Christian Beaulieu, un prêtre catho marginal


Par Benoit Voyer

26 janvier 2025

Fils de Charles Beaulieu et Marie-Reine Morin, Christian Beaulieu naît le 22 mai 1941, à Saint-Hubert, près de Rivière-du-Loup, comme ses parents et ses grands-parents. Il est le cinquième enfant d’une famille qui en comptera treize.

Durant sa septième année, sa famille s’installe sur l'île d’Orléans, à quelques minutes de Québec. C’est là qu’il, passe le reste de sa jeunesse.

En 1999, il me confiait [1] : « J’ai été enraciné dans les choses de la nature, de l’accueil, de la fête, de la célébration qui étaient communiquées naturellement au sein de ma famille. C’était un milieu avec une foi proche de la vie et ou l’esprit de famille était très fort ».

A l’école, il n’a rien d’un élève brillant. Il connait bien des difficultés. D’ailleurs, tout au long de sa jeunesse, le « p’tit Beaulieu » n’aime pas beaucoup le milieu scolaire.

Un jour, lorsqu’il prend conscience à travers sa foi chrétienne que Dieu a besoin de lui, tout change: « J’ai découvert que la foi ce n’est pas simplement croire en Dieu, mais c’est aussi croire qu’il croit en nous! Cela m’a vraiment touché! Ma rencontre avec Jésus-Christ a eu un très grand impact dans ma vie. J’ai comme été obligé de sortir de ma timidité, de ce complexe d’infériorité que j’avais. »

C’est vers l’âge de 20 ans qu’il décide de devenir prêtre catholique. Il n’y avait jamais songé sérieusement avant ce temps, parce que l’image du clerc qu’il avait était celle du professeur et du curé en paroisse. Cela ne l’interpellait vraiment pas.

Il envisage devenir criminologue. Pour payer ses études, il enseigne dans la région de Sherbrooke: « Et c’est là que j’ai commencé à travailler avec les jeunes dans les parcs et les prisons. Et ce sont eux qui m'ont interpellé: Pourquoi es-tu heureux? Pourquoi ne pas donner ta vie aux jeunes? Ils m’ont éveillé l’esprit ».

Cependant, c’est surtout grâce à l’intervention du père Henri Roy, fondateur de la Jeunesse ouvrière catholique canadienne (la J.O.C) et de l’Institut séculier Pie X, qu’il décide de faire le grand saut. En lui, il voit qu’il est possible de devenir un prêtre au service de la jeunesse et que le membre du clergé catholique peut prendre des initiatives pour ouvrir de nouveaux champs d’action. Ainsi donc, le père Roy lui communique l’amour de la centième brebis, celle qui est égarée. Être le pasteur de l’enfant prodigue, voilà une mission qui répond à ses aspirations : « Une rencontre avec cet homme nous marquait pour la vie. C’était un homme de Dieu! Il était capable de voir le travail qu’il réalisait à l’intérieur de nous. Il disait souvent: “Tu as rencontré Jésus! Alors, parle de Jésus et rayonne Jésus!” »

Toute sa vie, il se souviendra de cette prière d’Henri Roy: « Seigneur, que ceux qui me voient te voient et te rencontrent pour toujours ». Il redit souvent ces mêmes paroles dans le secret de son cœur. C’est bien plus qu’une prière toute faite! C’est son plan de vie.

Christian Beaulieu est ordonné prêtre le 9 juin 1968, à Québec, dans l’Institut séculier Pie X.

Il ne chôme pas. Pendant près de 20 ans, il sera des dirigeants du mouvement La Rencontre. C’est dans ce regroupement apostolique qu’il découvre ses talents de conférencier. Au fil des ans, il écrira de nombreux livres dont « Ma blessure est tendresse », « Jeunes, amour et sexualité », « Cœur blessé, espère! » Et « Si on mettait le feu ».

En parallèle, à Montréal, il fondera « Le Pharion » pour venir en aide aux jeunes alcooliques et toxicomanes de 18 à 30 ans et anime des retraites spirituelles, donne des conférences ou on le demande et assume la direction de l’Institut séculier Pie X.

En entrevue pour la Revue Sainte Anne, il m’expliquait que « ce qui fait que les gens souffrent tant, c’est souvent parce que leur souffrance n’a pas de sens. Alors, je veux donner un sens à leur vie et à leur souffrance. Je veux passer comme u aigle dans la vie des gens pour leur donner le gout de se faire des ailes, pour leur donner de croire au large, à l’infini, à œuvrer... »

Il sera pendant plusieurs années un « prêtre superstar ». Il remplira les salles partout où il passera : « A une époque, cela me mettait une pression terrible! Je voulais toujours être à la hauteur de la situation. Et là, je jouais un personnage. Depuis plusieurs années, j’ai accepté que les gens puissent demander, puissent avoir des attentes, mais je ne réponds pas toujours aux attentes. Je suis devant eux comme un enfant, alors j’enlève toutes formes de pression sur moi. »

Pendant ces années, il néglige ses moments de cœur à cœur avec le « bon dieu ». Maintenant, il ne manque plus ces précieux instants d’intimité. « Ma source doit d’abord être prise dans ma relation avec Dieu... et avec moi-même ». Pour lui, Dieu est le seul refuge où se calment ses peurs et ses angoisses. C’est grâce à lui qu’il peut vraiment rayonner Jésus.

Toute sa vie, il sera en contact avec sa vulnérabilité intérieure : « Il n’y a jamais rien d’acquis pour moi à cause de ma timidité. Je suis toujours obligé de me battre pour retrouver confiance. Le p’tit gars qui habite en moi revient vite prendre place avec ses peurs et ses angoisses ».
Christian Beaulieu en 1968

J’étais très étonné d’entendre cette confidence : « Il y a une force dans ma fragilité. Il y a une puissance dans mon impuissance. Étant donné que je vis avec des gens très souffrants, je suis toujours confronté à affronter mon impuissance. Il faut que je sache me réfugier dans le cœur de Dieu ou je vais retrouver la paix, la sérénité, la confiance et ou je vais m’abandonner. L’abandon n’est vraiment pas naturel pour moi. Je vais facilement parler de lâcher-prise dans les conférences, mais si j’en parle autant que ça c’est parce que c’est chaque jour que je dois aller rechercher personnellement ce lâcher-prise et faire un combat intérieur pour arriver à l’abandon »

La souffrance des autres nous ramène toujours à notre propre vulnérabilité. Christian Beaulieu ne cesse de l’expérimenter. C’est un cadeau que les marginaux lui ont fait, car leur fragilité l’aide à apprivoiser la sienne. Pour tant de gens, « le cheminement spirituel est comme un escalier que l’on monte », mais pour Christian Beaulieu, le cheminement spirituel et humain est un escalier que l’on descend, car pour toucher sensiblement la grandeur du cœur de Dieu, il faut être en contact avec sa petitesse et sa faiblesse. Il faut donc descendre profondément en soi.

Les apparences sont parfois trompeuses: devant un public, il semble fort, solide, sûr de lui et d’un positivisme hors du commun. Pourtant, il lui arrive d’être déçu et de traverser des moments de désarroi : « C'est souvent ce qui me plonge dans la prière à corps perdu. Même si je suis un homme d’action, énergique et dynamique, je suis un homme de prière. Je me donne quelques heures par jour, et j’y tiens! C’est là que ma peine passe, c’est là que mes forces se refont, c’est là que je puise l’énergie pour retrouver la joie de vire »

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[1] Benoit Voyer. « Un visage d’enfant aux yeux de Dieu », Revue Sainte Anne, juillet 1999. Article republié dans : Benoit Voyer, Les Témoins de l’essentiel, Éditions Logiques, 2005