Nicole Fournier

Il était une fois dans les médias...


Par Benoit Voyer (2005)

Sœur Nicole Fournier est directrices générale de l’Accueil Bonneau, a Montréal. Elle est membre de la congrégation des Sœurs de la Charité, fondée par sainte Marguerite d’Youville.

Article paru en janvier 2003

“Il y a en chaque personne
un pouvoir de résurrection"

Il y a un peu plus de 18 ans que sœur Nicole Fournier, directrice générale de l’Accueil Bonneau, travaille au sein de cet organisme qui a célébré, le 7 mai 2002, son 125eanniversaire.

Depuis qu’elle est en fonction, l’œuvre de charité a considérablement grossi. Pour répondre aux besoins du milieu, l’Accueil Bonneau est passé, en 15 ans, de 5 a 28 employés. En 2001, il a donné 279 359 repas.
 Cependant, Bonneau est bien plus qu’une soupe populaire pour les démunis. L’organisme dispense toute une gamme de services pour venir en aide aux plus pauvres que la société canadienne oublie. L’Accueil fournit des services de dépannage (repas, comptoir d’économies, etc.), de promotion humaine et sociale (avec des intervenants quoi offrent des consultations, la gérance de budget personnel et des suivis psychosociaux) et d’habitation (117 logements supervisés).

Avec les plus pauvres de la grande ville de Montréal, sœur Nicole Fournier vit une aventure de foi hors de l’ordinaire.

BENOIT VOYER – Qu’est-ce que la pauvreté a changé dans votre conception de Dieu?

NICOLE FOURNIER – (un grand silence) Qu’il faut avoir foi en la résurrection. Dans la lutte a la pauvreté, je pense que si on a si peu de résultats, c’est que souvent on oublie que la personne est plus que ses carences. Elle a aussi une force qui habite dans son intériorité secrète. Je crois que c’est cela le grand message de l’Évangile. Il y a en chaque personne un pouvoir de résurrection que l’Esprit peut réveiller, peut faire grandir. Il ne faut jamais perdre confiance en ce pouvoir de résurrection.
Croire en quelqu’un, c’est le rendre capable de grandir. Si je ne crois pas que l’enfant puisse marcher, il ne prendra jamais le risque de se tenir debout et d’avancer ses jambes. Dans la vie, je pense que nous avons surtout besoin, au-delà de nourriture et d’argent, de quelqu’un qui croit en nous.

B.V.- Le pape Paul VI, dans son encyclique L’Évangélisation dans le monde moderne, mentionne que le monde d’aujourd’hui a besoin de personnes qui vivent comme si elles voyaient l’invisible. C’est votre relation à Dieu qui vous motive à continuer?

N.F.- Oui, parce que je crois en cette force de résurrection. (Elle n’en dit pas plus. De toute façon, ce n’est pas important, ses yeux, son sourire et son attitude parlent bien plus que ses paroles).

B.V.- Cette implication auprès des bénéficiaires de l’Accueil Bonneau a changé votre manière de vous adresser à votre Jésus et au Dieu auquel vous croyez?

N.F.- Lorsque je prie, je rappelle à Dieu tous ces gens qui nous fréquentent. Je lui demande la force d’ouvrir en eux des portes et qu’il travaille sur les causes qui peuvent amener toutes ces personnes chez nous. Je lui demande aussi de faire grandir en eux la confiance en ce qu’ils sont.

B.V. – Est-ce que vous parlez de spiritualité aux gens que vous aidez?

N.F.- Les gens qui viennent ici sont peut-être beaucoup plus près de la foi qu’on le pense. Il y a peu de temps, je suis allée rencontrer un homme atteint d’un délire religieux. Il a une déficience intellectuelle et un problème de santé mentale. Il a tellement fréquenté de centres hospitaliers dans ses moments de crise qu’un jour on l’a orienté vers un logement approprié ou sa médication lui est administré de façon très régulière. Aujourd’hui, ses crises sont beaucoup moins grandes.

Il vit dans une maison avec une dizaine de personnes éprouvant des problèmes similaires. En dehors du milieu hospitalier, l’Accueil Bonneau est à peu près le seul lieu qui lui apporte autre chose que ce qu’il trouve dans son univers fermé. Il revient souvent à son délire : « Ah! Je ne suis pas aimé de Dieu! Je suis damné! Je m’en vais en enfer… »

L’autre jour, je l’ai rencontré avec une autre personne qui, elle aussi, a une déficience psychologique, mais qui n’a pas ce genre de dérapage. Pendant que nous prenions un café dans un centre commercial, mon gars qui délire commence son discours : « Je suis perdu, je m’en vais en enfer… » L’autre lui répond : « Tu ne peux plus y aller en enfer! » Cela a saisi mon bonhomme! L’autre ajoute : « Tu es la pauvreté! Tu ne peux pas y aller en enfer! Dieu est pour les pauvres! »

Je pense qu’il ne faut pas servir un discours religieux qui soit comme un devoir ou une réponse a tout. Il faut surtout développer une confiance en Dieu.

B.V.- Ce n’est pas toujours facile!

N.F.- Je l’admets, mais en voyant l’autre avec des yeux différents, c’est possible. Ce matin est entré dans mon bureau un sidéen en phase terminale. Pour avoir 10$, il m’a raconté une histoire rocambolesque. Je lui ai répondu : « Si tu veux 10$ pour consommer un peu de drogue, je te comprends. Tu n’as pas besoin de m’inventer une histoire (!) parce que si j’étais dans l’état de souffrance que tu connais, j’aurais peut-être envie de me geler la fraise moi aussi… »

B.V.- Vous êtes très compréhensive!

N.F. – A cause de cette terrible maladie, la souffrance de cet homme est tellement rendue grande. Il m’impressionne parce qu’il a encore le courage d’être debout. Actuellement, il vit dans un de nos appartements et je pense qu’on lui permet de finir ses jours dignement.

B.V. – Ce qui semble amoral ne l’est pas toujours!

N.F. – Je suis d’accord avec vous. Et vous savez, il souffre tellement que je me dis : Qui suis-je pour lui dire que c’est de sa faute s’il a le sida? Le mal est fait et il le porte. C’est bien assez!

B.V. – Qu’est-ce qui vous a amenée à l’Accueil Bonneau?

N.F.- Il y a 18 ans, j’arrivais d’Afrique ou j’ai été professeure de français pendant 13 ans. Le Cameroun est très différent d’ici! Je cherchais donc un nouveau lieu pour travailler et on m’a proposé l’Accueil Bonneau. Ce choix me permettait de me rapprocher de la spiritualité de Marguerite d’Youville. Je suis entré chez les Sœurs grises parce qu’elles m’ont grandement interpellée. Sa personnalité s’orientait vers les plus démunis.

B.V. – Et comment a été votre entrée dans cet univers?

N.F. – Je ne connaissais rien à la toxicomanie et a la santé mentale. J’ai été initiée en plongeant directement dans le milieu. Heureusement, il y avait des personnes expérimentées pour me guider!

Tiré du livre « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 165-169 (BANQ 204.4 V975t 2005). Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne.