Par Benoit Voyer
11 janvier 2025
Marguerite Bourgeoys nait à Troyes, en 1620.
À l’âge de 20 ans, durant une procession religieuse, elle abandonne ses frivolités de jeunesse. Sa vie ne sera plus jamais la même.
Elle rencontre Louise Chomedey, une religieuse de la Congrégation de Notre-Dame de Troyes et directrice d’une communauté externe de femmes.
Marguerite prend la tête d’un groupe de jeunes femmes laïques associées à la Congrégation. Celles-ci enseignent aux enfants pauvres de Troyes. Rapidement, elle est reconnue pour son leadership et ses habiletés à rassembler les gens autour d’une cause commune.
Un jour, Marguerite écrit : « Je me suis donnée à Dieu en 1640. Quelques années après, j’ai fait le vœu de chasteté, par l’avis de mon confesseur, et peu après, j’ai fait pauvreté et ces deux vœux, avec tout le zèle et toute la perfection qui m’a été possible et une résolution de les garder toute ma vie, sans avoir jamais eu une pensée contraire.» [1]
Louise est la sœur de Paul Chomedey, seigneur de Maisonneuve et gouverneur de Ville-Marie, en Nouvelle-France, la future ville de Montréal.
Lors d’un passage à Troyes, Paul demande a sa sœur religieuse de l’aider à trouver une enseignante pour la petite colonie qu’il dirige. Sans l’ombre d’un doute, elle lui suggère la jeune Marguerite en qui elle a une grande confiance. Il ne tarde pas à la rencontrer.
Elle racontera : «On a parlé du Canada et je m’y suis portée pour y aller, et mon confesseur, qui avait eu dessein de former une communauté pour honorer la vie que la sainte Vierge a menée étant sur terre, communauté dont il avait fait des règles approuvées a la Sorbonne de Paris, qui y avaient été présentées par Monsieur le Théologal de Troyes. Et quand le temps fut venu d’aller en Canada, mon confesseur me dit que ce que Dieu n’avait pas voulu, le voudrait peut-être à Montréal. Je crois qu’il avait eu connaissance de l’image envoyée par les religieuses de la Congrégation. Je lui dis que j’étais seule, ce qui n’est pas communauté. Il me dit que mon bon ange, le sien et moi, c’était communauté. A quoi je répliquai qu’on m’avait refusé une compagne, qu’il fallait aller avec un gentilhomme que je n’avais jamais vu. Il me dit de mettre sous la conduite de Monsieur de Maisonneuve, comme sous la conduite d’un des premiers chevaliers de la chambre de la reine des anges, et que je m’en aille. Et j’eus quelque témoignage que la sainte Vierge agréait ce voyage.» [2]
Marguerite Bourgeoys se joint aux recrues de 1653. Celles-ci doivent sauver Ville-Marie et sa cinquantaine d’habitants et les aider à se défendre des attaques des Iroquois. Cet équipage permettra de tripler la population du petit patelin.
De passage chez les Carmes, on lui fait douter de sa nouvelle vocation : « Et quand je fus à Nantes, j’allais à confesse aux Carmes. On écrit une lettre que, si je voulais être Carmélite, que le provincial des Carmes, frère de Mademoiselle de Bellevue, ou j’étais logée, me ferait mettre ou je souhaiterais. Ce bon Carme presse fort là-dessus. J’écris à Paris, mais je n’en reçu point de réponse; me voilà fort en peine. » [3]
Et puis, en s’arrêtant pour réfléchir et prier, tout s’éclaire : « Je vas aux Capucins, ou je trouve le Saint-Sacrement exposé, et je reçus là une très grande force et une grande assurance qui fallait faire le voyage » [4] […] J’ai eu quelque vue que notre Seigneur voulait que je fisse ce voyage. » [5]
Durant la traversée, elle devient l’infirmière de tous. Les gens se confient naturellement à elle.
Dans sa nouvelle communauté de vie, Marguerite collabore de près avec le gouverneur et Jeanne Mance, l’administratrice de l’hôpital. Elle devient partenaire dans l’administration de la colonie.
Pour elle, il est évident que les femmes jouent un rôle important dans le développement de ce nouveau pays. Sans tarder, elle met sur pied des ateliers de travaux pratiques. Grace à eux, les femmes peuvent acquérir des connaissances et des habiletés essentielles à leur situation.
Marguerite accueillera les « filles du roi ». Ces nouvelles venues permettront la naissance de nouveaux enfants et garantir la survie et la croissance de la colonie. Elle vit avec elles, les prépare à leur nouveau rôle et les aide à trouver un mari.
En 1655, elle demande de l’aide pour la construction d’une chapelle de pèlerinage située à quelques pas du village. Elle n’abandonnera jamais son rêve, malgré les obstacles rencontrés sur son chemin, jusqu’à sa réalisation finale en 1678.
En 1658, dans une étable, elle fonde la première école de Ville-Marie. Les enfants de la colonie y apprennent à lire, à calculer, à écrire et à découvrir la foi chrétienne. Parmi ceux-ci, figure fort probablement Jeanne Leber [6], la fille du riche commerçant Jacques Leber.
Marguerite porte une attention spéciale aux jeunes filles plus âgées. Elle enseigne à ses comparses féminines des compétences qui les prépareront à leurs responsabilités futures d’épouses et de mères.
En 1670 et 1671, durant son deuxième voyage en France, Marguerite met sa propre famille à contribution. Trois nièces orphelines, filles de sa sœur Marie Bourgeoys et d’Orson Soumillard, huissier à Troyes, la suivent en Nouvelle-France. Marguerite et Catherine entrent dans la congrégation de leur tante. La cadette, Louise, épouse François Fortin, un cordonnier originaire de Bretagne, et, à la suite de son décès, Jean-Baptiste Fleuricourt, un notaire. Trois des enfants de Louise perpétue sa descendance jusqu’à nos jours. [7]
Marguerite recrute aussi d’autres jeunes femmes. Elles deviendront le noyau d’une communauté religieuse non cloîtrée, la Congrégation Notre-Dame. L’affaire n’est pas bien vue des autorités ecclésiastiques. Ils n’approuvent pas ce genre de communauté religieuse. Malgré tout, Marguerite et ses sœurs persévèrent. La Congrégation Notre-Dame sera finalement reconnue officiellement en 1698.
Marguerite Bourgeoys décède en 1700. De nos jours, elle repose dans la Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, à Montréal.
Cette pionnière de Montréal et de la Nouvelle-France est canonisée en 1982. Elle est un modèle de vie chrétienne.
Sa mémoire liturgique est le 12 janvier.
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Sainte Marguerite Bourgeoys dans un vitrail de la Basilique Notre-Dame du Cap, a Trois-Rivières |
Notre pauvre nature humaine
« Mon expérience m’apprend que les aises du corps se prennent avec facilité, a quoi la nature s’accommode quelquefois avec quelques petits scrupules qui se passent en un moment, spécialement quand on s’y sent obligé par quelques paroles qui nous flattent… et par condescendance, mais après avoir été quelque temps dans cette vie molle et relâchée, s’il faut retourner à la petite vie, il faut de grands efforts et notre ennemi ne manque point de venir au secours de notre pauvre nature qui ne dit jamais : C’est assez; et ensuite, a des recherches inutiles et souvent nuisibles. »[8]
Le véritable amour de Dieu
« Je trouve qu’il y a plusieurs sortes d’amour parmi le monde : il y a l’amour des étrangers, des passants, des pauvres, des associés, des anges, des parents et des amants. Tous ces amours peuvent être bons ou indifférents. Il n’y a que celui d’amant qui pénètre le cœur de Dieu et à qui rien n’est refusé. […]
On aime les passants car ils apportent quelque gain; les pauvres a qui on donne le superflu; les associés, car leur perte nous est dommageable; les amis parce que leur conversation plait et est agréable; les parents, parce qu’on en reçoit du bien […]
Mais le véritable amour est celui d’amant qui se trouve rarement, car toute choses ne le touche : ni le bien, ni le mal, il donne la [sa] vie avec plaisir pour la chose aimée. Il ne connait point ses intérêts, ni même ses besoins. La maladie et la santé lui sont indifférentes; la prospérité ou l’adversité, la mort ou la vie, la consolation ou la sécheresse lui sont égales. »[9]
La prière du coeur
« Il me semble que l’on ne porte pas assez d’attention a la prière, car si elle ne part pas du cœur qui doit être son centre, elle n’est qu’un songe qui ne produit rien, car la prière doit être dans la pensée, la parole et l’exécution. On est donc obligé de s’exciter, autant que cela se peut, à faire réflexion sur ce qu’on demande ou promet; ce qui ne se fait point si l’on ne fait point d’attention à ses prières.»[10]
Dieu nous parle
« Dieu nous parle par les prédicateurs, les lectures, par toutes ses créatures et ses maximes, et il veut être écouté spécialement de ceux qu’il a reçus à son service, qui ne lui plaisent pas quand l’on s’entretient avec des pensées frivoles, avec ses inclinations ou ses bonnes amies, spécialement les matinées des jours de communion et la demi-heure du soir pour la préparation. Ce recueillement est très nécessaire après les récréations et je ne vois pas que cela s’observe.[11]
Aimer son prochain
« Dieu ne se contente pas que l’on conserve l’amour que l’on doit à son prochain, mais que l’on conserve le prochain dans l’amour qu’il nous doit porter. Il faut donc donner le manteau a qui veut avoir la robe, plutôt que de plaider »[12].
Le silence
« Le peu d’affection pour le silence tire à une vie molle et relâchée ».[13]
L’éducation des enfants
« Il est nécessaire de faire travailler les enfants a l’école et les pensionnaires. L’oisiveté est le moyen de les rendre libertines ».[14]
Les petites actions
« Notre bon Dieu se contente des petites vertus qui sont pratiquées pour son amour et il les relève, a proportion qu’elles sont exercées avec plus d’amour. Il faut donc que je tâche de faire tout pour son plus grand amour. »[15]
La communion
« Il m’a semblé que nous étions des charbons propres à faire du feu et la sainte communion était toute propre à nous allumer. Mais que ces charbons ne sont allumés que dans la superficie, aussitôt qu’ils sont écartés, ils s’éteignent; au lieu que ceux qui sont allumés jusque dans le centre ne s’éteignent pas, mais se consument.
On écarte ces charbons si, après la communion, on s’entretient dans ses humeurs naturelles, dans le soin et la recherche de ses commodités sans besoin, dans les conversations frivoles et inutiles. »[16]
La Parole de Dieu
« Quand le cœur est ouvert au soleil de la grâce, on voit des fleurs d’une bonne odeur s’épanouir, qui font voir qu’on a profité de la Parole de Dieu. »[17]
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Sainte Marguerite Bourgeoys repose dans la Chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours, sur la rue Saint-Paul, dans le Vieux-Montréal. Il est possible de recueillir devant le lieu de sa sépulture. |
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[1] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, pp. 250 et 251
[2] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 250 et 251
[3] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p..239
[4] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p..239 et 240
[5] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 250 et 251
[6] Il s’agit de la
vénérable Jeanne Leber.
[7] Claude Auger. «
Marguerite Bourgeoys et les famille», Prions en Église – édition dominicale, 12
janvier 2025, p.34
[8] Marguerite Bourgeoys. « Les écrits
de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament spirituel », Montréal,
1964, p. 73
[9] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, pp. 94 et 95
[10] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, pp. 243 et 244
[11] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament spirituel »,
Montréal, 1964, pp. 244
[12] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, pp. 244 et 245
[13] Marguerite
Bourgeoys. « Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 248
[14] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 249
[15] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 282
[16] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, pp. 287 et 288
[17] Marguerite Bourgeoys.
« Les écrits de Mère Bourgeoys – Autobiographie et testament
spirituel », Montréal, 1964, p. 288