’occasion. Ce digne religieux adresse aux élèves d’Amiens une touchante allocution ou il évoque le glorieux passé de l’Ordre trinitaire au service des esclaves et des malheureux. Après la conférence, Xavier se rend chez le P. Calixte pour lui faire part de son désir d’entrer dans cet Ordre vénérable. Le P. Visiteur recommande au collégien d’étudier davantage sa vocation avec l’aide de son directeur de conscience, le R.P. Barbelin, s.j. Ce dernier, loin de mettre obstacle aux ambitions du jeune alsacien, lui donne pour réponse : « Lorsque le R.P. Calixte parlait de son Ordre et de sa mission de générosité, je me suis dit : Voilà quelque chose qui ferait l’affaire de Xavier Pellerin ». Il n’en faut pas tant pour encourager le vibrant aspirant à suivre le P. Calixte à Paris puis a Cerfroid.

Dans la solitude de Cerfroid, sanctifié jadis par nos saints patriarches Jean et Félix, Xavier murit sa vocation au milieu des épreuves et des humiliations. Se voyant soudainement en face de rien après trois longues années de probation, le postulant écrit au révérendissime P. Général, Benoit de la Vierge, pour connaitre exactement ce qu’il doit faire. Le supérieur lui enjoint aussitôt l’Ordre de rentrer à Rome pour commencer son noviciat canonique. Privé de toute assistance matérielle, le courageux postulant doit quêter lui-même son passage pour exécuter l’ordre de son supérieur présomptif.

Reçu chaleureusement dans la ville éternelle après un long et pénible voyage, Xavier Pellerin se voit accorder la faveur de commencer son noviciat à Palestrina, le 25 janvier 1880, sous le nom de Fr. François-Xavier de l’Immaculée-Conception. Un an plus tard, le 28 janvier 1881, il émet ses simples et termine ses études théologiques au Séminaire diocésain du cardinal Luco.

Le 24 juin 1883, en vertu d’une dispense du Saint-Siège, le père François-Xavier reçoit la grâce du sacerdoce en l’église Sainte-Luce des mains de Mgr Macchi, évêque auxiliaire de Palestrina. L’heureux élu connait aussi la joie de célébrer sa première grand-messe solennelle dans l’église de N.-D. de Guebwiller en présence de sa sainte vénérée maman. Devant tant de grandeur et de solennité, la pieuse mère avoue à son grand garçon : « Si jamais j’avais pu prévoir un tel bonheur, je n’aurais jamais pleuré de ma vie ».

Enfin, le 28 février 1884, en la fête de sainte Agnès, patronne principale de l’Ordre, le père François-Xavier termine le cycle de sa formation religieuse. Il prononce ses voeux solennels dans l’Ordre de la très sainte Trinité entre les mains de son supérieur, le R.P. Grégoire de Jésus et Marie, lui-même futur général de l’Ordre.

Les échanges
Les autorités de l’Ordre ont tôt fait de reconnaitre en ce religieux exemplaire, une âme de feu et un tempérament de chef. C’est pourquoi dès sa sortie du scolasticat, on lui confie sans hésiter la charge de maître des étudiants au Collège Saint-Étienne des Abyssins à Rome. Fort de l’expérience qu’il y a acquise, le père François-Xavier se prépare admirablement bien (à son insu) à présider aux destinées de ce couvent célèbre comme ministre conventuel de 1891 à 1894.

Ses qualités exceptionnelles le signalent même à tous les religieux de la province italienne. Bien qu’il soit français par la langue et la culture, le P. Xavier se voit élire à la haute fonction de ministre provincial de la province italienne de saint Jean de Matha des 1894 et se fait réélire pour un second triennat jusqu’en 1900. Durant son provincialat, le P. Xavier acquiert à l’Ordre les deux maisons d’Anagni et de Gorga.

L’office de provincial n’empêche pas le P. Xavier d’exercer son zèle et son apostolat au point de prêcher des retraites et des carêmes. C’est même après le carême de 1898 dans la cathédrale d’Anagni que le digne prédicateur reçoit l’invitation de se rendre à Faucon, terre bénie qui a vu naitre saint Jean de Matha, pour présider aux fêtes du 7ieme centenaire de la fondation de l’Ordre. Durant cette célébration, on dévoile un monument dédié à la mémoire de l’illustre fondateur des Trinitaires. Le vénéré P. provincial demeure à Faucon jusqu’au moment de l’expulsion des religieux en 1900.

Loin de se décourager, le saint religieux met tout son espoir en la divine providence et tente, en retour, une fondation sur le sol d’Autriche. Il y restaure l’ancienne province de Saint-Joseph fondée 214 ans plus tôt et supprimée depuis 117 ans déjà. De 1900 à 1917, le P. Xavier peine ardument pour ouvrir les deux maisons de Vienne et d’Augustendorff.

Mais la Trinité sainte qui a forgé dans le creuset de l’épreuve l’âme de son apôtre, dispose avec suavité des événements qui conduiront le 20 mai 1919 le T.R.P. François-Xavier de l’Immaculée-Conception a la suprême prélature de l’Ordre

Pendant douze ans, de 1919 à 1931, le T.R.P Xavier ne cessera de travailler à l’expansion de l’Ordre trinitaire dans le monde. Bien que les effectifs de l’Ordre soient très humbles, il décide avec audace et surtout avec esprit de foi de jouer le tout pour le tout. Et suit la période des fondations successives à Marseille (1922), à Montréal (1924), a Miarinarivo (1926), les trois visites en Amérique du Nord et la restauration de deux maisons chères à l’Ordre : Saint-Chrysogone, la maison généralice et Saint-Thomas-in-Formis ou mourut Jean de Matha.

La fondation canadienne
Pour ceux qui ne vivent pas habituellement de l’esprit de foi, la fondation canadienne peut paraitre téméraire, voire même chimérique. Mais le P. Xavier qui ne cesse de se recommander à la providence de Dieu, cherche un moyen efficace pour sauver l’Ordre de l’extinction totale. Admis en audience privée auprès de sa sainteté Pie XI, le 14 avril 1924, il expose ses problèmes au chef suprême de l’Église. Pour toute réponse ce dernier lui déclare : « Si vous voulez des religieux, des missionnaires, allez-vous implanter au Canada. Le Canada est un jardin fertile pour les vocations religieuses, missionnaires. L’âme canadienne est foncièrement chrétienne, intrépide, généreuse et apostolique. Allez au Canada. »

Le révérendissime père quitte Rome le 21 avril suivant pour le Canada avec l’intention d’accepter la fondation d’une paroisse que lui offrait son excellence Mgr Georges Gauthier, administrateur du diocèse de Montréal. Le dimanche 4 mai de la même année, notre distingué voyageur est à Québec puis le 6 dans la métropole.

Son excellence Mgr l’archevêque l’accueille avec une bienveillance toute paternelle et lui confie la paroisse dont il a été question antérieurement. Le 11 mai 1924, le révérendissime père Xavier prends officiellement possession de la nouvelle paroisse qui est érigée sons le patronage de Saint-Jean-de-Matha.

Pour stabiliser sa fondation canadienne le révérendissime père Xavier veille a la rédaction de l’acte d’incorporation civile de l’Ordre trinitaire, le 4 avril 1929. On y lit notamment cette clause, véritable testament spirituel légué par le T.R.P. Xavier a ses fils du Canada : « La mission de cet Ordre est de s’occuper du rachat des captifs, d’œuvre de charité, d’aide et de secours aux immigrants, de s’intéresser au sort et de vaquer à la moralisation des prisonniers… »

Au déclin du grand jour
Malgré ses deux termes comme ministre général de l’Ordre, le T.R.P. Xavier ne goute pas au repos en 1931. Au contraire, il se voit assigner la fonction de premier définiteur général. Ses occupations nombreuses ne l’empêchent pas pour autant de produire des œuvres littéraires. On doit à sa plume des œuvres en français, en Italien et en allemand, toutes marquées au coin, de son grand amour pour l’Ordre trinitaire et ses saints fondateurs.

Usé par les travaux d’une vie consacrée exclusivement a la gloire de la très sainte Trinité, le P. Xavier est atteint de paralysie le 5 février 1934. Dans sa confiance d’enfant, il adresse des supplications instantes à saint Jean de Matha de bien vouloir le délivrer de son mal. Trois jours plus tard, en la fête du saint apôtre des captifs, le T.R.P. François-Xavier Pellerin de l’Immaculée-Conception quitte cette terre vers sept heures du matin en notre couvent de Saint-Chrysogone, à Rome. Hommage a sa vénérée mémoire.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 3, 1958, pp.13 à 17 Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).

Vers le père, par le Fils, dans le Saint-Esprit


Voici que nous terminons, avec cet article, la série intitulée : “La Trinité dans ma vie”. Comme nous le disions précédemment, dans notre premier article : le mystère de la très sainte Trinité est le premier et le plus grand des mystères de notre foi ; il est le soleil resplendissant qui éclaire tous les autres mystères. Si Dieu a pris la peine de nous révéler ce secret de sa vie intime, c’est qu’il a voulu que cette lumineuse vérité éclaire, réchauffe et vivifie notre âme, notre propre vie intérieure.

Dans cette perspective trinitaire, on sait quasi-naturellement que la vie spirituelle du chrétien n’est rien d’autre que l’ascension de l’âme vers le Père, par le Fils, dans le Saint-Esprit.

Vers le Père
Il est touchant de lire la consolante parabole de l’enfant prodigue. Combien profitable pour nous demeure cet exemple du plus misérable des hommes qui soudainement décide de rompre avec sa condition sordide pour retourner en toute humilité et repentance a la maison paternelle : “Ibo ad Patrem: J’irai vers mon Père et je lui dirai : Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi. Je ne suis pas digne d’être regardé comme ton fils. Fais de moi l’un de tes serviteurs” (Lc 15, 18-19).

Tel doit être le premier geste de l’âme : reconnaitre sa misère, sa faiblesse native, puis prendre la décision énergique d’en finir avec sa vie passée pour dire elle aussi : “J’irai vers mon Père”.

Par le Fils
Une fois que l’âme a réussi à se fixer un but bien déterminé, elle s’applique à découvrir le moyen le plus efficace pour l’atteindre. Or, l’évangile, les épitres et la sainte liturgie ne cessent de répéter sur tous les tons que Jésus Christ est la voie, la vérité, la vie, l’unique médiateur, le seul pontife qui doit conduire les hommes vers le Père : “Nul ne va au Père si ce n’est par le Fils.”. C’est pourquoi la liturgie nous remet constamment sur les lèvres la formule finale : “Per Christum Dominum Nostrum: Par Jésus-Christ, notre Seigneur”.

Ainsi l’enquête de l’âme sincère prend vite fin car elle reconnait que le Christ Jésus est le seul qualifié à la conduire vers sa destinée éternelle. Lui seul, en effet, a franchi l’abime infini qui sépare Dieu de l’homme. Homme et Dieu a la fois, il est le pont jeté sur cet abime afin de permettre aux hommes de retourner à Dieu après s’être lui-même rendu auprès des hommes.

Engagée dans la voie purgative par sa décision courageuse, l’âme progresse maintenant dans les sentiers de la lumière, la voie illuminative, par Jésus-Christ Notre Seigneur. Elle est éclairée par les clartés de sa doctrine, elle est vivifiée par la vertu de ses sacrements, elle est transformée par la puissance de son exemple et elle est incorporée a lui par la grâce de la filiation dont sa propre filiation adoptive est une participation réelle bien qu’analogique.

Dans le Saint-Esprit
Sous l’action transformante de la grâce, l’âme s’élève enfin dans les régions béatifiantes de la vie unitive. Sa marche résolue dans la voie de la vérité la conduit bientôt dans la plénitude de la vraie vie, selon le vœu ardent du Christ: “Je suis venu afin qu’ils aient la vie et qu’il l’aient en en abondance”.
Or, la vie que Jésus vient de nous communiquer n’est autre que la vie divine de la très sainte Trinité, vie d’amour réciproque entre son Père et lui, vie consommée dans l’unité de leur commun Esprit.

Entrainée dans ce courant vital, l’âme se dépossède en quelque sorte d’elle-même pour s’abandonner à l’activité de Dieu en elle. Elle se laisse conduire par la main sous l’impulsion de l’Esprit saint comme l’enfant se laisse guider sous la direction de sa mère. O admirable passivité de cette vie unitive. O intense activité, o inépuisable fécondité de cette union mystique entre l’âme et son Dieu. O paix, o suavité de cet état sublime ou l’Esprit opère sans entrave dans l’âme qu’il habite sans partage.

Conclusion
Voilà, âme chrétienne, a quelle notre destinée la Trinité sainte t’appelle depuis l’instant de ton baptême ou, incorporée au Christ, tu es devenue la fille du Père, le temple de l’Esprit, le sanctuaire sacré de la très sainte Trinité.

Tout cela demeure pour toi du réel et du réalisme pour peu que tu te rendes compte des richesses qui sommeillent en toi, inexploitée, infructueuses, inappréciées quoique inappréciables. Hâte-toi d’inventorier tes trésors pour commencer, dès aujourd’hui ta progressive ascension vers Dieu le Père, par Dieu le Fils, dans le Saint-Esprit.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 5, décembre 1958 et janvier 1959, pp.6 à 8. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).

Apôtre inconnu


- Ma décision est prise ! J’entre la semaine prochaine chez les Frères convers.

- Pas possible ! A ton âge ! Un garçon aussi doué que toi ! C’est de la folie, voyons ! Aller s’enterrer vivant dans un monastère pour devenir le cireur de bottes de ses confrères ? Tu perds la tête ?

- Mais pas du tout. De toute évidence, tu n’y comprends rien. Cela ne me surprend pas car notre Seigneur disait a ses disciples : “Celui-là seul à qui il aura été donné de comprendre, comprendra !” Je vois bien que tu n’es pas de ceux-là … Ce qui est folie aux yeux des hommes est sagesse aux yeux de Dieu. Il faut en prendre son parti !

Bien répondu, cher ami. Que ta réponse parvienne à tous ceux qui trouvent objection à ce qu’un jeune homme décide de se consacrer corps et âmes au service de Dieu dans les rangs des Frères convers.
Il est particulièrement triste de voir venir ces objections de la part de ceux-là mêmes qui devraient être les promoteurs de vocations religieuses au milieu de notre jeunesse. Que de parents ont essayé ainsi de détourner leur grand gars de poursuivre la route du plus grand amour ; que de pasteurs ont découragé les enthousiasmes de leurs jeunes en couvrant de ridicule la légitime ambition de ceux qui aspiraient à la vie religieuse du frère convers.

Et pourtant cette vocation est à la fois évangélique, noble et sublime !

Vocation évangélique
L’idéal de pauvreté, de chasteté et d’obéissance que le Christ a proposé à ses disciples n’apparait pas comme un commandement imposé aux prêtres ou aux évêques de l’Église naissante. Il est contraire suggéré comme un conseil à ceux - prêtres ou fidèles - qui aspirent à imiter de plus près leur divin modèle : “Si tu veux être parfait, va, vends tous tes biens, prends ta croix et suis-moi !”

Le Christ lui-même a énoncé les moyens les plus efficaces de parvenir au sommet de la perfection chrétienne : pauvreté : vendre tous ses biens ; chasteté : devenir eunuque volontaire pour le royaume de Dieu ; obéissance : se renoncer soi-même par amour pour Jésus. (Mt 19,21. 19, 10-12. 16,24).

Et Pie XII explicite l’enseignement du Seigneur en affirmant : Ce n’est pas parce qu’il est clerc, mais parce qu’il est religieux que le clerc régulier professe la condition et l’état de perfection.” (Allocution aux membres du 1er Congrès international des religieux, 8 décembre 1950). Peut-on dire plus clairement et avec plus d’éloquence que le religieux, en tant que religieux, a une valeur propre aux yeux de Dieu et de son Église, du fait qu’il s’engage publiquement et officiellement dans l’état de perfection ?

Vocation noble
Devenir religieux – a quelque titre que ce soit – c'est faire preuve de noblesse d’âme. Car celui qui assume les responsabilités de cet état doit prouver au préalable qu’il est inspiré par des motifs surnaturels : l’amour de Dieu et le salut des âmes. L’Église elle-même impose cette condition lorsqu’elle exige du candidat à la vie religieuse la pureté d’intention. Un monastère n’est pas “une espèce de maison de retraite pour les désabusés, les neurasthéniques, les misanthropes ou viennent pleurer leurs déceptions tous les laissés pour compte. Pourquoi les cloitres ? Mais pour recevoir les âmes qui brulent d’un trop grand amour de Dieu et qui ont besoin d’un champ d’apostolat vaste comme le monde, les âmes qui ont compris les profondeurs du mystère de la rédemption en voyant le Christ plonger tout son être dans une accumulation étonnante de douleurs, et se courber sous la mort pour sauver le monde.” (P. Jacques, o.c.d.)

Vocation sublime
Celui qui embrasse la vie religieuse – clerc ou convers – entend prendre par-là les moyens qui l’assureront de parvenir à la perfection de la vie chrétienne. C’est une âme d’aigle, assoiffée des sommets, éprise de sainteté, animée de charité. Elle quitte tout pour rejoindre d’un coup d’aile vigoureux celui qui seul est son unique bien et son amour total. Voilà pourquoi il n’y a pas de place dans la vie religieuse pour les paresseux, les mous, les lâches, les blasés, les découragés, les efféminés. Voilà la raison profonde pour laquelle il y a dans l’Église une pénurie de vocations.

Puissent ces quelques lignes apporter lumière et réconfort à nos jeunes qui désireraient se faire religieux mais qui ne trouvent pas l’appui qu’ils attendent de leur entourage.

L’Église a besoin de religieux! Et la qualité de religieux – qu'il soit prêtre ou convers – est une richesse dont bénéficie tout le corps mystique par l’intensité de la charité qui inspire à la fois à sa consécration et sa persévérance!

Sa sainteté le pape Pie XII, de regrettée mémoire, déclarait le 8 décembre 1950: “Que personne ne soit poussé malgré soi à se donner à cette consécration. Mais si quelqu’un le veut, qu’il n’y ait personne pour l’en détourner”.

Nous demandons également à tous ceux qui ont charge d’âmes de se faire les apôtres et les promoteurs de vocations religieuses dans notre jeunesse moderne, Il existe aujourd’hui autant de vocations qu’autrefois; seulement un plus grand nombre d’entre elles se perd faute de lumière, de direction et de nourriture. Dieu vous a confié la tâche digne entre toutes d’être le père d’une foule d’âmes. A vous revient donc la responsabilité de guider ces âmes dans la voie de Dieu.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 6, février et mars 1959, pp.3 à 5. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska (Fonds P049).

La Trinité dans la vie du frère convers


« Moi, frère N.…, je fais ma profession solennelle et je promets obéissance, chasteté et pauvreté à la très sainte Trinité”. Voilà en quels termes le religieux trinitaire consacre librement sa personne et ses biens au service de son Ordre. Authentique religieux, le frère convers s’engage à remplir ces trois obligations fondamentales dans un grand esprit d’union à Dieu. Il sent le besoin de la prière, de la méditation, en un mot, d’une véritable spiritualité a ses dimensions pour être constamment à la hauteur de sa sainte vocation.

Puisque le mystère de la très sainte Trinité est le mystère primordial de notre foi, il est normal de chercher de ce côté pour puiser des éléments de spiritualité dans la contemplation de cette souveraine vérité

Dieu le Père :
Ce qui nous permet de nous faire une certaine idée de la première personne de la très sainte Trinité, c’est le fait qu’elle engendre de toute éternité un Fils en tout semblable a elle-même. Cette génération est toute spirituelle – quoique véritable - puisqu’elle transmet la vie du Père a celui qui est engendré, non selon la chair, mais selon l’Esprit.

Le mystère de cette génération ineffable jette l’âme dans une admiration muette et la ravit à elle-même. Se consacrer à Dieu le Père par le vœu de chasteté, n’est-ce pas en quelque sorte rendre un hommage à cette génération d’un ordre si élevé qu’elle fait pâlir tout autre mode de génération ? Celui qui sacrifie par le vœu de chasteté toutes les joies de la paternité sait qu’il renonce à un bien normal et légitime pour lui préférer un plus grand bien : celui d’engendrer spirituellement des enfants de Dieu par son apostolat caché

Dieu le Fils : 
La deuxième personne de la très sainte Trinité est la pensée de Dieu le Verbe de Dieu comme l’appelle saint Jean. Cette parole est l’expression si parfaite de toute la richesse du Père qu’elle l’épuise totalement dans cet unique concept. Le Fils n’est que l’expression vivante et personnelle de la pensée du Père.

Par son vœu d’obéissance, le religieux consacre au Fils tout ce qu’il est au plus intime de lui-même pour se conformer le plus exactement possible au Verbe de Dieu, a la Parole du Père. Désormais plus rien ne comptera pour lui hors de cette parole divine exprimée par la bouche de ses supérieurs légitimes. Par son obéissance, le religieux devient en quelque sorte “un miniature” du verbe fait chair, de la parole divine incarnée dans un homme mortel, puisque toute sa vie durant, il s’efforcera d’incarner la volonté de Dieu sur lui-même.

Dieu le Saint-Esprit :
Enfin, la troisième personne de la très sainte Trinité est caractérisée par le don souverain de l’amour du Père à l’égard de son Fils et du Fils à l’égard de son Père : don mutuel d’une richesse vitale qui dépasse tous les dons de la nature et de la grâce.

C’est stimulé par ce don sans égal que le religieux est prêt à troquer les misérables dons de la terre contre ceux de l’éternité. Par une décision libre et lucide, le religieux renonce aux richesses matérielles et consacre à Dieu sa personne et ses biens par le vœu de pauvreté. Don inspiré de l’amour qui se consomme dans l’amour, tel est le geste de celui qui prononce effectivement le vœu de pauvreté. En face du don subsistant et éternel de l’Esprit saint, sa propre offrande lui parait bien minime mais elle reste malgré tout l’expression d’une dévotion sincère et intégrale qui ne sait se limiter que dans le donc total.

Unité et Trinité :
Par cette triple consécration de son corps, de sa volonté et de ses biens, le religieux réalise en quelque sorte une synthèse merveilleuse qui aboutit à l’union permanente avec Dieu. Vivre de Dieu, en Dieu et pour Dieu, voilà l’idéal du religieux véritable. Dépouillé de tout ce qui n’est pas Dieu il peut, maintenant, allégé de cette cangue misérable, s’élever à grands coups d’ailes vers les sommets de la vie contemplative ou son âme peut vivre dans la continuelle présence de l’auguste Trinité qui l’habite par la grâce.

“O mes trois, mon tout, solitude infinie, immensité ou je me perds, je me livre à vous comme une proie. Ensevelissez-vous-en moi pour que je m’ensevelisse en vous en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abime de votre grandeur”.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 4e année, No. 6, février et mars 1959, pp.13 à 15. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (Fonds P049).