Rencontre avec le père Dismas Clarck


C’était le 7 juillet 1963, à St.Louis, Missouri. Je revenais d’un voyage à la prison-modèle de Marion, Illinois, en compagnie de R.P. Yves, aumônier a la prison des femmes, rue Fullum à Montréal. Le P.Clark nous avait fixé un rendez-vous à 8 :30 p.m. et nous reçut tous deux avec un fraternel intérêt.

Il semblait épuisé et la mort se lisait déjà sur son visage. Sa parole hésitante, son geste lent, son attitude prostrée, nous déçurent beaucoup au premier abord. Mais en moins de cinq minutes, il avait réussi à dissiper ce nuage de déception par la clarté de sa pensée, la noblesse de son idéal et le mordant de son expérience.

Je ne crains pas de le dire, le père Clarck est un révolté! Mais sa révolte est féconde. Ce n’est pas une révolte anti-sociale, ou anti-chrétienne. C’est une révolte anti-façade, anti-conformiste. C’est une révolte d’ « engagé », qui ne peut supporter le masque du pharisaïsme des « faux-chrétiens ». C’est une révolte évangélique contre le sort fait aux humains par d’autre humains qui se disent « chrétiens ».

Pour donner une idée de l’homme, il suffit d’examiner son style. Une question a réussi à mettre sa pensée a découvert :

- « Mon père comment faites-vous pour financer vos œuvres?

-C’est bien simple, dit-il, je m’adresse à ceux vraiment compris l’Évangile : les Juifs et les athées! Environ 80% des dépenses sont assumés par les Juifs et l’autre 20% par les athées. La différence est couverte par les œuvres de charité du diocèse de St.Louis.

-Qui vous aide le plus à réaliser votre idéal de secourir les ex-détenus?

-C’est vraiment l’évêque! Oui, l’évêque anglican de St.Louis qui m’a envoyé un séminariste en vue de le former aux œuvres d’assistance.

-Qui sont vos meilleurs amis, ceux qui vous secondent le plus dans ce travail épuisant?

-Les policiers viennent de l’abattre avec une balle dans la tête, malheureusement! Mais il me reste encore James Hoffa, qui est pour moi un vrai frère. Puis a bien y penser, il y a le cardinal Ritter, archevêque de St.Louis!

La pensée du P.Clarck, on le constate, n’a rien de très « orthodoxe », mais elle est un écho fidèle de l’Évangile. Dans le royaume de Dieu, les petits et les courtisanes vous précéderont à grands pas.

Le P.Clarck a compris d’une façon dynamique et personnelle la doctrine du Corps mystique et, d’instinct, il s’est porté au secours des membres souffrants du Corps du Christ. « Tout ce que vous faites au plus petits d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. » - « J’étais nu et vous m’avez vêtu; J’étais malade et vous m’avez soigné; Assoiffé et vous m’avez donné à boire; Affamé et vous m’avez nourri; EN prison et vous m’avez visité! … »

Ce remarquable apôtre des ex-prisonniers, mieux connu sous le nom de « prêtre-voyou » (Hoodlum Priest), est né à Decatur, Illinois (E.U.), le 23 décembre 1901, de parents irlandais. Il compte sept frères et cinq sœurs. Il reçut sa formation académique a l’Université St.Louis et sa formation sacerdotale au Séminaire St.Mary’s (Kensas). Il s’est particulièrement signalé dans la lutte contre la peine capitale et s’est dépensé corps et âme auprès de criminels américains depuis 1936. Il fonda en 1959, son premier centre de réhabilitation connu sous le nom de « Dismas House » et son rayonnement est assuré aujourd’hui par 5 autres maisons du genre, dont les deux plus considérables sont à Chicago et à Toronto.

C’est le 15 août, en la fête de l’Assomption de la Vierge, que le R.P. Clarck est mort après deux semaines d’hospitalisation.

L’homme a disparu et c’est une perte pour toute l’humanité, car son cœur et son esprit sont de ceux qu’on retrouve une fois par cent ans… Et encore! Cependant, sa pensée survit dans ses œuvres et la doctrine évangélique qui l’a éclairé dans sa doctrine devrait continuer à guider tous ceux qui œuvrent dans le champ de la réhabilitation sociale.

Pour le P. Clarck, l’ex-détenu est un homme destiné au bonheur éternel et ses erreurs passées lui donnent droit, plus qu’aux autres, à la rédemption du Christ : « Je ne suis pas venu pour les justes, mais pour les pécheurs ». Depuis l’avènement du Christ, tous les hommes sont liés entre eux par un nouveau lien : en plus de participer à la même nature humaine, ils sont tous appelés à la même vie divine. Si nous sommes frères dans le Christ, le prisonnier est donc mon frère, un frère dans le plus grand besoin. Il veut simplement sa part d’amour fraternel et sa part d’héritage! Un frère peut-il refuser cela a son frère?

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinité liberté, septembre et octobre 1963