Comment sortir de la crise intérieure? Propos de Rolande Parrot

Il était une fois dans les médias...


Par Benoit Voyer (2005)

Rolande Parrot est responsable des communications à l’Assemblée des évêques du Québec (AEQ). Elle a longtemps été rédactrice en chef de la revue L’Église canadienne et a écrit, en collaboration, le livre Faire face à la crise spirituelle (Fides, 1995). Elle a aussi travaillé au service des communications du diocèse catholique de Saint-Jean-Longueuil, a CKTM TV, à Trois-Rivières, et au diocèse de Joliette. Elle n’a jamais été mariée, car elle a fait, à l’âge de 14 ans, l’option du célibat.


Article paru en octobre 2001

Pour sortir d’une crise,
il faut la laisser agir en soi

Il n’y a pas de recette miracle pour sortir de la crise intérieure. Il faut du temps, beaucoup de temps, le temps qu’il faut... “On ne peut pas passer par-dessus le temps. Avec le rythme de la vie d’aujourd’hui, cela n’est pas facile. Lorsque nous traversons des étapes difficiles, il faut laisser les choses descendre en foi afin d’en tirer le meilleur part”, affirme Rolande Parrot, rédactrice en chef de la revue L’Église canadienne et responsable des communications à l’Assemblée des évêques du Québec (AEQ), qui a écrit, en 1995, le livre toujours d’actualité Faire face à la crise spirituelle, en collaboration avec Bertrand Ouellet et Luc Phaneuf (Fides).

Sa pensée est restée la même depuis ce temps sur la compréhension de la crise. C’est dans son expérience personnelle qu’elle a puisé son inspiration et ses propos. De nature discrète, il n’a pas été facile de la convaincre, au-delà de la théorie d’ouvrir les portes de son intimité. Cet univers est privé. Il faut une bonne raison pour qu’elle accepte d’y laisser entrer les gens. C’est pour aider les lecteurs à mieux traverser leurs propres crises intérieures qu’elle a accepté de lever le voile.

“Des crises, on en traverse toute sa vie. C’est un passage à autre chose. Elle est normale dans le cheminement humain et, parce qu’elle provoque un choc en soi, elle nous fait grandir. Elle nous dit quelque chose de ce que nous sommes réellement et nous demande de trouver notre propre chemin. C’est l’arrivée à un carrefour: Maintenant, qu’est-ce que je fais de ma vie?” explique-t-elle.

La crise est donc une aventure, une occasion d’évoluer, d’avancer. Lorsqu’elle survient, il ne faut pas la raisonner, c’est-à-dire s’interroger inutilement sur les motifs qui la font apparaitre. Il faut la laisser travailler en soi et aller jusqu’où elle voudra bien nous mener. Un accompagnement humain peut aider à mieux la traverser et la laisser nous transformer.

La spiritualité au cœur de la crise
Pour Rolande Parrot, la spiritualité chrétienne est une voie privilégiée à explorer. Elle donne des pistes intéressantes qui amènent l’humain à mieux vivre les difficultés de la vie. Lorsqu’elles surviennent, il y a –notamment – deux éléments à toujours garder en mémoire

Le côté philosophique du concept élémentaire de la résurrection enseigne qu’il y a toujours un matin de Paques après un vendredi saint, c’est-à-dire qu’il y a de grandes expériences de vie à la suite des épreuves. Après la pluie le beau temps quoi!

De plus, “quand j’entre en crise, je me dis toujours, en premier, que l’Esprit saint parle par les événements. Je me questionne: Comment est-il présent dans ce qui m’arrive? Qu’est-ce qu’il veut m’enseigner? Ou veut-il me conduire? Il y a toujours, pour les gens qui restent ouverts, un appel intérieur a une certaine spiritualité. Celle-ci vient chercher tout l’être dans son orientation et son devenir”, renchérit-elle.

Désirer Dieu
Qu’est-ce qu’il faut faire pour reprendre contact avec Dieu, après l’avoir mis de côté, ou comment le rencontrer de manière sensible, voire significative? Selon Rolande Parrot, chaque personne doit se donner des lieux pour favoriser cette rencontre personnelle avec le Dieu révélé par Jésus-Christ. Elle donne en exemples les petits groupes de partage de la foi et le retrait, pour quelques heures, quelques jours ou quelques semaines, dans une maison de retraites spirituelles, un monastère ou une abbaye, comme à Saint-Benoit-du-Lac, Oka, Granby, Trois-Rivières. Rougemont et Québec.

Elle encourage aussi la lecture, à petite dose, de traités de spiritualité chrétienne. De son côté, elle ne cache pas son grand intérêt pour les exercices spirituels de saint Ignace de Loyola.

Elle insiste: “Ce qui est encore plus important, c’est surtout de faire naitre le désir de rencontrer Dieu ou de le retrouver. Il suffit de demander! Personnellement, lorsque j’entre en période où j’ai le cœur froid, c’est ce que je fais! Il n’est pas nécessaire de faire de longues prières. Il suffit de faire la prière comme elle vient! Il suffit de demander avec la vérité de ce que je porte!”

“Dans les conditions nouvelles qui sont les nôtres, il importe de remonter là où la foi prend sa source, c’est-à-dire au cœur de l’expérience des gens. La source, elle se trouve dans les personnes, aux moments essentiels de leur vie, dans les expériences de base à travers lesquelles se manifestent les premiers frémissements, les premières rumeurs de la foi. C’est cette source qui est au point de départ de tout cheminement. C’est elle qu’il faut sans cesse rechercher, dégager, canaliser. Comme des sourciers, il nous faut redevenir attentifs à ce cheminement, lointain ou proche, de la source de vie. Attentif au puits secret, que chacun porte au plus profond de soi”, comme on lit dans Propose aujourd’hui la foi aux jeunes, une force pour vivre (AEQ). Rolande Parrot reprend cette idée à sa façon, avec des mots simples, puisés dans son propre cheminement de vie.

Être vrai
Pour sortir de la crise, il faut être vrai avec soi et trouver sa propre vocation, sa voie.

Le temps d’une minute, elle oublie l’interview et s’adresse à l’âme de l’homme derrière le journaliste: “A travers les entrevues que tu fais, il y a une ligne dans ta tête et dans ton cœur, même s’il n’y a pas deux textes pareils. Tu fais une recherche personnelle à travers cela... Tu as ta vocation propre de journaliste. Une autre personne qui viendrait me voir n’aurait pas les mêmes questions que toi! Tu les as choisies à partir de toi-même. Tu fais des interviews a la manière de Benoit Voyer. C’est là qu’est la richesse de ce que tu apportes à la société. C’est cela ta vocation!”

“Revenir à la source. Oublier le schéma des canalisations et des aqueducs pastoraux qui ne donnent plus guère d’eau. Chercher les sources de la foi, toujours souterraines, mais qui affleurent tôt ou tard, au ras de la vie. Elles sont là où les gens, fatigués, retrouvent le gout de boire, le gout de l’eau, le gout de vivre et de revivre”, lit-on dans le document d’orientation de l’AEQ.

Rolande Parrot reste fidèle à sa réflexion de 1995: “La connaissance de soi n’est jamais totalement acquise. Ce qui importe surtout, c'est de pouvoir tabler sur ses richesses, ses qualités, ses capacités, ses compétences; en fait, sur les éléments positifs de sa personnalité. A partir de là, il est plus facile de découvrir son style propre pour évoluer dans la vie. [...] Savoir qui on est pour reconnaitre les richesses que le Seigneur nous a données constitue un élément indispensable pour trouver la volonté de Dieu sur soi à travers les activités courantes et les engagements de sa vie.”

Il était une fois... la crise
Rolande Parrot est passée par une sévère crise intérieure pour en arriver à sa réflexion.

Avant 1968, tout allait pour le mieux en elle. Pendant 7 ans, elle se donne à une vie de célibataire au sein d’un nouvel institut séculier, la Société du Christ Seigneur, fondé par le père Ludger Brien, s.j. De 1960 à 1967, elle se donne corps et âme au service du Centre Leunis.

“Nous avions une formation très religieuse, presque cloitrée. Je suis tombée malade d’épuisement parce que je marchais à contre-courant du type de formation qui nous était donné. Malgré tout, je suis redevable au père Brier, surtout pour la formation spirituelle à l’école des exercices spirituels de saint Ignace de Loyola”, raconte-t-elle.

Ce rythme de vie ne lui va pas. Elle tombe malade. C’est le début de sa grande crise de vie. Elle souffre d’épuisement total. S’agit-il d’un burn-out, d’une mononucléose? Elle ne le saura jamais parce que ces concepts n’étaient pas encore très connus à l’époque. Tout ce qu’elle sait, c’est qu’il lui faut trois mois de repos juste pour en arriver à être capable de tordre sa débarbouillette lorsqu’elle se lave et que, lorsqu’elle s’assoit, il lui faut, comme un bébé, des coussins pour se tenir assise. Il ne lui reste que sa volonté.

Dix-huit mois plus tard, elle réussit, de peine et de misère, à reprendre la direction du marché du travail. Elle n’a pas la santé, mais il faut bien manger et payer le loyer!

Elle rencontre Mgr René Audet, évêque de Joliette, qu’elle connait depuis quelques années. Elle lui explique son désir d’occuper un emploi permanent adapté à son état physique. Il lui confie un poste de secrétaire au département des communications de son diocèse. Elle ne connait rien au domaine, mais elle tente l’aventure.

“Au fond, c’est le Seigneur qui m’a dit: “C’est là que tu vas!” “Les événements ont fait que, par la suite, j’ai toujours travaillé dans l’univers des communications”, relate-t-elle.

Par la suite, pendant cinq ans, on la retrouve a CKTM TV (canal 13) à Trois-Rivières. La petite secrétaire goute à une série de nouvelles expériences qui l’amènent à travailler, pendant quelque temps, avec Roland Leclerc – animateur des émissions télévisées Le Jour du Seigneur (SRC) et Parole et vie (VOX) -, et lui font découvrir les métiers de la direction des programmes et de la production.

Pour mieux se connaître
Elle finit par se retrouver au journal du diocèse de Saint-Jean-Longueuil. “C’était énervant parce qu’il fallait écrire bien des articles et réaliser des interviews... A l’intérieur de moi, je me croyais assez forte! Au bout d’une année, j’étais complètement réépuisée. J’étais inquiète et très déçue. J’ai pris un été de congé. Sur les conseils d’une amie, je suis allée en thérapie pour apprendre à mieux me connaitre”, résume-t-elle.

“Lors de la première rencontre, poursuit Rolande Parrot, la thérapeute m’a dit: “A partir de ce soir, je vous demande deux choses: 1) Vous ne dites pas ce qui se passe dans mon bureau; 2) Vous arrêtez de penser. Vous n’avez rien réglé par vous-même? Alors laissez-moi travailler avec vous!” Je me suis dit: Qu’est-ce que je vais faire si je ne pense plus? Je suis alors rentré chez moi. Je me revois encore dans mon salon, décontenancée, me mettant à lire les psaumes. A partir de ce soir-là, toute ma vie spirituelle et tout le rapport a moi-même et à Dieu ont changé”.

Elle découvre, notamment, une nouvelle façon de prier. Elle trouve aussi sa propre manière d’avancer dans la connaissance d’elle-même et que, dans la vie, il faut apprendre à dire non.

Il lui a surtout fallu apprendre à faire beaucoup de choses avec son peu de force physique. Depuis ce temps, tout ce qu’elle entreprend, elle l’évalue en termes d’énergie. Est-ce qu’elle en a assez pour faire telle ou telle activité? De plus, “j’ai réappris à lire la bible, dit-elle. J’ai arrêté de faire de longues lectures et je me contente de petits passages à la fois” pour mieux les laisser produire son effet en elle.

En découvrant son univers intérieur et une nouvelle manière de vivre sa foi, elle est finalement sortie de sa crise commencée en 1968. A partir de 1980, tout change.

De l’énergie à revendre
En 1982, elle travaille toujours pour le diocèse de Saint-Jean-Longueuil, et sollicite de l’évêque du lieu, Mgr Bernard Hubert, la possibilité de poursuivre des études universitaires en théologie. Il accepte. Elle terminera sa formation trois ans plus tard.

En 1988, elle devient rédactrice en chef de la revue L’Église canadienne. “Je suis entrée la comme dans mon salon. J’ai découvert le plaisir de réfléchir. Depuis ce temps, je découvre beaucoup de gens: des théologiens, des gens d’Église...”, dit-t-elle.

En 1995, elle quitte son poste. Elle décide de rendre service à un éditeur et remplit des contrats ici et là. En 1998, elle devient adjointe au secrétaire général pour les communications a l’AEQ. En mars 1999, elle reprend son poste de rédactrice en chef à la revue L’Église canadienne tout en poursuivant son travail à l’AEQ. Le jour, elle rend service aux évêques, et les soirs et les fins de semaine à ses lecteurs. Elle ne chôme pas et a, maintenant, de l’énergie comme elle n’en a jamais eu depuis sa jeunesse.

Toujours célibataire, elle n’a jamais manqué à son option pour le célibat, une ferme décision prise à l’âge de 14 ans.

Rolande Parrot a travaillé fort pour sortir de la crise. Il lui a fallu du temps, beaucoup de temps, rien que du temps pour retrouver l’énergie d’antan. Elle y est parvenue. Depuis 1980, elle est heureuse comme jamais et, à l’heure de la retraite qui approche, elle n’a pas l’intention de s’arrêter. Lorsqu’elle y arrivera, elle souhaite écrire et continuer à rendre service. La recette miracle pour sortir de la crise, elle la connait maintenant. Il suffit d’être soi-même et de ne pas vouloir être autre chose que ce qui habite en soi. Pour être heureux, il faut trouver sa vocation, sa voie.

Tiré du livre « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 45 à 52. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).