La révolution de l'amour (5)


Par Jean-Paul Regimbal (1981)

La révolution de l’amour et son rayonnement dans le monde scolaire

Après avoir porté ses fruits dans le cœur des jeunes et transformé la famille en Église domestique, La révolution de l’amour doit maintenant étendre son rayonnement dans le monde étudiant tout entier si elle veut engendrer une nouvelle civilisation de justice, d’amour et de paix.

Or, c’est a vous, bien chers jeunes, qui fréquentez les écoles secondaires, les polyvalentes, les cégeps et les universités que revient la responsabilité de porter témoignage de votre foi au Christ dans votre milieu :

-de traduire en termes de besoins étudiants l’expression du radicalisme de l’évangile, et

-d’inventer la forme que tout cela doit prendre en termes concrets de métamorphose du milieu étudiant lui-même.

Il est fort intéressant de constater que la révolution marxiste, la révolution léniniste et la révolution maoïste ont toutes trois essentiellement éclaté dans les grands campus estudiantins. Lénine avait coutume de dire : « la meilleure façon de dominer un pays, c’est de contrôler sa jeunesse, et le meilleur moyen d’affaiblir un adversaire, c’est de corrompre sa jeunesse. » N’oublions pas, cependant, qu’il faisait la promotion d’une révolution de la haine par et pour la lutte des classes, l’affrontement sanglant des pauvres contre les riches, des propriétaires contre les capitalistes et des possédés contre les possédants. C’est d’ailleurs ce quoi inspira Mao lorsqu’il lança, en Chine, sa révolution culturelle et dressa le monde étudiant contre l’ « establishment » des communistes embourgeoisés. Vingt ans plus tard, la révolution culturelle porte ses fruits empoisonnés, et les nouveaux dirigeants de la Chine sont obligés de réparer les brisures incalculables provoquées par le raz-de-marée de la révolution estudiantine.

Ce dont nous parlons, ce que nous voulons susciter, ce n’est pas une révolution de la haine visant a entrainer la dislocation sociale, mais bien une révolution de l’amour qui nous permettra de bâtir ensemble un société nouvelle, une authentique et inédite civilisation, inspirée des valeurs évangéliques et des exigences fraternelles de justice, d’amour et de paix. Ce n’est pas la corruption de la jeunesse qui permettra de bâtir comme sur des ruines une nouvelle société et une nouvelle civilisation, mais, au contraire, l’édification de la jeunesse, grâce a laquelle naitra une terre nouvelle et des cieux nouveaux.

« Si l’Église porte une attention privilégiée aux jeunes, c’est qu’ils sont, a toutes les époques, l’espérance a la fois du monde et de l’Église. Ceci est particulièrement vrai en notre temps, car il vous revient d’être les témoins, et surtout les artisans de la mise en œuvre du concile dans l’Église. Elle vit son éternelle jeunesse, qu’elle tient du Seigneur, dans la fraicheur du renouveau, reprenant les énergies toujours vivantes de sa tradition, animée par la grâce du Saint-Esprit, pour être toujours plus fidèle à la bonne nouvelle de l’Évangile. »[1]

Les valeurs chrétiennes :
Un héritage à conserver

De même que le pape se soucie des jeunes, en tant que pasteur universel de l’Église, les évêques du Québec se préoccupent de l’éducation familiale et scolaire des jeunes. Une certaine orientation du projet éducatif est en train de compromettre, voire même d’éliminer la transmission des valeurs chrétiennes essentielles.

Voici en quels termes nos évêques (AEQ) s’expriment :

« Envisagée dans une perspective morale, la sexualité humaine englobe toute la personne. Elle se manifeste comme une force qui tend à la rencontre des êtres, a la communication interpersonnelle, a une relation d’amitié ou d’amour. Elle suppose l’accueil, l’échange, le dialogue, l’attention et l’ouverture à l’autre : autant de valeurs qui ont des incidences morales. Elle appelle aussi à la complémentarité des sexes ainsi que l’a voulu le Créateur : Homme et femme, les créa (Genèse 1,27). En conséquence, dans une vision chrétienne de la sexualité, l’homme et la femme sont invités à répondre à cette intention divine d’une triple manière :

-Par l’amour qui fait entrer en communion avec les autres et surtout avec la personne de l’autre sexe en vue de former le couple humain;

-Par l’amour qui est fidélité envers les autres et aussi envers l’autre choisi(e) comme compagnon ou compagne de sa vie dans un engagement sans retour et sans limite;

-Par l’amour qui est fécondité au plan physique ou au plan spirituel; fécondité génératrice de vie humaine dont l’enfant est le plus beau fruit, fécondité génératrice aussi de vie spirituelle par la consécration totale à Dieu et a ses frère en vue de répondre aux appels urgents de l’humanité d’aujourd’hui, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent. C’est l’engagement en vue du Royaume.

Telles sont les grandes valeurs de vie qui gravitent autour de l’amour et qui sont présentes dans la conception chrétienne de la sexualité.

Nous savons combien cette grande et mystérieuse force de l’amour, auquel l’être humain est appelé, peut faire vibrer le cœur des jeunes. Nous voulons ici leur rappeler qu’ils portent en eux une richesse immense qu’ils ont à découvrir et a développ45 au fur et a mesure de leur croissance. Une réalité aussi riche et précieuse que l’amour exige, pour grandir et s’épanouir, d’être cultivée dans des conditions favorables :gout de vivre, respect de soi et des autres, sens de l’admiration devant le chef-d’œuvre de la création qu’est le corps humain, sens de la dignité humaine, de la maitrise de soi et de la responsabilité personnelle, souci de se protéger contre toutes formes de pollution morale et de puiser a des sources saines et vivifiantes, enfin conscience de sa dignité de baptisé et d’enfant de Dieu. La droiture de l’esprit et du cœur n’est pas moins nécessaire a la santé de l’âme que la pureté de l’air et de l’eau a la santé du corps.

Une éducation sexuelle conforme aux principes de base d’une école catholique saura faire entendre aux jeunes l’appel au respect de la personne et de la vie, au dépassement et au don de soi. »[2]

La confessionnalité :
Un droit et un devoir

D’une certaine manière la jeunesse québécoise jouir d’un statut privilégié si on la compare à la jeunesse européenne et soviétique. En effet, le droit constitutionnel prévoit et défend la confessionnalité des écoles de la province. Cela signifie que tous les projets éducationnels doivent être conçus en fonction des normes et des valeurs véhicules par les principales confessions : catholiques, protestantes et judaïques. Chaque étudiant catholique jouit dont du droit inaliénable de recevoir un enseignement – a tous les niveaux – conforme a la foi chrétienne et a l’enseignement officiel de l’Église. Or, en pratique, ce droit vous a été partiellement ravi par les idéologues de l’éducation qui sont à l’œuvre depuis la révolution tranquille des années soixante. Une minorité active et militante a donc réussi en vingt ans à priver la majorité étudiante de ses droits constitutionnels.

Comment ce phénomène a-t-il pu se produire? Tout simplement quand la majorité silencieuse s’est laissé manipuler par une minorité vocale, pour ne pas dire vociférante. C’est bien d’affirmer avoir des droits, encore faut-il savoir assumer ses devoirs et ses obligations. Or, au Québec, l’ensemble de la jeunesse étudiante a préféré confier ses responsabilités et ses devoirs à une minorité séculariste et laicisante engagée a fond dans la déconfessionnalisation des écoles.

Bien sûr, cette responsabilité incombe d’abord aux parents et aux divers responsables officiels de l’éducation au Québec, mais cela ne dispense en rien les étudiants, a tous les niveaux, de revendiquer leurs droits à la confessionnalité, à condition, bien sûr, d’exercer les devoirs qui correspondent a ces droits. Trois exemples suffiront à illustrer ma pensée :

1. Dans la très vaste majorité des écoles publiques au Québec, on s’est empressé de retirer tous les crucifix des halls d’entrée, des principaux locaux. Savez-vous pourquoi? Parce qu’il était inconvenant de traumatiser les jeunes et de les soumettre au dolorisme névrotique de la religion en plaçant sous leurs yeux le divin crucifié, le rédempteur des hommes!

2. Dans la programmation scolaire, tout a été organisé de telle façon que les cours de catéchèse soient donnés aux moments les moins favorables à l’attention et a l’intérêt des élèves; d’ailleurs, n’importe quelle excuse suffisait à faire sauter l’heure de catéchèse pour la remplacer par une autre activité. Graduellement, les contenus des cours ont été « exorcisés » de tout ce qui pouvait avoir une connotation chrétienne ou religieuse. Savez-vous pourquoi? Parce qu’il fallait combattre l’aliénation qui pouvait tôt ou tard empêcher les jeunes de développer un sain jugement de caractère objectif, scientifique et libre!

3. Quant a la pastorale, on a réduit peu à peu les budgets d’abord, puis les locaux et, enfin, le personnel lui-même, de sorte que, dans certaines écoles publiques il n’existe plus aujourd’hui de service de pastorale proprement dit.

Il a suffi de quelques décisions administratives et certaines pressions de groupe minoritaires pour vous priver de vos droits dans ces trois domaines. Et comme vous, les jeunes, n’avez pas réagi, tout s’est passé comme un charme, a votre propre détriment. Si plusieurs de nos écoles supérieures sont devenues des jungles, s’est parce que, privé de connaissance et de soutien moral, la jeunesse étudiante a suivi la voie la plus facile, laissant libre cours a tous les débordements les plus déshumanisants. Pourquoi tant de jeunes sont-ils aujourd’hui tellement écœurés du climat qui existe dans leurs institutions d’enseignement? Parce qu’ils ne trouvent plus rien qui corresponde à leur soif d’absolu, a leur idéal humano-chrétien et a leurs aspirations légitimes. Seule la révolution de l’amour peut rendre plus vivable et plus humaine l’atmosphère globale ou nos jeunes ont le droit d’évoluer.

Pour corroborer ce que je viens d’affirmer, il est très facile de constater que le « grand progrès éducatif » consiste à étouffer la foi dès le secondaire 1, plutôt qu’a l’université. N’est-ce pas étrange qu’un système scolaire qui se dit confessionnel mène concrètement non pas a l’épanouissement de la foi, mais bien à sa perte prématurée? C’est d’un non-sens alarmant, d’un absurde à faire crier!

Comment réagit devant tout cela?
Comment vous, les jeunes, pouvez-vous changer la situation pour réintroduire le Christ et la pensée chrétienne non seulement dans vos cours, mais aussi dans vos écoles? C’est bien simple : en exerçant, en toute solidarité, vos responsabilités de jeunes adultes chrétiens et en exigeant le retour des crucifix dans vos établissements, du Christ dans votre enseignement et de l’esprit chrétien dans vos institutions.

Permettez-moi de vous donner deux exemples concrets qui ont été vécus récemment au Québec. Dans une certaine classe de secondaire IV, on avait substitué la sexologie a la catéchèse. Or, constatant qu’ils étaient manipulés, les élèves eux-mêmes n’ont pas hésité a scander ensemble, au début de cours suivant : « On veut Jésus! On veut Jésus! On veut Jésus! » L’autre exemple concerne les services de pastorale dans une très grosse polyvalente de la Rive Sud. Les élèves se sont rendu compte que le budget de la pastorale était attribué a d’autres activités, alors que leurs propres projets étaient mis en veilleuse faute d’argent. Le conseil des élèves n’a pas craint de rencontrer la direction afin de rétablir, en toute justice, les budgets et leurs attributions tels que prévus au début de l’année. Voila ce que j’appelle « prendre ses responsabilités »!

Si vous voulez, chers jeunes, continuer à jouir du droit de la confessionnalité dans vos écoles, il vous faut absolument défendre ces droits d’une façon énergique et assumer vos devoirs avec un sens aigu de responsabilité.

Jean-Paul II vous parle:

« Vous, qui êtes dans le monde étudiant, vos inquiétudes, comme vos espérances et votre action, sont marquées par votre situation particulière, transitoire par définition. Vous vivez en effet une période de formation dans laquelle les préoccupations personnelles immédiates comme celles de votre avenir professionnel, familial et social ne peuvent pas ne pas avoir une grande place. Elles vous rendent aussi particulièrement aptes à saisir les changements en cours et les appels de notre monde.

En tant qu’étudiants, vous vivez aussi dans des milieux scolaires et universitaires dont le but est la diffusion et le progrès du savoir et de la culture, mais qui sont en même temps le lieu où vous vous trouvez affrontés à une multiplicité quasi indéfinie de techniques, de messages, de propositions, d’idéologies. C’est là que vous êtes appelés à vous former, à motiver votre choix, et à porter témoignage de votre foi au Seigneur Jésus-Christ, qui nous donne, comme je l’ai montré à plusieurs reprises, et en particulier dans mes deux encycliques, la vérité de l’homme indissolublement reliée à la vérité de Dieu. »

Vos évêques vous parlent
La mise en œuvre d’un « projet éducatif chrétien » demande une étroite collaboration et d’une mutuelle confiance entre tous ceux qu’il doit normalement impliquer : parents, éducateurs et étudiants.

Voyons un peu en quels termes les évêques du Québec abordent cette question complexe et exigeante :

« En milieu scolaire, l’éducation sexuelle doit respecter le développement psychologique des jeunes et éviter de projeter sur eux les problèmes des adultes. L’éducateur affecté a cette tache se montrera respectueux du jeune en tenant compte des stades de son développement, des niveaux primaire et secondaire, des différents milieux, bref, en cherchant a répondre a ses véritables besoins. C’est la une exigence première de tout projet éducatif centré sur l’élève. Concernant le choix de l’éducateur, le document du Comité catholique L’éducation sexuelle dans les milieux scolaires catholiques du Québec présente, dans un développement plus élaboré, des orientations auxquelles on peut se référer.

Mais ce qui nous semble particulièrement important dans un projet d’éducation sexuelle a l’école, c’est la qualité humaine des éducateurs chargés de cette responsabilité. Face aux appels souvent contradictoires qui retentissent eu eux et autour d’eux, les jeunes ont surtout besoin de la présence d’éducateurs capables de les accompagner dans l’apprentissage qu’ils ont à faire de la décision morale et d’une conduite responsable. Pour remplir efficacement ce rôle, les éducateurs doivent d’abord avoir la confiance des jeunes et être, a leurs yeux, des témoins de valeurs incarnées dans la vie. Au fond d’eux-mêmes, les jeunes recherchent des éducateurs qui projettent l’image d’adultes épanouis ayant assumé leur sexualité d’homme ou de femme dans vie pleinement engagée et heureuse.

A ces qualités humaines fondamentales devront s’ajouter la compétence, le sens pédagogique, la capacité de travailler en collaboration notamment avec les parents et les membres du personnel de l’école.

De tels éducateurs existent, nous en sommes convaincus. Il faudra cependant prévoir, comme on le fait lors de l’implantation d’un nouveau programme, des sessions de sensibilisation et de perfectionnement a l’intention de ces éducateurs scolaires et des parents appelés à travailler avec eux.

La famille et l’école se doivent de donner à l’enfant et a l’adolescent le meilleur d’elles-mêmes. C’est en conjuguant leurs efforts qu’elles y parviendront. Déjà des structures de participation sont en place en vue d’assurer une plus grande qualité de la vie en milieu scolaire : comité de parents, comité d’école, conseil d’orientation. S’il est un domaine ou la qualité doit transparaitre, c’est bien celui de l’éducation sexuelle, qui touche aux dynamismes les plus profonds et les plus complexes de l’être humain.

C’est le défi que les adultes ont à relever, avec lucidité et sérénité, afin d’offrir aux jeunes les meilleures chances d’épanouissement personnel et social. Quant aux jeunes, ils pourront répondre de façon plus consciente et responsable a leur vocation d’hommes et de femmes a laquelle ils ont été appelés dans le plan du Créateur, et a leur vocation chrétienne de fils et de filles de Dieu ».[3]

Attitudes positives dans l’action
Mettons au clair tout de suite ce qui pourrait paraître ambigu dans les propos que je viens de tenir. Lorsqu’on parle de droits et de devoirs, on est tellement habitués de réagir selon un mode revendicateur, agressif et même frondeur, qu’on pourrait facilement m’accuser de monter les élèves contre leurs professeurs ou leur institution.

Puisqu’il s’agit d’une révolution de l’amour, la méthode d’action doit, elle aussi, être inspirée par l’amour. Il n’est donc pas question de préconiser des attitudes négatives, faites à la fois d’intransigeance, d’impatience et de subversion. Je dirais même que c’est exactement le contraire qui est de mise :
-au lieu de la subversion, la conversion;
-au lieu d’agressivité, la fermeté;
-au lieu d’impatience, la patience et la longanimité;
-au lieu d’intransigeance, le dialogue, le respect et la communion.

La dynamique de la lutte des classes n’a pas sa place dans la révolution de l’amour. Celle-ci fait appel a la dynamique fraternelle de la solidarité. Tout doit se dérouler dans un climat de respect mutuel et dans la recherche communautaire des meilleurs moyens pour atteindre la fin spécifique de l’éducation elle-même : l’épanouissement de l’être tout entier dans le plein exercice de sa liberté d’homme et d’enfant de Dieu.

Les élèves et les étudiants qui veulent se mettre sérieusement à la tâche ont de nombreux moyens pour transformer l’atmosphère et l’esprit qui règnent dans les écoles :
-le conseil des élèves et des étudiants
-le comité de pastorale
-le service d’évangélisation
-les principales associations scolaires et étudiantes
-le comité professeurs-étudiants
-le journal scolaire
-les affiches et les babillards
-la radio scolaire
-Les journées d’étude

La ou ces moyens n’existent pas, il faut les créer; la ou ils existent, savoir s’en servir positivement. Avez-vous fait l’inventaire de ce qui existe dans votre milieu scolaire pour promouvoir la communication avec les divers groupes concernés? Vous serez sans doute étonnés de constater que des mécanismes existent déjà pour faciliter les rapports élèves et professeurs, élèves et administrations, élèves et direction, élèves-parents-maitres. C’est là qu’il s’agit de prouver sa conviction, ses valeurs et des principes. C’est grâce a ces réseaux de communication qu’il devient possible de transmettre aux autres le fruit de ses réflexions et l’exposé de ses aspirations les plus fondamentales.

Puis, il y a encore le dialogue avec vos propres parents. Comment voulez-vous que les parents interviennent au cœur des différents débats ou consultations, si vous ne les mettez pas au courant vous-mêmes des structures que vous aimeriez voir instaurées afin d’améliorer le climat et l’esprit de votre école? Bien des parents s’abstiennent de participer aux activités parents maitres tout simplement parce que vous n’échangez jamais avec eux vos inquiétudes ou vos préoccupations! Vous renforcez par la les réflexes de la majorité militante d’occuper tout l’espace laissé par votre indifférence.

La révolution de l’amour ne deviendra jamais une réalité dans le monde de l’enseignement si les élèves et les étudiants eux-mêmes n’assument pas leur propre responsabilité en tant que « sel de la terre, lumière du monde » et « levain dans la pâte ». Sachez que le mal n’a pas en soir de force de diffusion; il se répand partout ou le bien et les gens de bien ne font rien. Par exemple, la vente de la drogue dans le milieu scolaire deviendrait pratiquement impossible si la majorité des étudiants s’assuraient que les « pushers » se fassent pousser à leur tour; la licence sexuelle ne pourrait facilement se pratiquer si la vigilance des jeunes responsables mettait mal a l’aise ceux qui voudraient s’y livrer; la pornographie ne pourrait pas se répandre comme une infection du corps étudiant si les jeunes chrétiens apportaient plus souvent l’antidote de leur témoignage de pureté, de vérité et d’authenticité. Je dirais même plus : la littérature pornographique n’aurait plus sa raison d’être si l’on faisait davantage pour répandre auprès des étudiants une littérature de qualité, adaptés à leurs besoins et capable de les entrainer à la noblesse, au dépassement et a l’engagement. Il ne suffit pas de dénoncer le mal et de partir en croisade contre lui; il est tellement plus efficace de pratiquer le bien et de rayonner autour de soi la joie de vivre, l’enthousiasme de l’idéal et la créativité de l’amour. Quand il n’y a pas de vide à remplir, le mal n’a plus d’espaces à occuper. Comblez l’attente des jeunes étudiants qui vous entourent, et vous les verrez intéressés à connaitre davantage ce que vous aurez su leur présenter par votre propre vécu plein d’attrait.

Une belle manière d’illustrer ce que je viens de vous dire a été pratiqué par David Wilkerson dans les milieux scolaires de Harlem, à New York, pourris par la drogue, la violence et la sexualité.

Qu’est-ce que l’amour? Demandait-il :

«L’amour, c’est le temps passé auprès d’un lit, essuyant la sueur d’un front brulant; c’est l’aide apportée a un adolescent plié en deux sous l’effet des crampes de la désintoxication; c’est la main qui tire une couverture chaude sur des épaules frissonnantes; c’est la voix rassurant que bientôt le plus dur sera passé. »[4]

Cette inspiration a donné naissance à « Teen Challenge », un organisme qui rayonne maintenant dans plusieurs campus universitaires et collégiaux des États-Unis et de l’Europe centrale. Pourquoi donc le même amour ne serait-il pas capable d’inspirer une action similaire dans tous les campus de nos vastes écoles secondaires et polyvalentes, de nos cégeps et de nos universités? Il ne dépend que de vous que la même chose arrive chez nous, produisant les mêmes effets bénéfiques et les mêmes transformations sociales.

Révolution et liberté
Si l’on y pense attentivement, le projet éducationnel dans son ensemble devrait normalement permettre à tous les jeunes d’accéder progressivement a la plénitude de la liberté humaine et chrétienne. C’est lorsque l’homme sait exercer sa liberté sous l’impulsion de l’amour qu’il atteint vraiment son épanouissement en tant qu’être et sa pleine capacité d’agir. La liberté, en effet, n’est pas une hypothèse, mais la conclusion d’une longue évolution vers la maturité, et le couronnement d’une éducation saine, équilibrée et humanisante. Pour atteindre sa liberté intégrale, l’être humain doit réussir a intégrer dans sa personnalité globale tous les éléments qui répondront a ses divers besoins physiques, psychologiques, affectifs, intellectuels, moraux, spirituels et surnaturels. Lorsqu’une ou l’autre de ces dimensions fait défaut au développement de la personnalité, il en résulte un déséquilibre qui met en danger la liberté elle-même.

Aussi l’éducation globale doit-elle offrir des réponses valables et adéquates aux besoins de l’être humain ci-haut mentionnés. Tout projet éducationnel exempt des dimensions morales, spirituelles et surnaturelles privent le jeune élève ou étudiant des possibilités de jouir entièrement de la liberté a laquelle il a droit. Les idéologies courantes qui inspirent les programmes québécois d’éducation sont tellement imprégnées de matérialisme, d’hédonisme, de pragmatisme et d’individualisme que, finalement, c’est la liberté même des étudiants qui en est atteinte et appauvrie.

Trop de jeunes, hélas, conçoivent simplement la liberté comme la possibilité de faire ce qu’on veut, quand on veut, comme on veut et aussi longtemps qu’on veut. Ils sont donc profondément frustrés quand la réalité de la vie et les sens des responsabilités imposent des limites a l’exercice de cette pseudo-liberté. Ils se sentent alors emprisonnés dans un carcan social, tout fait de conventions artificielles, et perçoivent toutes formes d’autorité comme une atteinte directe a leur liberté. S’il y a tant de révolte et de violence dans les milieux scolaires, c’est que beaucoup de jeunes se croient atteints dans leur dignité et leur personnalité par des restrictions qu’ils jugent arbitraires et inopportunes. Partant d’une fausse conception de la liberté, ils en concluent qu’ils sont devenus les victimes innocentes d’un « establishment » tout-puissant qui les empêche de s’épanouir totalement.

La juste conception de la liberté est bien différente; le rôle de l’éducation consiste à transmettre aux jeunes le contenu véritable de cette valeur et de cette richesse qui, a juste titre, leur parait sacrée et inviolable. Sur ce dernier point, les jeunes ont parfaitement raison, car, de fait, la liberté est un droit imprescriptible, une valeur sacrée et une richesse inaliénable. Toutefois, cela n’est vrai que dans la mesure ou la liberté est définie comme « une aptitude radicale à pouvoir faire le choix des meilleurs moyens pour atteindre la plus noble des fins, qui est le plus-être et le mieux-être de tout l’homme et de tout dans l’homme. Voila ce que propose la révolution de l’amour au cœur de la réalité du monde de l’éducation : 1-connaitre vraiment l’homme et sa finalité ultime; 2-lui apprendre quels sont les meilleurs moyens d’atteindre cette fin; 3-faciliter ses choix en lui permettant de s’inspirer toujours des principes essentiels de l’amour.

Ceci rejoint l’enseignement qu’a laissé le pape Jean-Paul II aux jeunes étudiants catholiques du mouvement international « Pax Romana » :

« C’est pourquoi je vous donne comme consigne, chers amis, de vous fixer d’abord sur l’essentiel. Par votre baptême et la profession de la foi de l’Église, vous êtes des hommes nouveaux, selon la parole de saint Paul. Soyez vraiment convertis au Seigneur, imprégnés, jusque dans vos choix de vie, de l’esprit des béatitudes, soucieux d’une intense vie spirituelle, surtout eucharistique. Voici le fondement: programmes, discussions, débats de vos mouvements ne serviraient à rien sans ce profond enracinement religieux et spirituel.

Soyez des témoins de la vérité. Vous la recherchez dans vos études et dans la discipline qu’elles imposent. Puissent-elles contribuer à votre développement intellectuel le plus large possible, vous donner le sens de la complexité du réel non seulement physique mais humain, la capacité et la volonté de ne pas vous arrêter à des positions trop simples. Approfondissez aussi, comme je viens de le dire, votre identité de jeunes intellectuels catholiques. Une des tâches qui vous reviennent, c’est de surmonter, dans la pensée et dans l’action, la dichotomie mise par les divers courants de pensée, anciens aussi bien que contemporains, entre Dieu et l’homme, entre théocentrisme et anthropocentrisme. Plus votre action, comme celle de l’Église, veut se centrer sur l’homme, plus elle doit trouver ouvertement son centre en Dieu, c’est-à-dire s’orienter en Jésus-Christ vers le Père (Cf. Dives in misericordia, no 1). Ceci, chers amis, fonde la nécessaire docilité au magistère de l’Église. Par cette fidélité à la vérité entière, vous vous mettrez à l’abri des tentations de la pure idéologie et de son agitation, des slogans simplificateurs, des mots d’ordre de la violence qui détruit et ne construit rien. »[5]

Bien chers jeunes, vous que Jésus aime tant, sachez que la liberté n’est pas le fruit du laisser-aller ou du laisser-faire, mais plutôt le résultat de l’ascèse et de la maitrise de soi! »

Révolution et communauté
Le défi de transformer le milieu scolaire dépasse les capacités d’un seul individu ou même de quelques unités perdues dans la masse des élèves et des étudiants. Plus la population scolaire est élevée dans une même institution, plus il est indispensable de constituer des communautés chrétiennes vivantes, des cellules d’ « agape » prêtes à collaborer avec le service de pastorale, les services aux étudiants, le corps professoral, l’administration et la direction. Bien qu’on ne puisse parler de communauté de base au sens strict, c’est vers cette formule qu’il faut s’orienter. Il s’agit de créer des fraternités dont chacun des membres est prêt à assumer les normes et les valeurs de l’évangile, la vie dans l’Esprit et les moyens de sanctification comme la prière, les sacrements, les charismes et les ministères.

Le grand problème qui confronte les jeunes des vastes campus scolaires reste et demeure la perte de leur identité et l’impression de dépersonnalisation, d’impuissance et de dilution dans la masse. Or, le rôle précis des communautés d’ « agape » est de redonner aux élèves et aux étudiants le sens de leur appartenance, de leur dignité, de leur responsabilité personnelle et de l’engagement chrétien. Pour atteindre ces objectifs, il est indispensable de créer un climat d’accueil chaleureux, une fraternité authentiquement vécue et ressentie et, bien sûr, une atmosphère de confiance mutuelle exprimée concrètement par la solidarité de prière, de vie et d’action apostolique au cœur même de l’univers scolaire ou l’on s’est inséré.

L’heure est donc à la prise de position, conséquente a une prise de conscience en profondeur; l’heure est a la communion de cœur et d’esprit de tous ceux qui veulent vivre le radicalisme évangélique; l’heure est a l’évangélisation de la culture, des milieux culturels et des agents éducateurs, afin que la révolution de l’amour achemine progressivement le monde étudiant vers la civilisation de l’amour d’ici l’an 2000.

Voici d’ailleurs les réflexions, pleines de sagesse, que Jean-Paul II adresse aux jeunes étudiants du monde entier :

« Voilà quelques principes que je voulais vous rappeler pour guider votre désir d’approfondissement et d’action. En vous y référant, vous annoncerez inlassablement l’évangile à vos camarades, et vous collaborerez à l’implantation de communautés chrétiennes vivantes dans vos milieux; vous ferez croître aussi la participation des jeunes à vos mouvements. Ainsi, vous mettrez vraiment en œuvre la communion ecclésiale, en contact étroit avec vos pasteurs, ouverts à la collaboration avec d’autres mouvements catholiques et bien insérés dans les réseaux communautaires, paroissiaux et diocésains, de la vie de l’Église. Dès maintenant aussi, et plus encore lorsque vous serez engagés dans une vie professionnelle responsable, vous serez des chrétiens et des chrétiennes capables d’apporter une contribution originale à l’évangélisation de la culture de vos pays, au service du développement intégral, matériel et spirituel, de tous les hommes. »[6]

Pour que la révolution de l’amour affecte positivement et influence en profondeur tout le milieu étudiant, trois grands principes éclaireront votre action : L’unité dans la diversité. La responsabilité dans la maturité et, pad dessus tout, la charité.

[1] Jean-Paul II aux jeunes de Pax Romana, 16 janvier 1981, Osservatore Romano, no 4, p. 2

[2] Déclaration de l’AEQ (Comité épiscopal de l’éducation), no 4, mai 1981.

[3] Déclaration de l’AEQ, mai 1981, no 5

[4] David Wilkerson, La croix et le poignard, Ed. canadienne, Mississauga, ont. 1963

[5] Jean-Paul II aux étudiants de Pax Romana, Osservatore Romano, 16 janvier 1981, no 4, p. 2. Col. #3

[6] Idem.

Tiré de : Jean-Paul Regimbal. La Révolution de l’amour, Éditions internationales Alain Stanké Ltée, 1981, pp. 117 a 135. Livre conservé a la Société d’histoire de la Haute-Yamaska, à Granby (P049) et chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, à Montréal (BANQ 248.83 R335R 1981)