Mes premiers jours

Par Benoit Voyer
14 octobre 2024

Je suis né le 22 novembre 1966, à 3h37, à l’Hôpital Saint-Joseph, à Granby. Ma mère s’appelle Jeannine Jean et mon père est Roméo Voyer. Ils sont nés dans le patelin de Mont Carmel, dans l’arrière-pays du Kamouraska, au Bas Saint-Laurent.

Ainsi donc, je suis né en pleine nuit. Est-ce une prédestination? On dirait qu’il s’agissait d’un premier coup de pratique a la vie qui m’attendait. Dans mon existence, je goûterai à bien des instants de ciel, voire de résurrection, mais aussi a de très longues nuits, au premier et au second degrés du terme. Et depuis 2003, j'ai surtout travaillé la nuit.

Le 22 novembre, dans la liturgie catholique, est le jour de la mémoire de sainte Cécile, une martyre qui a vécu au premier siècle de notre ère. Au fil de l’histoire, on lui a donné le titre de patronne des musiciens. Toute ma vie j’aimerai la musique. Est-ce une coïncidence?

Selon ce que m’a raconté maman, ma naissance était prévue autour du 27 décembre 1966. Je suis donc un prématuré.

Mon dossier médical donne quelques précisions sur les premières heures de ma vie.

Je suis né à 36 semaines de gestation. A ma naissance, je pèse 5 livres, 15 onces et demie. Je mesure 19 pouces et demi et la circonférence de ma tête est de 23 pouces. C’est le Dr. Paul Auger, le médecin de maman, qui a procédé à l’accouchement.

On ne l’indique pas dans les notes médicales de mes premières heures, mais maman a toujours dit que selon la manière de faire à l’époque, elle a été endormie lors de la finale de l’accouchement.

Dans les notes médicales manuscrites on indique à 3h57 la naissance d’un garçon d’apparence physique normale à qui on a ligaturé le cordon ombilical et procédé à une aspiration des sécrétions.

Dans les premières 24 heures, on me donnera souvent de l’oxygène a cause de mes difficultés à respirer. Et puis, durant mes 18 jours d’hospitalisation, je passerai beaucoup de temps en incubateur. A la pouponnière de l’hôpital, j’occuperai le lit no 16.

Ce 22 novembre, on me passe aussi une radiographie pulmonaire afin de s’assurer que tout va bien. Le radiologiste "J.P. Dumouchel" indique dans son rapport rédigé le 25 novembre:

« La radiographie pulmonaire, prise en P.A., a montré un thorax osseux normal avec des diaphragmes lisses et des culs-de-sac clairs des deux côtés. Il n’y a pas d’hypertrophie-hilaire visible et pas d’évidence d’infiltration ou condensation parenchymateuse. Le cœur est globuleux, en rotation droite, de même que la tranchée et le médiastin dû à la position du patient. L’ombre cardiaque est dans les limites supérieures de la normale considérant l’âge du bébé. OPINION : Pas d’évidence radiologique probante de lésion organique parenchymateuse ou pleurale ».

Maman a donc quitté l’établissement sans moi. Elle est revenue me voir à chaque jour, mais à cause des règles, le temps en sa compagnie était limité à quelques minutes.

Toujours selon les notes médicales, a la pouponnière, les infirmières m’alimentent au S.M.A., ancêtre de l’Enfalac et du Similac. A partir du 3e jour, on ajoute des gouttes de Nivelar, un stéroïde ayant des effets sur la prise de poids.

En 1966, il n’y a pas encore d’assurance-maladie gouvernementale. C’est donc l’assurance hospitalisation de l’usine Esmond, lieu où travaille papa, qui paiera la facture, soit 18 jours à 25,05$ par jour pour un total de 450,90$.

Le 10 décembre 1966, toujours selon la note médicale, à 15h45, après avoir bu mon S.M.A. et avoir été vu une dernière fois par le Dr Paul Auger qui en a profité pour signer mon congé médical, je quitte l’hôpital avec maman afin de rejoindre ma nouvelle famille. A mon départ de la pouponnière, étant rendu à terme, je pèse 6 livres et 9 onces et demie. Toutefois, on note sur le certificat d’enregistrement remis à mon départ: « Bébé boit peu et semble endormi. Cyanose des extrémités. Léger tirage. Respiration rapide ».

Papa est au travail. Mes parents n'ont pas encore d'auto. C'est donc en taxi que je quitterai le centre hospitalier avec maman.

Mon premier domicile est le 667, rue Saint-François, à Granby, ou ma nouvelle famille habite depuis le mois de mai 1961. mes parents sont propriétaires de la maison.

En cette fin d’après-midi, mes frères et ma sœur - Yvon, Pauline et Clément - passent leurs premiers moments avec moi. Yvon a 11 ans. Pauline, 8 ans. Clément, 5 ans. Ce dernier perd son titre de « bébé de famille ». Me pardonnera-t-il un jour de cela?

Le 11 décembre 1966, je suis baptisé à l’église catholique Saint-Eugène, à Granby, par l’abbé Léon Boivin, vicaire à la paroisse.

Construite en 1941, l’église Saint-Eugène est située au 97, rue Laval, c’est-à-dire au coin des rues Laval et Notre-Dame. D’un côté, on y retrouve l’école primaire Saint-Eugène et en diagonale l’école primaire Sainte-Marie. Je fréquenterai ces lieux d’enseignement dans quelques années.

Un bilan publié le 3 janvier 1967 dans la Voix de l'Est indique que « le nombre des enfants baptisés dans la paroisse St-Eugène, à Granby, a atteint 149 au cours de l’année 66. (…) Des 149 nouveau-nés qui y furent baptisés, on dénombre 88 garçons et 61 filles. Fait à noter chaque année les nouveau-nés de sexe masculin ont toujours été plus nombreux que ceux de sexe féminin depuis la fondation de la paroisse, il y a maintenant 25 ans. » Je figure donc dans les 88 petits mâles humains dont il est ici question.

Lors de mon baptême, mon parrain est mon frère Yvon. Il fréquente la 6e année à l’élémentaire à l’école Saint-Eugene. Ma marraine est ma sœur Pauline.

Au sujet de mon prénom
Au registre paroissial sont inscrits les prénoms de Joseph, Alain et Benoit.

Selon la tradition, Joseph est le prénom que me lègue l’Église catholique en souvenir de saint Joseph, le père biologique de Jésus.

Alain est celui que me donne ma mère.

Benoit est choisi par ma sœur Pauline. Elle aimait bien s’amuser et être en compagnie de Benoit Giroux, un jeune garçon qui habitait la maison voisine. Benoit est le fils du Dr Paul Giroux, microbiologiste et agronome a la coopérative agricole de Granby, devenue Agropur.

Ainsi donc, Benoit devient officiellement mon prénom.

Maman s’opposera toujours à ce qu’on me donne un surnom, un diminutif de mon prénom ou qu’on déforme ce dernier. Ainsi donc, pas de « Ben », de « Ti-Ben » ou de « Benny ».

D’ailleurs, dans la région du Kamouraska d’où sont originaires mes parents, il était commun d’utiliser un surnom ou d’ajouter une « ti » pour « petit » devant un prénom ou un surnom.

En exemple, dans la famille de mon oncle Camille Voyer, sur le 6e rang, à Mont-Carmel, mes cousins Louis et Gilles ont toujours été appelés familièrement et affectueusement « Ti-Louis » et « Ti-Gilles ».

Jadis, maman m’a confié qu’il y a eu, lors de visites familiales au Bas Saint-Laurent, des tentatives de m’appeler « Ti-Ben » ou « Ti-Benoit ». Elle s’est toujours opposée à cette pratique. Dès ma naissance, mon prénom était à ses yeux sacré ou béni. « Béni de Dieu » est d’ailleurs la signification de « Benoit ». En latin, on dit « Benedictus ». En hébreu, « Baroukh ».

Cependant, bien des années plus tard, à l’âge adulte, le surnom « Ben » viendra tout de même sur les lèvres de mes collègues de travail et dans la sphère publique.