L'enfance spirituelle


Par Jean-Paul Regimbal (1977)

Le plan de l’amour de Dieu: Frères, puisque Dieu a ainsi manifesté sa bonté envers nous, je vous engage à lui consacrer votre être entier en une offrande vivante, réservée pour lui et qu’il puisse accepter. C’est là le véritable culte que vous lui devez. Ne laissez pas le monde autour de vous vous imposer son mode de vie. Mais plutôt, laissez Dieu transformer de l’intérieur toute votre mentalité et vous verrez alors, dans la pratique, que le plan de Dieu pour vous est bon, qu’il accomplit sa volonté et qu’il vous fait parvenir à la pleine maturité (Rm 12, 1-2)
Introduction La croissance rapide du renouveau charismatique dans les pays francophones a stimulé plusieurs d’entre nous a répondre à un désir unanime: des cours d’approfondissement spirituel pour faire suite à l’expérience enrichissante de l’effusion de l’Esprit. En effet, chacun se rend bien compte qu’après les premières heures d’euphorie spirituelle, il fallait bien en arriver à une connaissance plus exacte de tous les mystères de la foi pour en vivre plus pleinement.
L’effusion de l’Esprit ou le baptême dans l’Esprit saint n’est pas un but à atteindre ni même un point d’arrivée d’où l’on ne doit plus bouger; bien au contraire, c’est une porte par laquelle on entre dans une plus grande abondance de vie dans le Saint-Esprit. C’est un événement qui devient un nouveau mode de vie dans lequel les manifestations charismatiques ont souvent une place... Ce qui caractérise ce nouveau mode de vie, c’est l’amour de la Parole de Dieu, la ferveur dans la prière et le témoignage dans le monde et au monde, ainsi que le souci de vivre sous l’emprise de l’Esprit saint (Dialogue pour l’unité de l’Église, Rome,3 septembre 1970).
Selon le principe bien connu en théologie: “la grâce se greffe toujours et nécessairement sur la nature”, nous avons voulu expliciter les principales étapes de la croissance de la vie dans l’Esprit en nous basant sur les quatre étapes fondamentales du processus de croissance dans la vie humaine. C’est pourquoi nous en arrivons à une présentation en quatre stades:
1-L'enfance spirituelle
2-L'adolescence spirituelle
3-Maturité spirituelle
4-La sagesse spirituelle
Pour l’instant, nous nous limitons au premier point: L’enfance spirituelle. Au départ, il ne faut pas confondre ce que nous disons sur l’enfance spirituelle avec la spiritualité thérésienne de la voie d’enfance spirituelle puisque la petite Thérèse fait une synthèse de la spiritualité d’abandon total, libre et joyeux a la volonté amoureuse du Père ce qui, loin d’être un départ, est un sommet spirituel pour les géants de la foi.
Ce dont nous traitons ici est beaucoup plus modeste et beaucoup plus simple puisqu’elle veut décrire la période des découvertes initiales, le stage des apprentissages spirituels et l’insertion ecclésiale ainsi que la pratique sacramentelle de ces personnes qui viennent de faire la découverte merveilleuse du baptême dans le Saint-Esprit
A- La période des découvertes initiales
L’effusion de l’Esprit produit chez un très grand nombre un état spirituel d’émerveillement ou le sujet semble renaitre à sa foi, aux révélations de la Parole et a l’expérience savoureuse de la présence de Dieu. On pourrait la comparer à une sorte de “lune de miel” avec l’Esprit saint. Toutefois, cette expérience du mont Thabor ne peut durer perpétuellement bien qu’on aimerait y fixer sa tente comme le disait Pierre à Jésus au cours de la transfiguration. Le retour aux humbles réalités de la vie quotidienne quoique moins exaltantes que les sommets lumineux de la rencontre avec le Seigneur est néanmoins très nécessaire pour une incarnation concrète et significative des valeurs de l’évangile.
A travers ce vécu chrétien maintenant plus conscient et mieux assumé, le croyant est en mesure d’explorer les nombreuses facettes du grand mystère de l’alliance : Dieu m’a aimé le premier, Dieu m’aime tel que je suis, Dieu est fidèle à ses promesses, Jésus a porté à son sommet l’alliance nouvelle en son sang, c’est donc vrai que je fais partie de cette race élue, de ce peuple choisi par le Seigneur et ordonné à une triple mission sacerdotale, royale et prophétique. Dans ce contexte, la sainte bible n’est plus simplement une anthologie de récits inspirés mais bien une lettre d’amour écrite par le Père aux croyants, un contrat de mariage entre Dieu et son peuple et le Verbe de Dieu vient dire en personne qui est le Père et tout l’amour qu’il a pour nous.
Rencontre avec le Père C’est la découverte de Dieu dans une relation d’intimité jusqu’alors inconnue, c’est la joie de pouvoir appeler Abba, Papa, le créateur de toutes choses visibles et invisibles. C’est la fierté de pouvoir s’écrier, face aux merveilles qui nous entourent : « C’est mon papa qui a fait ça! » Comme le petit enfant qui s’abandonne joyeusement à la puissance de son Père, ainsi le nouveau croyant renouvelé dans l’Esprit redécouvre avec un cœur nouveau l’ensemble de ses relations avec son Père bien-aimé : confiance, louange, intimité, dialogue, tendresse, adoration et dépendance radicale de ce « Père-Providence » qui s’est révélé « amour agape ».
« En ceci consiste son amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés le premier et qui a envoyé son Fils en victime de propiation pour nos péchés » (Jn 1, 4-10).
Rencontre avec le Fils Au cœur de l’expérience charismatique, se situe la rencontre avec le Christ Jésus vivant et vrai, ressuscité d’entre les morts et toujours présent au sein de son peuple. C’est pourquoi il est normal qu’après la fulgurante expérience de l’effusion dans l’Esprit, le croyant approfondisse sa relation d’amour et d’intimité avec le bien-aimé Seigneur, Jésus de Nazareth. Le nouveau testament n’est plus simplement un récit de faits passés concernant la personne de Jésus il y a deux mille ans, mais devient source de révélation de tous les divers aspects des mystères du Christ. Désormais les mots prennent une résonnance nouvelle, notamment ceux de Seigneur, sauveur, libérateur, rédempteur et prêtre de l’alliance nouvelle en son sang. Saint Paul décrit très bien ce qui se passe dans le cœur du croyant lorsque tout à coup on passe d’une foi obscure a une foi éclairée : « Mais leur pensée s’est obscurcie. Jusqu’à ce jour en effet, lorsqu’on lit l’ancien testament, ce même voile demeure. Il n’est point levé, car le Christ qui le fait disparaitre. Oui jusqu’à ce jour, lors de la lecture de Moise, un voile est posé sur leur cœur. C’est quand on se convertit au Seigneur que le voile tombe. Car le Seigneur, c’est l’Esprit, et où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Co 3, 14-17).
La ligne de la croissance se dessine progressivement lorsque le sujet passe du croyant a fidèle, de fidèle à disciple, de disciple a témoin, de témoin a intercesseur et d’intercesseur a contemplatif. La personnalité de Jésus devient de plus en plus séductrice et les yeux du cœur vont de clarté en clarté jusqu’à la contemplation palpitante de celui qui est le Verbe de Dieu, empreint de la substance du Père, éclat de sa beauté et rayonnement de sa lumière. Jésus nous introduit alors dans le jardin scellé dont nous parle le Cantique des cantiques afin d’établir le sujet dans un climat de fraternité tout imprégné de confiance, de confidence, de consolation et d’intimité divine.
Rencontre avec le Saint-Esprit Il est assez étonnant de constater que celui-là même qui nous révèle Jésus-Christ dans toute sa beauté demeure dans l’ombre presque totalement jusqu’au jour où le croyant prend conscience qu’il peut dire : « Jésus-Christ est Seigneur » sans y être poussé par le Saint-Esprit. Quoiqu’en pense un grand nombre de critiques du renouveau charismatique, celui qui fait l’expérience du baptême dans l’Esprit saint découvre Jésus-Christ bien avant le Saint-Esprit. Car le renouveau charismatique n’a pas pour but de répandre la dévotion au Saint-Esprit et de centrer l’expérience de la foi sur la personne du Saint-Esprit. Cela ne vient que plus tard dans le cheminement spirituel par voie de retour et d’analyse sur l’intensité de l’expérience spirituelle qu’on a faite. Ce n’est que progressivement que l’on touche du doigt toutes les dimensions du mystère du paraclet. La raison est bien simple et c’est Jésus lui-même qui nous la donne : « Quand l’Esprit saint viendra, lui-même vous rappellera tout ce que je vous ai dit et vous conduira a la pleine connaissance de la vérité » (Jn 14,26).
Ce terme, a première vue étrange « paraclet » se charge d’un sens toujours plus approfondi au fur et à mesure que l’on expérimente les divers rôles que joue l’Esprit saint dans l’ordre de notre croissance spirituelle : conseiller averti, pédagogue raffiné, avocat judicieux, guide fort et suave, consolateur incomparable, souffle vivifiant, doux hôte de nos âmes et sanctificateur de tout l’être de l’homme plongé dans tout l’être de Dieu. Enfin libéré, le Saint-Esprit est maintenant libre de faire surabonder non seulement les fruits spirituels dans le cœur du chrétien mais même tous les charismes ainsi que les ministères charismatiques chez lui qui s’ouvre inconditionnellement à toute la richesse multiforme de sa grâce et selon toute les ressources de l’héritage des saints dont l’Esprit saint lui-même est à la fois le sceau, le gage et le don incréé de l’amour trinitaire.
Rencontre avec Marie Le rencontre intime avec chacune des personnes de la Très sainte Trinité fait redécouvrir avec un cœur nouveau et un esprit nouveau toute la grandeur, la beauté, l’originalité et la puissance de Marie, mère de Dieu, mère du rédempteur et de tous les rachetés, mère de l’Église et reine de l’univers. En effet, c’est à cause de ses relations privilégiées et insignes avec les trois que Marie prend tout son relief comme femme, comme croyante, comme servante du Seigneur, comme animatrice au collège apostolique et comme étoile de l’évangélisation. Il s’opère une vérification de ce que déjà plusieurs pères de l’Église affirmaient : celui qui à Dieu comme Père a nécessairement Marie comme mère. La dévotion mariale en est toute transformée et prend son véritable relief en rapport avec le mystère de la Trinité, le mystère de l’alliance et l’histoire même du salut. Tout ce que pouvait avoir de mièvre, de superficielle et d’enfantine une certaine forme de piété mariale cède la place à une ferveur mariale bien éclairée, une connaissance mariale foncièrement biblique et une expérience mariale radicalement charismatique. C’est donc dire que le renouveau charismatique. Loin de détourner les croyants de l’amour et de la vénération envers la mère de Jésus lui donne de nouvelles assises, un nouveau relief et un caractère spécifiquement catholique.
Conclusion Cette nouvelle prise de conscience est tout empreinte d’émerveillement. Les anciennes connaissances de la foi deviennent palpitantes de réalisme expérientiel et toutes ces redécouvertes sont vécues dans un climat de fête, de gratuité, de gratitude et de joies surnaturelles. L’enfant est bien situé dans ses relations parentales et commence à respirer l’amour de la famille trinitaire.
B. Stage des apprentissages spirituels Il est intéressant de voir que saint Paul et saint Pierre tous les deux on dur tenir compte de cette réalité concrète de l’enfance spirituelle. Paul, tout d’abord, l’avoue quant à sa propre évolution : « Lorsque j’étais enfant, je parlais en enfant, je pensais en enfant, je raisonnais en enfant… » (I Co 13,11). Et, dans son ministère auprès des Corinthiens et des Hébreux, il ne se gêne pas pour bien avertir ses lecteurs de ne pas se prendre pour d’autres puisqu’ils n’en sont encore qu’au stage des apprentissages fondamentaux. A titre d’exemple, voici trois passages caractéristiques :
« L’homme psychique n’accueille pas ce qui est dans l’Esprit de Dieu : C’est folie pour lui et il ne peut le connaître car c’est par l’Esprit qu’on en juge. L’homme spirituel au contraire juge de tout et ne relève lui-même du jugement de personne » (1 Co 2,14-16).
« Pour moi, frères, je n’ai pas pu vous parler comme a des hommes spirituels mais comme a des êtres de chair, comme à des petits enfants dans le Christ. C’est du lait que je vous ai donné à boire, non une nourriture solide; vous ne pouviez encore le supporter. Mais vous ne le pouvez pas davantage a présent car vous êtes encore charnels. Du moment qu’il y a parmi vous jalousie et discorde, n’êtes-vous pas charnels et votre conduite n’est-elle pas tout humaine? Lorsque vous dites, l’un « moi, je suis pour Paul », et l’autre : « moi, pour Apollos », n’est-ce pas la bien humain? » (I Co 3,1-4-)
« Sur ce sujet, nous avons bien des choses à dire et difficiles à exposer parce que vous êtes devenus lents à comprendre. En effet, alors qu’avec le temps vous devriez être devenus des maitres, vous avez de nouveau besoin qu’on vous enseigne les premiers rudiments des oracles de Dieu, et vous en êtes venus à avoir besoin de lait, non de nourriture solide. Effectivement, quiconque en est encore au lait ne peut gouter la doctrine de la justice, car c’est un tout petit enfant; les parfaits, eux, ont la nourriture solide, ceux qui, par l’habitude, ont le sens moral exercé au discernement du bien et mal » (He 5, 11-14).
Quant à saint Pierre, il s’en explique à ses nouveaux convertis dans les termes suivants :
« Rejetez donc toute malice et toute fourberie, hypocrisies, jalousies et toute sorte de médisances. Comme des enfants nouveau-nés, désirez le lait non frelaté de la Parole, afin que, par lui, vous croissiez pour le salut, si du moins vous avez gouté combien le Seigneur est bon » (I Pi 2, 1-3).
Comme tout enfant est soumis à des apprentissages fondamentaux en vue de mieux s’intégrer et mieux fonctionner dans le cadre de la famille, ainsi l’enfant spirituel est-il soumis aux apprentissages des premiers degrés du savoir et du savoir-faire. Cela inclut l’apprentissage à l’oraison, l’initiation biblique, l’insertion en Église et la pratique religieuse, non plus somme expérience et expression théologale. L’enfant spirituel doit se mettre à l’école : à celle du grand maitre, Jésus-Christ, et à celle des grands frères et des grandes sœurs que sont les saints.
L’expérience charismatique ne se substitue pas et ne dispense en aucune façon de l’acquisition longue et difficile de la sainteté. Même lorsque le baptême dans le Saint-Esprit est reçu avec force et que les charismes se manifestent abondamment, cela ne signifie pas que la personne a atteint un très haut niveau de sainteté. Il est essentiel de ne pas confondre les charismes qui sont donnés en vue de l’édification et la grâce sanctifiante qui est une participation à la vie divine elle-même. Comme question de fait, il y a de très grands saints qui n’ont jamais exercé le moindre charisme (don des langues, prophéties et miracles) et en même temps, il existe beaucoup de personnes douées de charismes éclatants qui sont pourtant très loin de la sainteté. Le processus de croissance spirituelle exige donc une initiation progressive au savoir de la foi et au savoir-faire de la vie chrétienne.
L’observation nous permet de caractériser le comportement infantile des néophytes : par exemple, une faim insatiable de vouloir suivre tous les cours, toutes les sessions, toutes les retraites dont ils entendent parler. Ils veulent aussi dévorer tous les livres qui traitent de près ou de loin du renouveau charismatique, ils fréquentent des trois à cinq réunions de prière par semaine, ne ratent pas une occasion d’imposer les mains au premier passant et finalement se réclament avec force argument : « moi, je suis de Céphas », « moi, d’Apollos », « moi de Paul » (I Co 3,4).
Comme il n’existe pas de sainteté instantanée et que d’autre part, l’effusion de l’Esprit ne confère ni l’infaillibilité, ni l’impeccabilité, il va de soi que l’homme pécheur demeure pécheur et doit faire sans cesse l’expérience du pardon et de la réconciliation. On avait cru durant la période de « lune de miel » qu’on était « confirmé en grâce » et qu’a toute fin pratique le péché était désormais chose du passé et tous les liens avec le péché définitivement rompus. Hélas! Quelle cruelle désillusion lorsqu’on fait de nouveau l’expérience de sa faiblesse, de sa misère et de son impuissance spirituelle en bien des domaines. On s’aperçoit, tout à coup, qu’on fait encore partie de la race humaine, de la masse des pécheurs qui ont toujours besoin d’être pardonnés et réconciliés avec Dieu. On fait aussi partie de ceux qui ont encore besoin de conseils, de purification, de nouvelles conversions dans le vécu de l’humble quotidien. En d’autres termes, on se rend à l’évidence que le Seigneur n’a rien changé de notre pâte humaine; il n’a ajouté qu’un levain nouveau pour la transformer progressivement.
Au fur et à mesure qu’on entre dans l’expérience de l’alliance avec le Seigneur, on goute, bien sûr, les merveilles contenues dans chacun des mystères de la foi; mais on s’aperçoit en même temps que le contrat d’amour a des obligations assez pénibles, parfois même redoutables pour le vieil homme qui reste toujours sous-jacent a notre personnalité. Époux crucifié, Jésus épouse en crucifiant. Impossible d’arriver à la plénitude de la joie pascale sans passer par le chemin royal de la croix. C’est donc dire que la croissance spirituelle implique nécessairement un apprentissage a la croix du Christ, a l’ascèse, au sacrifice, au renoncement à soi-même et a l’oubli de soi pour en arriver au don réel et authentique de soi-même aux autres. Le cœur de l’enfant souffre parfois du désarroi intérieur au dur contact de la réalité chrétienne concrètement vécue. Ces souffrances son inhérentes au processus de la croissance puisqu’il n’y a pas d’engagement sans dégagement et qu’il n’y a pas de dépassement possible sans une mort constante à soi-même : « Si le grain ne meurt, il ne peut porter de fruits” (Jn 12,24). Pour porter du fruit et du fruit en abondance, un fruit qui demeure, il est absolument requis de passer de la mort a la vie. Telle est l’essence même du mystère pascal au cœur de la foi chrétienne.
C. Insertion ecclésiale et découverte sacramentelle L’expérience de l’effusion de l’Esprit éveille vraiment le chrétien a son appartenance à la famille de Dieu et à la communauté universelle de l’Église dont le Christ est la tête et dont nous sommes les membres. Cependant, vivre en Église ne va pas de soi; c’est un esprit à acquérir, une mentalité à cultiver, une prise de conscience à approfondir.
Un des problèmes contemporains consiste à vouloir dissocier le Christ et l’Église. Paul VI s’en ouvre carrément dans son exhortation apostolique “Evangelii Nuntiandi”, numéro 16:
“Il y a donc un lien profond entre le Christ, l’Église et l’évangélisation. Pendant ce “tempus Ecclesiae”, c’est l’Église qui a la tâche d’évangéliser. Cette tâche ne s’accomplit pas sans elle, encore moins contre elle.
Il convient certes de le rappeler à un moment ou, non sans douleur, nous pouvons entendre des personnes, que nous voulons croire bien intentionnées mais certainement désorientées dans leur esprit, répéter qu’elles prétendent aimer le Christ mais sans l’Église. Écouter le Christ mais non l’Église, être au Christ mais en dehors de l’Église. L’absurde de cette dichotomie apparait nettement dans cette parole de l’Évangile: “Qui vous rejette, me rejette”. Et comment vouloir aimer le Christ sans aimer l’Église, si le plus beau témoignage rendu au Christ est celui de saint Paul: “Il a aimé l’Église, il s’est livré pour elle?”.”
Par instinct, l’enfant est porté à tout centrer sur sa personne et cherche par mille et un moyens à devenir le centre d’intérêt de tous les membres de la famille. Ce n’est que graduellement qu’il prend conscience qu’il doit avoir un rôle actif au sein de la famille et y exercer dans la mesure de ses capacités, une certaine responsabilité; entre autres choses, il doit assimiler l’esprit de famille, se conformer aux coutumes familiales et être fidèle à un certain régime de vie partagé par tous ceux qui habitent la même maison.
Ainsi en est-il du chrétien qui commence à se rendre compte qu’il est, à la fois, enfant de Dieu et enfant de l’Église. Il devra donc, lui aussi, s’efforcer d’acquérir la mentalité des enfants de Dieu et chercher beaucoup moins à devenir un centre d’attraction qu’un participant engagé au bon fonctionnement de la vie de famille en Église. Notamment, doit-il chercher à développer les quatre fidélités propres à la communauté chrétienne, savoir: fidélité à l’enseignement des apôtres, fidélités à la communion fraternelle. Fidélité à la fraction du pain et fidélité aux prières (Ac 2,42).
Aussi devient-il de plus en plus motivé à connaitre non seulement la Parole de Dieu, mais la tradition vivante de l’Église et les enseignements du magistère. De plus, il saisit l’importance d’une fréquentation plus assidue des sacrements, notamment ceux de la réconciliation et de l’eucharistie, afin d’apaiser sa faim et sa soif de Dieu, d’alimenter ses énergies spirituelles et d’équilibrer plus harmonieusement les exigences de sa vie physique, intellectuelle, sociale, morale et spirituelle. C’est alors particulièrement qu’il apprécie à sa juste valeur le soutien d’une communauté aimante ou il peut évoluer en comptant sur la compréhension, la compassion, l’exhortation et l’encouragement de personnes plus expérimentées. Progressivement, l’identification a la personne de Jésus se précise et l’adaptation aux inévitables conflits da famille arrondit les coins, polit les surfaces et rode les aspérités d’une personnalité en voie d’épanouissement chrétien.
L’audace de la foi Un homme d’affaires très important disait publiquement lors de l’ouverture du Congrès (charismatique) de Québec en 1974: “On devrait accorder six mois de moratoire public a ceux qui ont reçu le baptême dans le Saint-Esprit et durant ce temps, on devrait pouvoir tolérer avec patience et amour leur exubérance spirituelle et l’audace juvénile de leur foi renouvelée”. En effet, la vague de fond qui bouleverse toute une vie renferme tant de dynamisme et d’énergie nouvelle qu’elle ne peut pratiquement pas être contenue. Les merveilles qui se succèdent à un rythme vertigineux durant les quelques mois qui suivent la conversion ont pour effet de stimuler la foi et de donner une audace toute neuve même au plus timide et au plus timoré. Bien sûr, des observateurs neutres ou hostiles accuseront ces néophytes de témérité, voire même de manque de jugement. Mais, en toutes honnêteté, ne faut-il pas admirer la sublime naïveté de ceux qui viennent de faire la découverte du Dieu des vivants et qui se sentent prêts à parcourir le monde pour sauver leurs frères humains? Personnellement, j’aime beaucoup mieux une foi qui fait irruption, même avec des grondements apeurant qu’une foi sommeillant capable uniquement de ronflements occasionnels. N’est-ce pas le propre de l’enfant que d’exprimer avec exubérance la joie incoercible qui le porte au partage? Il y a si peu souvent des feux de forêts allumées par des étincelles de foi que les éteignoirs professionnels peuvent se tenir tranquille jusqu’au jour des vraies alertes déclenchées par ceux qui torpillent la foi, la morale, la vie de famille et la vie de l’Église. Le bon vieux pape Jean XXIII, qui a souhaité voir une nouvelle pentecôte dans toute l’Église de Dieu, rirait de tout son cœur d’enfant devant les joyeuses extravagances de ceux qui ont découvert le vrai visage de l’amour en la personne de Jésus-Christ. Bien sûr, en ouvrant les fenêtres de l’Église au concile, quelques-uns se sont mis à éternuer à cause des courants d’air de l’Esprit saint. Mais, combien plus grand est le nombre de ceux qui ont commencé à respirer pour vrai le bon air de la liberté des enfants de Dieu sous la mouvance de l’Esprit.
Le témoignage Durant la période d’enfance spirituelle, les nouveaux baptisés dans l’Esprit témoignent abondamment de leur conversion et voudraient tellement que tous aient la même joie qui déborde de leur propre cœur. Comme conséquence, leur témoignage se fait souvent à temps et à contretemps, avec ou sans tact, fatigant les uns, ennuyant les autres et édifiant a l’occasion l’un ou l’autre des auditeurs. Faut-il blâmer ces gens de manque de jugement, de manque de discrétion ou de fanatisme religieux? Ne serait-il pas plus sage de considérer ces témoignages parfais intempestifs, comme le désir de dire à tous: “Ce qui m’est arrivé est possible pour toi aussi, car Jésus m’a aimé le premier malgré ma misère et mes péchés. Sache, mon frère, qu’il peut en faire autant pour toi parce que Jésus t’aime tel que tu es”. Faut-il s’étonner, de plus, que ce témoignage soit encore malhabile puisqu’il consiste aux quatre cinquièmes de tout le récit, des égarements passés pour ne réserver qu’un cinquième a l’honneur et à la gloire du Seigneur tout-puissant? C’est qu’à ce moment-là, ce qui frappe la personne, c’est la miséricorde de Dieu en laquelle il n’osait même plus croire et il voudrait que le récit de ses bêtises témoigne de la magnificence du pardon de Dieu. Erreur? Peut-être, mais erreur de jeunesse qui nous porte à un jugement serein: “La jeunesse est le seul défaut dont on se corrige forcément chaque jour”. Comme question de fait, au cours de l’évolution spirituelle, le témoignage se purifie de plus en plus au point que très peu d’insistance est mise sur le passé et beaucoup d’emphase est appliquée à raconter les merveilles incomparables de l’Éternel.
L’apostolat Il en va forcément de l’apostolat comme du témoignage et de l’audace de la foi. Le sujet brule d’un zèle apostolique qui voudrait porter le message de l’évangile jusqu’aux extrémités de la terre, voire même convertir l’humanité entière dans un délai de six semaines, sept tout au plus. N’est-ce pas beau quand même de voir ces personnes qui, hier encore, vivaient dans l’indifférence, dans la négligence religieuse et peut-être même sous le poids énorme de péchés, sans que l’entourage s’en inquiète, devenir tout à coup des ouragans spirituels qui sèment la panique et l’angoisse chez toute la parenté, dans le quartier et dans le milieu de travail? Le manque de modération dans l’apostolat n’est pas attribuable à un manque de jugement ou a un manque de raison: c’est tout simplement un manque d’expérience dans une approche de pastorale respectueuse des démarches et des cheminements si variés dans l’ensemble du peuple de Dieu. A-t-on le droit d’accuser les jeunes d’un manque d’expérience et n’est-ce pas la responsabilité des plus sages et des plus prudents d’évaluer les choses avec bonté, douceur, patience et suavité? Car, à tout prendre, le zèle intempestif des premiers mois n’est-il pas plus précieux aux yeux du Seigneur que l’hostilité rabougrie de vieux pharisiens endormis, subitement réveillés d’un sommeil coupable? Entre le zèle et l’hostilité, moi, je choisis le zèle. Comme disait Jésus lui-même: “Le zèle de la maison de Dieu me dévore”, lorsqu’il chassa les vendeurs du Temple.
C’est précisément à cause de ces difficultés de parcours qu’il importe le plus rapidement possible de mettre sur pied des cours, des séminaires, des rencontres et des retraites pour éduquer la foi de ces magnifiques jeunesses afin d’en orienter les énergies sans en étouffer la puissance, de harnacher ces forces vives sans bloquer à la source les jaillissements d’eau vive qui viennent de l’Esprit. Il faut que jeunesse se passe! C’est dans l’ordre de la nature, c’est vrai dans l’ordre de la grâce. Il viendra bien assez vite le temps des longues attentes, des analyses pointillées et des planifications surnuméraires après des sessions interminables de comités innombrables. Vivre la belle jeunesse qui vient du Seigneur!
“Je m’approcherai de l’autel de Dieu, du Dieu qui refait ma jeunesse comme celle de l’aigle” (Ps 43,4).
Conclusion Il faut bien avouer qu’il reste encore, bien évidemment, chez ceux qui parcourent le stade de l’enfance spirituelle de nombreuses motivations humaines, des réactions primaires et des fragilités morales. Tout cela est parfaitement normal, le temps du beau fixe n’est pas encore arrivé. Après les jours ensoleillés des hardiesses apostoliques suivent les jours d’ombre et de ténèbres ou le doute, la peur et les hésitations reprennent le dessus. Mais il reste, à travers tout, que le cœur du nouveau croyant a une certitude nouvelle et une joyeuse espérance:
“Oui, mon Dieu est vivant. Oui, mon Dieu est fidèle. Oui, il a les réponses à mes questions encore irrésolues. Oui, elle est grande la merveille de la foi, et l’aventure de l’Alliance vaut la peine d’être vécue. Nous ne pouvons pas ne pas dire ce que nous avons vu et entendu car le Christ est vivant et ne mourra jamais plus.
Amen! Alléluia!
Tiré de: Jean-Paul Regimbal. « L’enfance spirituelle », conférence prononcée au Congrès national du renouveau charismatique catholique qui a eu lieu juin 1977 au Stade olympique, a Montréal, Assemblée canadienne francophone du renouveau charismatique catholique, 1979. Document conservé au la Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby (P049) et chez Bibliothèque et archives nationales du Québec (BANQ 234.13 R335e 1977)