Un pipeline au cœur des îles de Boucherville

Il était une fois dans les médias...


Par Benoit Voyer (2013)

Je viens de découvrir qu’un immense conduit de pétrole brut traverse l’île Grosbois, une composante du parc national des Îles-de-Boucherville. Il est situé au coeur d’un territoire naturel protégé, en plein marécage et au milieu du fleuve. S’il devait y avoir une fuite, il y aurait indéniablement une catastrophe écologique. Ce serait une véritable apocalypse pour la faune, la flore et pour nous tous puisqu’il s’agit du milieu de vie d’un habitat faunique essentiel et parce que « notre » Saint-Laurent approvisionne en eau potable près de deux millions de personnes.

Selon ce que j’ai pu lire sur le sujet, le pipeline a été installé ici au début des années 1940 et le projet Enbridge, qui a l’objectif de transporter le pétrole des sables bitumineux de l’Alberta vers le Maine en passant par l’Ontario et le Québec, passe par cet endroit. Il doit permettre de faire passer par ici jusqu’à 300 000 barils de brut chaque jour.

Depuis ma visite, il y a quelques jours, je n’en reviens toujours pas. Et puis, tant de questions trottent dans ma tête. Le parc national n’est-il pas un lieu de préservation, voire une sorte de réserve écologique accessible à la population pour s’éduquer et se divertir ? Pourquoi tolère-t-on un pipeline au coeur de cet écosystème fragile ? Quelle est la capacité de la pétrolière Enbridge d’intervenir en cas de déversement le long du pipeline ? Est-ce que la SEPAQ (Société des établissements de plein air du Québec) et le gouvernement québécois ont prévu un plan d’urgence ?

En entrevue, la présidente du comité exécutif à la Ville de Montréal, Josée Duplessis, lançait que, même si Enbridge exploite son oléoduc entre Montréal et Sarnia depuis 37 ans, elle n’a jamais partagé ses plans d’urgence avec les autorités municipales. Qui obligera cette entreprise à le faire ? À partir de quand ? Il me semble qu’il y a urgence en la matière.

Nombreuses fuites
Mon inquiétude se fonde sur le fait que de nombreuses fuites ont été enregistrées sur le continent nord-américain. Selon des données de l’Institut Polaris, entre 1999 et 2010 Enbridge a été responsable de 804 déversements en Amérique du Nord. Aux États-Unis, l’entreprise a été sévèrement critiquée par la Maison-Blanche après un déversement dans la rivière Kalamazoo, au Michigan.

Cet automne, le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs du Québec entreprendra une consultation au sujet du pipeline. J’ai bien hâte de voir si le gouvernement sera encore une fois complaisant avec l’industrie pétrolière. Depuis plusieurs années, on nous a tant raconté de mensonges au sujet du pétrole. « Nous avons accepté, un mensonge à la fois : maintenant nous rouvrons les yeux. Ouvrir les yeux fait parfois peur, mais ne fait mal qu’aux mensonges », pour reprendre les mots de Dan Bigras, dans la préface du livre De colère et d’espoir de Françoise David.

Qui répondra à nos inquiétudes sans nous endormir l’esprit de belles paroles et sans nous leurrer ? Est-ce que ce gouvernement qui se disait écologique va encore une fois tourner le dos aux idées du programme politique de ses membres ?

Le parc national des Îles-de-Boucherville a besoin d’un grand ménage. Le gouvernement doit l’aider à enrayer le pipeline de cet écosystème afin d’éviter la catastrophe.

Tiré de : Benoit Voyer. « Un pipeline au coeur des îles de Boucherville», Le Devoir, 2 août 2013 (page consultée le 2 aout 2024) ledevoir.com/opinion/idees/384208/un-pipeline-au-coeur-des-iles-de-boucherville