Pierre Alagiani


Arménien de naissance, le père Pierre Alagiani [1] vint au monde le 20 février 1894 de parents profondément catholiques. Cet héritage de foi vivante, c’est non seulement sa famille qui le lui donna, mais bien toute sa nation, car l’Arménie dut lutter pendant plus de 1000 ans pour conserver sa foi au Christ, et lui demeura fidèle a travers les tortures et le sang. Le P. Alagiani n’est en somme qu’un fleuron de plus à la couronne déjà richement garnie de l’Église arménienne.


A l’âge de ses études, Pierre se rendit à Rome ou il compléta ses humanités au Collège pontifical arménien, à Rome. Il fut ordonné prêtre en 1918 et demanda sa citoyenneté italienne. Toutefois, selon les desseins de Dieu, ce Jésuite nouvellement ordonné fut assigné comme missionnaire en Russie de 1919 à 1930, au plus fort de la crise bolchévique. En 1930, le gouvernement de l’U.R.S.S. décide d’expatrier le P. Alagiani en raison de sa citoyenneté italienne (du moins, ce fut la raison officielle).


Pendant 12 longues années, le P. Pierre désira ardemment retourner en Russie, ne fut-ce que dans un petit coin perdu des immenses steppes de Sibérie. Mais rien ne semblait le promettre. Même son âge, 48 ans, excluait la possibilité de servir comme aumônier militaire dans l’armée italienne. Puis, c’est au beau milieu du mois d’août 1942, que le miracle se produit.


Le pape Pie XII reçoit le P. Alagiani en audience privée et lui accorde juridiction pour tous les cas réservés. Le père général, Wlodimir Ledochowski le bénit et le mandate comme aumônier militaire-ambulancier. Le 1er septembre, Pierre quitte Rome pour Vérone et doit rejoindre l’hôpital de réserve no 2 sur le front oriental. En route pour la Russie.


Mais sa carrière militaire est de courte durée. Le 19 décembre, a quatre heures de l’après-midi, tout le personnel militaire de l’hôpital est fait prisonnier de l’Armée rouge pendant que les 24 blessés sont criblés de balles et couverts de sang dans leur lit d’hôpital.


Puis ce sont 20 jours de marche forcée pour se rendre à la gare la plus proche ou attendent les fonctionnaires de la N.K.V.D., chargés par Moscou de faire conduire les différent
 prisonniers dans les divers camps de concentrations. Transis de froid, épuisés de fatigue, les prisonniers sont entassés a 80 ou 90 dans les wagons de marchandises pour commencer un voyage de 300 kilomètres jusqu’au camps de Souzdal, au Nord-Est de Moscou. Après quatre jours de voyage, on doit stopper pour vider un wagon et une demi-douzaine de cadavres nus et gelés. C’est le 21 janvier 1943 que le père arrive au camp de Souzdal ou lui et ses compagnons d’infortunes sont soumis, pendant 6 heures, a une douche d’eau glacée sous prétexte d’hygiène et de désinfection… Les survivants sont méconnaissables, réduits à la plus complète exténuation et presqu’envieux de ceux qui sont déjà morts… C’était Gethsémani… mais pas encore le calvaire.

Ce calvaire allait durer 12 ans. Souzdal n’en fut que la première station. « La maison de la mort » fournissait chaque jour, par camions, les cadavres du jour précédent en vue de servir d’engrais aux kolkhoses du territoire pour fertiliser le terrain. Puis ce fut le départ pour Lubyanka le 29 juillet 1943. Questions et tortures sont mises en œuvre pour faire avouer au P. Alagianan ses activités anti-communistes. Sur condamnation sommaire, le père est transféré à la prison de Butyrskaya et, finalement, le 28 juin 1944 au camp no 97 d’Elabuga.


Tout au cours de ses détentions successives, le père Alagiani se voit soumis aux humiliations les plus dégradantes : les questions interminables, de 48 à 72 heures sans arrêt, la faim et la soif, la nudité complète, l’isolement du cachot, les tortures les plus diverses depuis le « frigidaire » jusqu’à la pendaison par les pouces. Rien n’est épargné pour briser cette « tête de Jésuite » afin de l’endoctriner dans le messianisme marxiste.


Cependant, le secret de la résistance du père Alagiani repose entièrement sur la prière de l’Eucharistie. A travers toutes les avaries, il a pu conserver une petite bourse contenant 120 particules eucharistiques intactes et non corrompues, pendant 9 ans. Cette « boursette miraculeuse » irradia tout autour la lumière de la vérité et la chaleur de l’esprit a tous ceux qui s’en approchaient, et fit savourer les mystérieux délices de la souffrance chrétienne à celui qui la possédait. Le « miracle » consiste non seulement en la préservation intacte du pain eucharistique, mais dans le fait que pas un garde, pas une fouille, pas une seule perquisition ne réussit à enlever au père la « sainte réserve » qui l’accompagne partout parce qu’il la porte ostensiblement autour du cou…


Fort de la force du Christ, et vivifié par l’espérance en son Seigneur et sauveur, le père Alagianan tient le coup pendant 12 ans jusqu’au moment de sa libération, le 12 février 1954, grâce à l’intervention du gouvernement italien, de divers groupes de pression et aussi d’autres voies diplomatiques.


Le 7 mai 1966, le père Pierre Alagiani est reçu en audience privée par le pape Paul VI qui lui adresse ces paroles ré confortables : « Nous apprécions ton apostolat en faveur de l’Église du silence et nous t’exhortons de le continuer ». Puis le pape demande au secrétaire d’État, le Cardinal Cicognani[2]d’envoyer au père une lettre dans laquelle on peut lire le passage suivant : « Aussi, nous souhaitons appui et compréhensions pour les millions de fidèles qui ont de la solidarité catholique » de leurs frères du monde libre.


Quels devoirs pressants ne s’imposent-ils pas, à nous, catholiques de l’Église encore libre pour venir en aide et appuyer par tous les moyens à notre disposition, nos frères martyrs de l’Église du Silence…


Jean-Paul Regimbal


[1] Le père Pierre Alagiani est Jésuite. Il est l’auteur du livre-choc : « Mes prisons dans le paradis soviétique », paru en 1968.
[2] Cardinal Amleto Giovanni Cicognani (1883-1973)


Tiré de: Trinité Liberté, Vol.4 No 6, décembre 1971, pp.23 à 26. Revue conservée chez Bibliothèque et archives nationales du Québec, a Montréal (BANQ-PER120)