Mon père
Par Benoit Voyer
15 avril 2025
Le 15 avril 2021, mon père entrait dans la gloire des bienheureux du ciel. Il y a longtemps qu’il se préparait à entrer dans la grande lumière. Pour lui, la mort était une nouvelle forme de vie.
Il est décédé au CHSLD Villa-Bonheur, sur la rue Court, à Granby, à la suite de troubles pulmonaires causés par la Covid 19.
Je l’accompagnais depuis quelques nuits, avec ma conjointe Manon. Il est parti en me tenant la main.
Ses funérailles ont été célébrées le 19 avril 2021 en l'église catholique Immaculée-Conception, à Granby, Le père Michel Vigneau a présidé la cérémonie en faisant des parallèles entre Dieu le Père et Roméo, le père.
Il est inhumé dans le lot 40G section 19 du cimetière Mgr Pelletier a Granby, le même jour.
Naissance et baptême
En 1930, dans le haut pays du Kamouraska, sur les terres publiques de Mont-Carmel situées sur la rive est du Lac de l’Est, un groupe d’hommes et de femmes forment en ce lieu une petite communauté nommée la « mission du Lac de l’Est ». Pendant que les hommes travaillent à exploiter la forêt pour le compte des frères Plourde, les femmes s’occupent de leurs marmailles. Du 19e siècle jusqu'aux années 1960, le lac est utilisé par l'industrie forestière pour l'alimentation des moulins à scie et le flottage du bois.
Le secteur est également habité par quelques familles de la première nation Wolastoqiyik, communément appelée « les Malécites ». Les Wolastoqiyik l’appellent le lac Kijemquispam. Ce nom apparait pour la première fois sur une carte toponymique en 1944. Il s’agit d’un mot en wolastoq, la langue parlée par les Wolastoqiyik.
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La chapelle du Lac de l'Est en 1927 |
Dans la petite chapelle en bois construite en 1926, tous vont à la messe lorsque le prêtre catholique est de passage. En ce début des années 1930, c’est l’abbé Albert Dionne qui est le desservant. Le lieu de prière est aussi l'endroit où les quelques enfants de la communauté vont à l’école et où se rassemble au besoin la petite communauté.
La grève du lac de l’Est est une place magnifique pour la pêche. L’eau est claire et y vit de nombreuses espèces de poissons délicieuses à savourer, notamment le touladi, l'omble de fontaine, la perchaude, le corégone, la ouananiche et la lotte.
Le lac est situé sur la frontière canado-américaine. De l’autre bord, au loin, c’est le comté d’Aroostock, dans l’État du Maine. La municipalité américaine la plus proche est Allagash.
En canot, si on suit le courant des eaux, on navigue sur le petit lac de l’Est et la rivière Chimenticook, un affluent du fleuve Saint-Jean.
A environ deux kilomètres de la chapelle, la famille d’Edgar Voyer et Alice Chenard est une des rares qui détient des droits de propriété. Leur lot est sur une pointe de terre située sur la rive du lac et un petit cours d’eau qui sera connu du nom de “ruisseau Voyer”, qui fait référence, bien entendu, aux occupants a son embouchure.
Leur maison en bois est construite au centre de la propriété. Sur le bord de la maison, Alice Chenard, la mère de famille, y a planté quelques fleurs, des « annuelles »[1].
C’est à cet endroit, au cœur de la forêt enneigée, que le 23 décembre 1930 Alice donne naissance à Roméo, mon père, qui sera le dernier marmot du couple. Après les douleurs de l’accouchement, le « p’tit Méo » sera rapidement entouré de ses frères et sœurs : Camille, l’aîné né en 1912, Jean-Marie, Madeleine, Isabelle, Simone, Germaine, Rachel et Gabriel. Jeanne-Mance n’a vécu que quelques heures.
Le lundi 25 décembre 1930, jour de Noël, le bambin est baptisé dans la petite chapelle de la mission par l’abbé Albert Dionne. Il reçoit les prénoms de Joseph, Henri et Roméo. Ses parrain et marraine sont Sigefroid Lizotte [2] et Bertha Dionne [3], un couple de voisins [4]. Le même jour, dans la chapelle, on baptise aussi Léo Gauvin, fils de Charles Gauvin et Alice Marquis. Le journal Le Peuple du 9 janvier 1931 [5] fera écho à ces nouvelles naissances.
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Le 17 octobre 1953 |
Fiançailles et mariage
En 1952, quelques mois avant de se marier, ma mère – avec quelques amies de Mont-Carmel, au Bas Saint-Laurent - participe à une retraite spirituelle animée par le vénérable père Victor Lelièvre à la Maison Jésus-Ouvriers.
Elles prennent le train de Saint-Philippe-de-Néri jusqu’à Québec. Mon père qui était en route pour son travail de bucheron, la dernière « run » qu’il fera, s’arrêtera les saluer et passer quelques heures avec « les filles » qu’il connait bien avant de s’enfoncer dans la forêt boréale.
Maman gardera toute sa vie un précieux souvenir de cette retraite spirituelle.
Roméo arrive à Granby au printemps 1953. Il trouve un emploi à l’Esmond Mills. Engagé pour une journée, il y passera une quarantaine d’années.
Le 17 octobre 1953, il épouse ma mère, Jeannine Jean, dans l’église de Mont-Carmel, dans le Kamouraska. Ils s’installèrent à Granby.
Ils habitent d’abord sur la rue Decelles, devenue de nos jours la rue Matton, puis sur la rue Saint-Charles Nord, en face de l’avenue du Parc (la maison n’existe plus).
Yvon naît en juillet 1955 et Pauline en mai 1957.
En 1957, l’Annuaire téléphonique de Granby [6] indique qu’ils sont domiciliés au 343, rue Savage. Il s’agit de leur première maison.
En 1958, il est inscrit dans le bottin qu’il est domicilié au 98, rue Villeneuve et qu’il est journalier à l’Esmond Mills.
En 1960 arrive la Révolution tranquille québécoise [7]. Les annuaires de 1960 et 1961 indiquent qu’ils sont domiciliés au 98, rue Villeneuve, que mon père est journalier à l’Esmond que et leur numéro de téléphone est 8-5470.
Quelques jours après la naissance de Clément, le 24 mai 1961, ils emménagent le 667, rue Saint-François, où ils passeront le reste de leurs jours. Le duplex est construit pour eux par Léopold Dionne. Leur numéro de téléphone est FR8-5470. Leur premier locataire est Laurier Fontaine. Lui succéderont Raymond Paradis et Huguette Desormeaux.
En 1963, une année après l’ouverture des travaux du concile Vatican II, leur numéro téléphonique devient le 378-5470.
En 1964, Roméo, toujours a l’emploi de l’Esmond Mills, devient mécanicien d’entretien.
Je nais en novembre 1966.
En l’été 1975, on demande à Roméo de se rendre avec un patron de l’usine, étudier la mécanique de nouvelles machines pour l’Esmond Mills. Il apprend notamment les rudiments des « corner automatiques ». Il fera une pause de quelques jours pour assister au mariage d’Yvon, le 19 juillet.
En 1986, il ferme l’usine de la rue Cowie après avoir démonté la machinerie qu’il avait installée dix ans plus tôt. Il les installera une deuxième fois dans une usine de la Dominion Textile située à Magog.
On lui offre de se joindre aux employés de Magog, mais il décide de se prévaloir du plan de préretraite auquel il souscrit depuis quelques années. Il a 58 ans.
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A l'usine Esmond Mills, rue Cowie, a Granby |
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[1] Lors de ma visite du site, en 2013, elles étaient les reines du site puisque la maison n’existe plus.
[2] Né le 19 octobre 1897 et décédé le 12 février 1960. Inhumé dans le cimetière de Saint-Philippe-de-Néri
[3] Née le 24 juillet 1906 et décédée le 21 mars 1976. Inhumée dans le cimetière de Saint-Philippe-de-Néri
[4] En 1932, Edgar et Alice seront les parrain et marraine de leur fille Bartha Lizotte
[5] Le Peuple, 9 janvier 1931, p. 1 www.numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4020518?docsearchtext=le%20peuple%209%20janvier%201931
[6] Des annuaires téléphoniques de Granby sont conservés dans le centre de documentation de la Société d’histoire de la Haute-Yamaska (SHHY 920.011)
[7] Au Québec, la Révolution tranquille, débute en 1960 et prend fin en 1982.