Un saint d'actualité


« L’exemple entraine » ; « on imite bien ce que l’on aime ». Voilà deux dictons que la sagesse humaine formule depuis qu’elle s’exprime. Ils indiquent la force d’attraction et dynamique de l’exemple dans l’ordre de la vie et de l’action chez les hommes.

L’Église ne dédaigne pas ces postulats de la plus élémentaire psychologie. Aussi propose-t-elle à ses fidèles tout au cours de l’année, les faits et gestes de ses confesseurs et martyrs. Elle veut, par-là stimuler ses enfants, les engager, a l’instar de leurs frères saints, à devenir parfaits « comme leur Père céleste est parfait ».

Mais, pour des raisons obscures, certains de nos contemporains affectent une moue d’indifférence a l’égard des saints modèles du passé. « Dans ce temps-là, prétextent-ils, c’était facile d’être bon catholique et même d’atteindre aux cimes de la sainteté. On se calfeutrait dans quelques monastères ; on fuyait le monde pour mieux trouver Dieu. Aujourd’hui, tout a changé… Le problème n’est plus le même. Leurs exemples ne valent donc rien pour nous ».

Illusion, pourtant, que ce sophisme…

Cette brève méditation aimerait à dissiper ce préjugé dans l’esprit de plusieurs en retraçant à gros traits la vie d’un saint du moyen âge. Elle voudrait mettre en lumière les aspects de sa vie qui répondent le plus aux aspirations sincères et légitimes des apôtres modernes. Elle rappelle, en effet, la stature gigantesque d’un saint que l’histoire circonscrit dans les limi9tes des douzième et treizième siècles mais que l’esprit clairvoyant replace sans effort dans les cadres du vingtième.

Jean de Matha, né à Faucon en 1154, est le fils de cette Provence médiévale, ni française, ni espagnole, mais catalane dans son alliance politique et par ses coutumes sociales. De ses origines, il a conservé la volonté intrépide des montagnards et le zèle ardent des catalans. Fils de baron, il doit entreprendre le cycle des études propres aux jeunes seigneurs. Mais au terme de son éducation primaire il manifeste à ses parents le désir de poursuivre sa carrière académique à Paris. Il y arrive vers 1180. Son talent facile lui permet de gravir tous les degrés universitaires jusqu’au doctorat en théologie.

Bien qu’il désire depuis longtemps la grâce du sacerdoce, il n’ose la demander par humilité. Il faut toute la force de persuasion de l’évêque de Paris, Maurice de Sully, pour convaincre le savant docteur d’accepter de ses mains l’onction sacerdotale.

Le 28 janvier 1193, Jean de Matha célèbre sa première messe et reçoit du ciel l’ordre de consacrer sa vie au rachat des captifs. Le Seigneur lui-même, rédempteur de l’humanité esclave, invite le nouveau prêtre à partager avec lui l’œuvre urgente de la rédemption. Un an après, Jean de Matha jette les bases d’un nouvel institut religieux fondé spécialement pour la rédemption des esclaves chrétiens tombés aux mains des musulmans. De 1194 à 1213, sa vie en est une de fondations successives et de courses apostoliques sous tous les cieux. Son dévouement à l’Église lui attache nécessairement l’affection du grand pape Innocent II qui pleure a la mort de saint Jean de Matha, un ami sincère et un serviteur désintéressé.

Saint Jean de Matha, homme de Dieu et des hommes, transcende tous les siècles pour rejoindre le nôtre par ses vues internationales, son esprit social, son sens pratique et son génie d’organisation. Quoi de plus moderne, quoi de plus actuel et plus entrainant, quoi de plus à notre portée que ce saint du moyen âge ! Tant il est vrai qu’un saint n’est d’aucune époque ni d’aucun âge, étant de tous par la divine charité qui demeure éternellement.

Vue internationale :
Il en va dans le monde surnaturel comme dans le naturel : plus quelqu’un de haut, mieux il voit et juge des situations. Or, les saints ont ceci en leur faveur qu’ils voient tout en Dieu et pour Dieu. D’un seul regard, ils embrassent toutes nations, tous pays, ils dépassent bornes et frontières pour envisager tout problème sous l’angle surnaturel.

Jean de Matha, par un commerce long et intime avec son Dieu, développe cette faculté supérieure de perception. Éclairé même par une vision céleste au jour de sa première messe, il reçoit l’intuition d’une œuvre immense qui doit couvrir les terres et les mers.

Idéal aussi vaste que le monde, sa mission l’appelle à parcourir l’Orient et l’Occident pour résoudre le problème le plus impérieux de son siècle : l’esclavage. Son programme déborde, au point de les faire craquer, les cadres juridiques, paroissiaux et diocésains, en vue de secourir les esclaves chrétiens aux mains des infidèles. Sa paroisse sera les bagnes ; son diocèse, les marchés internationaux ou se vend à vil prix la dignité des personnes humaines, de véritables fils de Dieu. Ces paroissiens, ces diocésains, se compteront parmi les victimes de cette plaie monstrueuse : pèlerins italiens et espagnols, français et anglais, qui, hier seulement se rendaient pieusement en Terre sainte ; ce seront également les paisibles riverains de la Méditerranée capturés sournoisement en vue de grasses rançons par les pirates d’Afrique et d’Asie Mineure.

Plus qu’internationale, la conception apostolique d’un Jean de Matha mérite le nom de catholique ! Son objectif est tout simplement de secourir partout les pauvres esclaves menacés de péril imminent de perdre leur foi en perdant leur liberté. Par le fait même, elle comprend donc toute âme de captif capable d’entendre le message de la foi. Blanc ou noir, Italien, Français, allemand ou Espagnol, elle les embrasse tous dans un même élan de charité, de cette charité qui n’est d’aucune nation ni d’aucune langue, qui n’a d’allégeance qu’a Dieu seul !

Esprit social :
Regardant le problème de haut, Jean de Matha saisit avec une acuité brulante l’urgence et la gravité de la situation. Il découvre l’intime rapport qui existe entre la Trinité et la rédemption. Il perçoit aussi les conséquences sociales que ces deux mystères impliquent. Chaque esclave lui apparait comme un temple de la Trinité, comme un fils de Dieu, comme un membre du Christ et de l’Église racheté par le sang précieux du divin rédempteur. Et dire que ce temple est menacé de profanation, ce membre exposé a la mutilation, abandonné qu’il est aux cruautés perfides des Maures.

Devant cette réalité sociale, Jean ne peut demeurer indifférent. Lui, le docteur, le savant professeur de l’Université de Paris, lui dont la renommée commence déjà à luire au grand jour sous le nom de Jean de France ou de Provence, il ne peut plus se contenter d’enseigner froidement les sciences de l’esprit. Préférant la gloire de Dieu a la sienne, plaçant la libération des esclaves au-dessus de son propre repos, il quitte l’université pour travailler activement à combattre un terrible fléau – le pire de son temps – l’esclavage et la mise au marché du « bétail humain ».

Comme il est un homme de Dieu, Jean de Matha commence par se mettre en harmonie avec le vrai Dieu « qui est amour ». Et dans la contemplation du don amoureux des trois divines personnes, il acquiert la science du don de soi, principe-moteur de son activité d’apôtre social.
Et, parce qu’il vit de Dieu et pour Dieu, Jean de Matha peut songer a se consacrer tout entier au service des hommes. Il oriente donc vers le relèvement social des malheureux esclaves son énergie et ses aptitudes, sa science et son amour.

Autrefois docteur, Jean devient maintenant rédempteur. Professionnel de la vérité doctrinale, il devient désormais professionnel de la charité sociale.

Sens pratique :
Chose étonnante pour plusieurs, ce docteur pieux et savant de l’Université de Paris, cet esprit spéculatif et contemplatif, manifeste dans la réalisation de son idéal, un sens pratique éminent.

Il se rend tout d’abord au proche orient (Constantinople et Palestine) probablement en 1193. Il enquête, consulte, étudie de plus près les conditions de vie des malheureuses victimes, contrôle les possibilités de rachat, examine les voies maritimes les plus sures, les étapes les plus convenables pour le rapatriement des rachetés, utilise en somme tous les moyens d’information à sa disposition pour se faire une idée exacte de la situation.

De retour en France, pendant trois ans dans la solitude de Cerfroid (aujourd’hui commune de Brumetz, dans le Sud de l’Aisne, au diocèse de Soissons), il médite et murit son grandiose projet avec ses premières recrues. Il tente même quelques expériences de fondation a Planels et Bourg-la-Reine pour éprouver par la pratique ses théories et sa méthode de vie religieuse avant d’en demander la confirmation a l’autorité compétente.

Une fois ses réflexions et ses tentatives bien au point, Jean de Matha ne perd pas de temps à défendre, par des paroles ou des écrits, des « exclaves abstraits » ou des droits théoriques de l’homme en général. Il évite par là le piège tendu au savant qui dort en lui. Non! Ce sont les esclaves en chair et en os qui sont la hantise de son âme.

Il va droit au but! Il se sent toutes les audaces pour secourir ses frères désolés. Après beaucoup de difficultés sur le plan du droit ecclésiastique, Jean de Matha obtient d’Innocent III l’approbation de son Ordre religieux et la reconnaissance officielle de son but particulier : le rachat des captifs.

Une fin déterminée aussi précise appelle maintenant le choix des moyens les plus aptes à l’attendre. Or, en tenant compte de l’état des esprits a son époque, lesquels concrétisent œuvres et faits. Jean de Matha juge que les moyens indirects – tels des exhortations a des sentiments plus humains ou des ententes à l’amiable entre l’islam et la chrétienté – ne donneront aucun résultat sérieux.

Il procédera donc directement. Et le moyen qu’il choisit prouve hautement son sens pratique : il offrira sur les marchés humains de Tunis et d’Alger le meilleur prix en or sonnant pour le rachat individuel ou collectif des esclaves. Si répugnant que cela nous paraisse aujourd’hui, c’est bien cependant l’œuvre d’un saint dont la charité inventive ne connait aucune limite.

Et, ce qui pourra scandaliser les faibles esprits de notre siècle, saint Jean de Matha fait pire encore! Avec une sagesse digne des hommes d’affaires, il achète lui-même des esclaves païens en vue d’échanges contre des captifs chrétiens rendant ainsi aux siens le Maure délivré et sauvant de l’apostasie le chrétien racheté.

La charité inspire parfois aux saints des procédés hardis. Elle incite les hommes à fuir une charité stéréotypée en certains actes qui tiennent plus du pharisaïsme que du catholicisme…

C’est dire que les vrais saints, en excluant ceux qui paraissent tels et ne le sont pas, possèdent un sens pratique remarquable! Ce sont des réalistes!

Tel nous apparait saint Jean de Matha selon la figure authentique que nous en dresse l’histoire.

Génie d’organisation :
Un programme de rédemption sociale sur un plan international exige, on le conçoit, la constitution d’un organisme à la fois souple et stable qui perpétue et assure au mieux les attentions et les soins commandés par des besoins toujours pressants.

Le corps des rédempteurs trinitaires jouit d’une structure forte et alerte qui diffère nettement des autres corps religieux existants à la fin du XIIe siècle. A Jean de Matha revient le mérite (encore méconnu de la plupart des historiens) d’avoir fondé le premier Ordre religieux a majorité cléricale, a une vie mixte et à caractère universel. Juridiquement parlant, il ouvrira même la voie aux Franciscains, aux Dominicains, aux autres Ordres mendiants et aux congrégations modernes don l’Église demeure la mère très féconde.

Dans sa règle propre, Jean de Matha sait fondre en une “harmonieuse fusion” la vie contemplative et active de ses religieux. Il en fait des adorateurs perpétuels de la Trinité et des rédempteurs, toujours vigilants, de captifs.
Tout contribue à une vie d’intimité avec les trois personnes divines et d’apostolat auprès des pauvres prisonniers “en danger de perdre la foi”.

Conscient des conflits qui peuvent naitre de ces deux pôles de la vie religieuse trinitaire, Jean de Matha compose de la manière suivante les forces apparemment divergentes de la vie contemplatives et active: « Tandis qu’un petit nombre d’heureux privilèges parcourent l’Europe pour recueillir des aumônes, puis traversent les mers pour apporter la liberté aux esclaves et les ramener dans leur patrie, les autres, le plus grand nombre des Trinitaires, en attendant leur tour, offrent à Dieu dans leurs couvents, le prix de leurs supplications et de leurs pénitences pour l’heureux succès des rédemptions. D’autres part, les pères revenus des expéditions, après avoir rendu grâce à Dieu, reprennent eux aussi avec joie leur place dans le cloitre et la vie normale de prière, d’austérité et de travail; ou bien encore, leur ministère ordinaire des paroisses ou des hôpitaux. Ils restaurent ainsi la vigueur de leur esprit et de leur corps dans l’intervalle de repos succédant aux expéditions, comme les apôtres a qui Jésus disait: « Venite seorsum et requiescite pusillum » « Venez là-haut, petit troupeau, et reposez-vous » ».

Et pour nous faire une juste idée de l’efficacité d’une telle organisation le révérendissime père Ignace du T.S. Sacrement, ministre général, ajoute dans le document déjà cité : « En calculant sur une moyenne de cent, ce qui est le nombre des esclaves libérés à chaque rachat, on arrive à attribuer aux pères rédempteurs, plusieurs milliers de voyages ou d’expéditions qui, répartis sur six cents ans, donne approximativement un voyage par saison effectué des ports de l’Europe à destination des côtes de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Et si l’on tient compte des moyens de navigation de l’époque, ordinairement de fragiles embarcations à voiles ou a rames, l’on peut se faire une idée de la somme d’angoisses et de privations qu’une telle entreprise devait couter aux religieux rédempteurs et à l’Ordre en général. A plus forte raison, pouvons-nous ajouter, peut-on se faire une idée de l’organisation géniale qu’une telle œuvre exige... »

Allons plus loin ! La règle propre des Trinitaires mentionne l’obligation d’avoir une œuvre de miséricorde dans chaque maison et d’y consacrer une partie notable des revenus : règle à laquelle saint Jean de Matha se conforme le tout premier. Au nombre des quarante maisons qu’il fonde lui-même on en compte vingt-quatre affectées au soin des malades (esclaves rapatriés ou non) soit douze hôpitaux proprement dits, plus les douze couvents y annexés.

Le choix des ports de mer, tels Marseille et Gênes, pour les établissements de son Ordre, manifeste à la fois son esprit pratique et son talent d’organisation. Tout est prévu pour l’heureux retour des rachetés, pour leur réhabilitation physique et morale ainsi que pour leur réintégration finale au sein de leur famille respective.

Mais, seul devant une tâche aussi vaste, saint Jean de Matha se sent débordé. Le temps presse, en effet de pourvoir aux hôpitaux, au rachat des esclaves, a l’assistance des croisés, a l’apostolat paroissial en terre chrétienne et infidèle...

« Il faut des hommes et des femmes d’action, animés de l’esprit d’abnégation, embrasée de zèle et de charité pour les malades. Les blessés, prompts à parcourir villes et villages pour y apporter la joie et la consolation chrétienne. »

Jean de Matha ouvre donc toutes grandes les portes du cloitre aux hommes et aux femmes qui veulent y entrer. Quant à ceux qui n’y peuvent venir, le cloitre vient à eux dans leur foyer. Grace a cette communion fraternelle par la prière et l’apostolat, un échange de bienfaits spirituels et temporels s’établit entre les religieux et les associés de l’Ordre fondé par le même patriarche. Que ces associés soient « tertiaires » ou « moniales », tous contribuent au sein d’un même organisme vital a l’obtention de la fin commune de l’Ordre : « Gloire à la Trinité ! Aux captifs, liberté ! »

Aujourd’hui comme jadis
Devant l’imposante physionomie de saint Jean de Matha, physionomie d’un caractère tout-à-fait moderne, l’on n’éprouve qu’un désir : « Ah ! S'il existait encore aujourd’hui un tel homme, comme tout serait changé ! »

Cet homme existe dans l’Ordre auguste que saint Jean de Matha. Si le père se prolonge en ses fils et ses filles, le saint fondateur se perpétue dans l’Ordre trinitaire, ses diverses branches et dans ses œuvres variées. Là se retrouvent ses descendants, bien agissant encore au XXe siècle, au même poste d’honneur qu’il occupe depuis ses premiers jours auprès de la Trinité, auprès des âmes en péril.

Son Ordre sait encore réaliser son idéal sublime :

  • Être des saints sans cesser d’être des hommes ;
  • Être des hommes de Dieu afin de mieux être des hommes parmi les hommes.
Aujourd’hui comme jadis, l’Ordre de la Très-Sainte-Trinité conserve
  • la même structure organique : un grand Ordre de religieux auquel s’agrègent à des degrés divers les membres du second Ordre, du Tiers Ordre et de l’archiconfrérie dans la poursuite du même but ;
  • Le même idéal : la gloire de la très sainte Trinité et la rédemption des miséreux le plus en danger de perdre la foi ;
  • Les mêmes moyens : la règle primitive légitimement interprétée par l’Église et les successeurs de saint Jean de Matha ;
  • La même situation enfin : là-dessus, un auteur distingué, membre actuel du vénérable définitoire général de l’Ordre trinitaire a écrit ces lignes convaincantes : « Si nous portons le regard par-delà les « rideaux » - de fer et de bambou – édifiés par la haine, combien de millions de véritables et d’authentiques esclaves en pleine civilisation ? Et si nous regardons vers les déserts brulants de l’Afrique, quel commerce d’esclaves trouverons-nous en plein vingtième siècle ? Et dans les prisons, et parmi les « sortant de prisons » combien d’espoirs à rallumer, combien de cœurs à consoler, combien d’épaves du vice ou du crime a rescaper pour le bien et pour le service de l’Église et de la société ! (…) Oui ! Que Jean de Matha, le saint de la charité, revienne de nouveau avec son esprit sur la terre !
Qu'il obtienne de la Trinité ineffable les secours efficaces pour tant de nécessités ! Et qu’il arrive à temps la ou les bons n’en peuvent plus, soit à cause de la faiblesse innée de la nature humaine, soit a cause de la haine des méchants. »

Après huit siècles, Jean de Matha, homme de Dieu et des hommes spécialiste de la sainte charité, n’est-il pas toujours un saint d’actualité ?

Culte filial :
Heureusement, la mémoire de saint Jean de Matha reste toujours vivante chez les peuples qui ont reçu davantage les soins attentifs de l’apôtre des captifs. En Espagne, par exemple, Madrid, Lérida, Ubéda vouent à saint Jean de Matha un culte immémorial en reconnaissance de tous ses bienfaits à leur endroit. En Italie, Rome et Palerme vénèrent le zélé fondateur des Trinitaires. La vieille France garde du libérateur des captifs un impérissable souvenir : Paris, Faucon, Marseille célèbrent, chacun a sa manière, les mérites et les gloires de notre saint patriarche.

Cependant, la flamme trinitaire et rédemptrice allumée au cœur de la vieille France ne pouvait faire autrement que de briller d’un éclat nouveau dans la France nouvelle. Dans la province de Québec, deux paroisses ont pour patron l’illustre fondateur. L’une s’érige dans le diocèse de Joliette dès 1855 et donne son nom au village qui a grandi autour de son clocher ; l’autre, dans le diocèse de Montréal, au cœur du quartier de Ville-Émard, est le berceau de l’Ordre trinitaires en terre canadienne.

L’inauguration de la nouvelle église Saint-Jean-de-Matha, bénite solennellement le 8 septembre 1957 par son éminence le cardinal Paul-Émile Léger, est l’heureuse occasion de faire connaitre le saint en son esprit et en ses œuvres.

Les lignes de cet édifice sacré, conception originale de l’architecte M. Guy Parent, nous semblent inspiratrices et symboliques : l’état audacieux de ses voutes rappelle l’énergie indomptable qu’il lui fallut pour établir sans ressource son œuvre de rachat ; l’exaltation, a la cime du campanile, de la croix rédemptrice suggère hautement l’idéal sublime de contemplation élevée et de charité universelle, profession que, en vrai père, il attend de ses vrais fils, de ses dévots fidèles.

L’hymne grandiose qui monte ainsi de tous les points du globe vers le ciel veut proclamer a la face des hommes de notre époque que la vraie gloire est celle que trouvent les âmes entièrement données a la cause de Dieu ; la vraie grandeur est celle à laquelle s’élèvent ceux qui ont su, par un surnaturel désintéressement, s’abaisser au niveau des hommes les plus souffrants, les plus abandonnés ; la vraie richesse est celle qui consiste à se priver de tout pour assurer aux malheureux la libération, la délivrance et le salut définitif.

Or cet hymne universel s’adresse à un homme qui, cherchant par-dessus tout la gloire de Dieu, a trouvé, par surcroit, la gloire éternelle ; a un homme qui, frémissant d’humilité devant la grandeur de Dieu, s’est vu soudainement exalté par la voix infaillible de l’Église et placé sur les autels ; a un homme enfin qui, sacrifiant ses propres aises au point de manquer souvent du nécessaire pour racheter un de ses frères, est centré dans la possession éternelle d’une richesse « que ni la rouille, ni les vers ne sauraient ronger ».

Cet homme n’est autre que saint Jean de Matha, l’apôtre des captifs, le Trinitaire-Rédempteur.

Conclusion :
Le vie de saint Jean de Matha doit trouver en chacun de nos cœurs une résonnance profonde de sorte que, à son contact, nous nous sentions sollicités vers une pratique plus constante et plus intense de charité envers la très sainte Trinité et envers les pauvres esclaves de notre temps. Dieu saint qu’il n’en manque pas d’ailleurs !

Depuis sept siècles et demi, la vie de saint Jean de Matha ne cesse d’inspirer à ses fidèles disciples une conduite modelée sur son prototype de Trinitaire-Rédempteur. Sa pensée survit dans son œuvre et son œuvre est perpétuée d’âge en âge dans l’Ordre religieux qu’il a lui-même fondé.

De son vivant, le digne patriarche n’a pu réaliser personnellement son désir de répandre par toute la terre la flamme ardente de la divine charité, la lumière réconfortante de l’auguste Trinité. Mais, du haut du ciel, spectateur ravi, saint Jean de Matha doit jeter un regard complaisant sur ses fils trinitaires qui propagent dans le monde entier le feu sacré jailli de son âme apostolique. Il peut contempler de nos jours encore, les répercussions de sa noble initiative : en Italie, en Espagne, en France, en Autriche, en Argentine, au Chili, au Pérou, à Cuba, aux États-Unis et au Canada, sans oublier l’ile rouge de Madagascar, les religieux trinitaires se dévouent à la cause de Dieu un et trois et à l’œuvre de la rédemption. Quelle surnaturelle fierté n’éprouve-t-il pas dans son cœur de père devant la tâche à la fois grandiose et pénible accomplie par les religieuses trinitaires de Belgique, d’Angleterre, de Suisse, d’Algérie, de Majorque, du Pérou et du Mexique sans parler des autres pays ou elles secondent avec désintéressement l’apostolat de leurs frères en religion.

Puisse-t-il entendre nos prières afin que s’accroisse sans cesse le nombre de ceux qui veulent, à sa suite, consacrer leur vie a la plus grande gloire de la très sainte Trinité et à la libération de tous ceux qui gémissent dans la captivité.

Gloria tibu Trinitas et captivis, libertas !

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinitas - revue du tiers-ordre et de l’archiconfrérie de la très sainte Trinité, 5e année, No. 2, Juin et juillet 1959, pp. 4 à 15. Revue conservée a la Société d'histoire de la Haute-Yamaska (Fonds P049).