Par Benoit Voyer
5 octobre 2025
La bienheureuse Marie-Rose Durocher est née dans la maison familiale, à Saint-Antoine-sur-Richelieu, le 6 octobre 1811. La résidence a été bâtie par Jacques Courtemanche, son arrière-grand-père, en 1725, soit une année avant l’ouverture de la concession. Il s’était établi à cet endroit avec quatre des descendants de Jacques Archambault. Ces derniers s’établirent sur la terre voisine.
À sa naissance, ses parents, Olivier Durocher (1771-1859) et Geneviève Durocher (1768-1830), lui donnent le prénom d’Eulalie. Elle est leur dixième enfant.
Lors du baptême, dans le registre paroissial, le curé, Bonaventure Alinotte, la prénomme « Mélanie ». Il écrit dans le registre paroissial : « Le six octobre mil huit cent onze, par nous curé de St-Antoine, a été baptisée Mélanie, née ce jour du légitime mariage d’Olivier Durocher et de Geneviève Durocher. Parrain Joseph Dufresne qui n’a pu signer, marraine Magdeleine Roy qui a signé avec le père. »
En cette année 1811, Ignace Bourget entre au séminaire de Québec en vue de devenir prêtre et saint Eugène de Mazenod est ordonné prêtre à Amiens, en France.
Église Notre-Dame-des-Anges, a Québec |
L’arbre généalogique d’Eulalie Durocher est impressionnant. Il comporte des ancêtres et proches parents aux tempéraments forts. Quelques-uns ont marqué l’histoire.
D’abord, on retrouve de nombreux marchands influents et assez fortunés.
Du côté de sa mère, Benjamin Durocher et Geneviève Marchesseau, ses grands-parents, se sont mariés a l'église Notre-Dame-des-Anges, a Québec. Par la suite, ils migreront a Saint-Antoine-sur-Richelieu. D'ailleurs, Geneviève Marchesseau (1748-1777) est inhumée dans l’église paroissiale de Saint-Antoine-sur-Richelieu, un privilège réservé aux familles financièrement aisées.
L’arrière-arrière-arrière-grand-père de Marie-Rose est Blaise Juillet (1611-1660), un des deux compagnons de Dollard des Ormeaux (1635-1660). Il est mort noyé le 19 avril 1660 près de l’île Saint-Paul en fuyant une attaque des Iroquois.
Geneviève Durocher, la mère d’Eulalie, a été « élevée » par sa tante Marie-Anne Mauvide (1736-1799), épouse de René-Amable Durocher (1737-1786), dans le manoir seigneurial de Saint-Jean, sur l’île d’Orléans. Le Manoir Mauvide-Genest [1] rappelle leur mémoire.
Son grand-père paternel, Olivier Durocher (1743-1821) était sur le champ de bataille, le 8 juillet 1758, lors de la victoire du général Montcalm à Carillon, sur le lac Champlain. Le fort de Carillon porte de nos jours le nom de Fort Tigonderoga et est situé dans l’actuel État de New York. Olivier, qui avait 14 ans, a mené le combat dans la troupe de Bourlamaque postée sur le Richelieu. Laissé pour mort, on se rend compte qu’il respire encore. Sans tarder, on le transporte. On lui sauve la vie. Plus tard, de 1786 à 1789, il sera marguillier à Saint-Antoine-sur-Richelieu et, de 1796 à 1800, député du comté de Surrey (Verchères). De 1800 à 1821, il vivra retiré chez son fils. Il apprendra à sa petite-fille Eulalie, la future sœur Marie-Rose, à lire, à écrire et l’histoire de la Nouvelle-France.
Son arrière-grand-père paternel est le médecin-chirurgien Olivier Durocher (1717-1795) qui a pratiqué la chirurgie à l’Hôtel-Dieu-de-Montréal.
Enfin, ses arrière-arrière-grands-parents paternels, Joseph Durocher (1681-1749) et Marguerite Leroy (1685-1749) sont originaires d’Angers, dans l’actuelle région de Maine-et-Loire, en France. Ils se sont mariés dans l’antique église-cathédrale Saint-Maurille, le 6 juin 1705.
Sa famille
La petite histoire du père d’Eulalie et de sa famille mérite une attention spéciale. Ses origines expliquent en grande partie sa sainteté et l’exemplarité de vie chrétienne de plusieurs de ses frères et sœurs.
Olivier Durocher (1771-1859) fait de bonnes études et se destine à devenir prêtre de l’Église catholique romaine. C’est son souhait le plus cher. Il sent en lui la vocation. Olivier est un homme de grande piété.
Le père d’Olivier s’objecte sur le choix de vie de son fils. Il n’est pas question qu’il devienne prêtre ! N’ayant que deux enfants et un seul fils, il veut que son gars lui donne une descendance afin de perpétuer son nom. Ainsi donc, Olivier n’aura pas le choix de se marier. Le 20 janvier 1794, il épouse Geneviève Durocher (1768-1830), une petite-cousine, à Saint-Jean, sur l’île d’Orléans. Il deviendra cultivateur et s’établira à Saint-Antoine-sur-Richelieu.
Olivier et Geneviève donnent la vie à onze enfants : trois mourront en bas âge, trois se marieront et cinq choisiront le célibat en devenant religieux ou religieuses. Faut-il s’en étonner ? Olivier Durocher (1771-1859) a transmis sa grande foi en Dieu à ses enfants.
Séraphine (1809-1852), la sœur d’Eulalie, entrera dans la congrégation de Notre-Dame de Montréal, fondée par sainte Marguerite Bourgeoys.
Théophile Durocher (1805-1852) sera notamment curé à Beloeil. À 20 ans, Eulalie Durocher y devient gouvernante au presbytère de Beloeil auprès de son frère Théophile. Elle sera l’hôtesse des lieux pendant douze ans, c’est-à-dire jusqu’en 1843. Elle y accueille les prêtres en repos, s’engage dans la paroisse, visite les démunis, soutient les familles en difficulté, enseigne le catéchisme aux enfants et organise les célébrations liturgiques, comme une agente de pastorale avant la lettre. Ce séjour à Beloeil lui ouvre cependant les yeux sur la pauvreté de l’instruction religieuse et le manque d’écoles, en particulier, pour les filles des campagnes.
Eusèbe Durocher (1807-1879) étudiera au séminaire de Saint-Hyacinthe. Il exercera son ministère dans cette ville avant d’entrer chez les Oblats de Marie Immaculée.
Flavien Durocher (1800-1876) sera prêtre séculier et puis se joindra aux Prêtres de Saint-Sulpice et, en bout de course, aux Oblats de Marie Immaculée, communauté fondée par saint Eugène de Mazenod. Il sera longtemps curé de la communauté des Innus de Betsiamites, devenue Pessamit, avant de fonder la paroisse Saint-Sauveur, à Québec. De nos jours, le parc Durocher, situé aux coins des rues Durocher, Saint-Vallier et de Carillon, à Québec, rappelle sa mémoire. Au centre du lieu se dresse un immense monument érigé en 1912 où les paroissiens de jadis y ont souligné qu’il a été un « prêtre zélé, religieux, parfait » et un « pasteur charitable ». Puisqu’il est pensionnaire à Montréal pour ses études et que durant les vacances avec sa famille il visite ses oncles et ses tantes et, par la suite, est au loin pour son travail ecclésiastique, il connaîtra peu les plus jeunes de ses frères et de ses sœurs, dont Eulalie, la future bienheureuse Marie-Rose Durocher, née en 1811. Lorsque la bienheureuse Marie-Rose Durocher sera déclarée sainte, faudra-t-il penser à élever sur les autels le père Flavien Durocher ?
Enfance
Eulalie grandit comme tous les autres enfants. Ses proches diront de la petite fille qu’elle était attachante, doucement impérative, très ardente, volontaire, vive, sensible, tenace, affectueuse, tendre de cœur, d’une franchise à toute épreuve, et très gaie, mais sans légèreté.
La gamine déborde d’ardeur. Cela se manifeste au jeu avec, dit-on, « une sorte de trop-plein de vie ». Son père en dira : « Quand elle était petite, elle était bien dissipée, Jargaude ; ses habits étaient toujours déchirés, de travers, elle était pleine de jeux, au point que sa mère en était désolée et disait quelquefois : mais que ferons-nous d’Eulalie quand elle sera grande ? »[2]
Germaine Duval, dans son livre « Par le chemin du roi une femme est venue » [3], une biographie sur la bienheureuse Marie-Rose Durocher souligne la grande intelligence de la jeune fille : « Enfant intelligente, toute jeune, elle laisse déjà voir le sens droit d’une Durocher et elle en a déjà la prudence et le sens du respect. Après sa mort, l’examen de son crâne révélera qu’il était celui d’une femme très bien douée, sous le rapport de l’intelligence, car le développement de la région frontale indique que la partie antérieure du cerveau était très développée."
Le 26 juin 1823, à Saint-Denis-sur-Richelieu, Eulalie Durocher fait sa première communion et reçoit le sacrement de la confirmation. La célébration est présidée par Mgr Jean-Jacques Lartigue, évêque de Montréal.
Devenir religieuse
En mars 1827, Séraphine, la sœur d’Eulalie, décide de se faire religieuse en entrant au noviciat de la congrégation Notre-Dame. Eulalie décide de l’imiter.
À 16 ans, elle est en âge de décider sérieusement de son avenir. Sans tarder, elle demande à son père la permission de remplacer Séraphine au pensionnat. « Eh bien, lui dit son père, sois prête demain, je te conduirai à Montréal. Le lendemain […] elle remplaçait sa sœur au pensionnat pour la suivre ensuite au noviciat, lorsque son cours d’études serait terminé. Voulant appartenir à une congrégation dont l’œuvre maitresse est l’enseignement, elle ne pouvait se contenter de ce qu’elle avait appris au couvent de St-Denis. ».[4]
Au pensionnat, elle se fait rapidement remarquer comme étant une personne digne de confiance, pour ses bons résultats scolaires et sa profondeur d’âme. « Elle seule ignorait son mérite […] elle reportait toute gloire au Seigneur, ne s’attribuant à elle-même que faiblesse et misère ; elle était docile, affable et d’une modestie qui ne se démentit jamais. Attentive à la voix de ses maitresses, elle l’était bien plus encore à la voix de Dieu qui lui parlait au cœur. »[5]
Malheureusement, comme il est souligné dans les comptes des élèves 1821-1829 du pensionnat de Montréal de la congrégation Notre-Dame entre 1827 et 1829 [6], elle doit s’absenter du pensionnat à cause de la maladie. Sur ses deux ans d’études, elle ne passe que six à sept ans au pensionnat.
En juin 1829, Eulalie reconnait qu’elle n’a pas l’énergie physique pour devenir enseignante. Elle quitte le couvent. « Elle croit alors que, maladive comme elle est, elle comprendrait mieux les besoins des malades et que Dieu pourrait bien la vouloir à leur service. Elle se dispose à demander son admission chez les Hospitalières de la Miséricorde qui dirigent l’Hôpital général de Québec. Avant que ne se réalise le projet, une grave maladie retient au lit, durant trois mois, la jeune Eulalie », raconte Germaine Duval.
Faire des tâches de relève
Dans les premiers jours de 1830, Geneviève Durocher, sa mère, est atteinte d’une grave maladie. Tout espoir de guérison s’évanouit. Il ne faudra que deux semaines pour que son dernier souffle arrive.
En 1895, dans Fidelis (chapitre 1, note 64, p. 94), une œuvre sur la vie de Marie-Rose Durocher, l’auteur écrit : « Au dernier moment, la famille, à l’exception de la religieuse, entoura le lit de la mourante. Le curé de la paroisse la confesse ; puis Flavien qui était prêtre lui administra les sacrements d’eucharistie et d’extrême-onction. » La religieuse absente, c’est Séraphine.
Le départ sera difficile pour tous ses enfants, particulièrement pour Eulalie qui vit épreuve sur épreuve depuis un bout de temps.
Rapidement, elle se ressaisit. La mort de sa mère signifie qu’elle devient la maitresse de la maison. Prenant son courage à deux mains, elle s’accroche un sourire au visage et fait tout son possible pour créer de la joie autour d’elle, tentant d’imiter le plus possible les manières de sa mère. Malgré le deuil, grâce à elle, la maisonnée reprend sa vie normale.
Le 9 mars 1828, son frère, Théophile, est ordonné prêtre. Quelques mois après avoir reçu le sacrement de l’ordre, il est nommé vicaire à Saint-Benoit-des-Deux-Montagnes, devenu de nos jours un secteur de la ville de Mirabel.
À la suite du décès du curé, sa ménagère quitte le presbytère. Par délicatesse et par respect et reconnaissance pour son prédécesseur, Théophile offre à une jeune nièce du défunt qui habite au presbytère de rester avec lui. Rapidement, il se rend compte de la situation délicate dans laquelle il s’est mis, lui qui a fait vœu de chasteté. Pour ne pas s’exposer aux tentations de la chair et éviter la critique, il prie son père de lui envoyer sans tarder Eulalie afin qu’elle dirige le personnel du presbytère. Ce dernier accepte et sa fille Geneviève et son mari Pierre Allaire iront habiter avec lui.
À l’été 1831, Eulalie retourne vivre chez son père parce que Théophile est nommé curé à Beloeil.
À peine installé, Théophile propose à son père de déménager avec Eulalie dans son presbytère. Il lui explique que son âge qui avance et qu’à trois il leur serait possible de vivre une saine vie de famille. Le projet prend forme à la fin de 1831. À Belœil, Eulalie prend la direction du quotidien au presbytère.
Dans son nouveau patelin, Théophile présente à Eulalie « Demoiselle » Mélodie Dufresne afin de l’aider au presbytère. Elles deviendront de grandes amies.
Fonder une communauté religieuse
À la demande de l’évêque catholique de Montréal, Mgr Ignace Bourget (1799-1885), elle fonde la congrégation des Sœurs de Jésus-Marie, destinées à l’éducation. Comme l’usage le veut à cette époque, puisqu’il s’agit d’une nouvelle naissance, dit-on, elle devient sœur Marie-Rose.
Décès, inhumation et mémoire
Marie-Rose Durocher décède le 6 octobre 1849, jour de son anniversaire de naissance.
De nos jours, la bienheureuse Marie-Rose Durocher repose dans la cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue, à Longueuil.
Sa mémoire liturgique est le 6 octobre.
____________________
[1] C'est en lisant le livre "Par le chemin du Roi, une femme est venue", consacré à la vie de la bienheureuse Marie-Rose Durocher (1768-1830), que j'ai découvert ce site historique tout à fait exceptionnel. C'est ici que sa mère, Geneviève Durocher, a passé son enfance, bénéficiant de l'éducation que lui offrait sa tante Anne Mauvide (1736-1799), la seigneuresse du lieu et épouse de René-Amable Durocher (1737-1786). L'actuel nom du manoir fait référence aux parents de sa tante, Jean Mauvide (1701-1782) et Marie-Anne Genest dit Labarre (1707-1781). En plus d'être seigneur de la partie sud-ouest de l'île de 1752 à 1779, Jean Mauvide était chirurgien du roi et marchand.
C'est dans cette maison que le contrat de mariage entre Geneviève Durocher et Olivier Durocher (1771-1859) a été signé. Ils se marieront le 20 janvier 1794, dans l'église catholique du patelin qu'il est également possible de visiter.
Ainsi donc, le Manoir Mauvide-Genest est un ancien manoir seigneurial situé à Saint-Jean, sur l'Île-d 'Orléans. Il a été construit en 1734 par Jean Mauvide et agrandi en 1738 et avant 1755. La chapelle date de 1929. Il s'agit d'un des plus vieux manoirs seigneuriaux qui existent au Québec. Il a été classé immeuble patrimonial en 1971 et désigné lieu historique national du Canada en 1993.
www.manoirmauvidegenest.com
[2] Témoignage de sœur Marie-Ignace (Onésime Lemieux), 25 mars 1885, ASNJM, G 1.1/41,2.
[3] Éditions Bellarmin, 1982, p. 48
[4] Fidelis, (pseud. De Jules-Henrio Prétot, o.m.i..), Mère Marie-Rose, Montréal, Desbarats et Cie, 1895, p.86-87
[5] Notes des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, ASNJM, G 1.1/37.7
[6] Cf. p.183, ASNJM, G 1.1/38,8
L’arrière-arrière-arrière-grand-père de Marie-Rose est Blaise Juillet (1611-1660), un des deux compagnons de Dollard des Ormeaux (1635-1660). Il est mort noyé le 19 avril 1660 près de l’île Saint-Paul en fuyant une attaque des Iroquois.
Le Manoir Mauvide Genest |
Son grand-père paternel, Olivier Durocher (1743-1821) était sur le champ de bataille, le 8 juillet 1758, lors de la victoire du général Montcalm à Carillon, sur le lac Champlain. Le fort de Carillon porte de nos jours le nom de Fort Tigonderoga et est situé dans l’actuel État de New York. Olivier, qui avait 14 ans, a mené le combat dans la troupe de Bourlamaque postée sur le Richelieu. Laissé pour mort, on se rend compte qu’il respire encore. Sans tarder, on le transporte. On lui sauve la vie. Plus tard, de 1786 à 1789, il sera marguillier à Saint-Antoine-sur-Richelieu et, de 1796 à 1800, député du comté de Surrey (Verchères). De 1800 à 1821, il vivra retiré chez son fils. Il apprendra à sa petite-fille Eulalie, la future sœur Marie-Rose, à lire, à écrire et l’histoire de la Nouvelle-France.
Son arrière-grand-père paternel est le médecin-chirurgien Olivier Durocher (1717-1795) qui a pratiqué la chirurgie à l’Hôtel-Dieu-de-Montréal.
Enfin, ses arrière-arrière-grands-parents paternels, Joseph Durocher (1681-1749) et Marguerite Leroy (1685-1749) sont originaires d’Angers, dans l’actuelle région de Maine-et-Loire, en France. Ils se sont mariés dans l’antique église-cathédrale Saint-Maurille, le 6 juin 1705.
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Lieu de mémoire de ses parents a Saint-Antoine-sur-Richelieu |
La petite histoire du père d’Eulalie et de sa famille mérite une attention spéciale. Ses origines expliquent en grande partie sa sainteté et l’exemplarité de vie chrétienne de plusieurs de ses frères et sœurs.
Olivier Durocher (1771-1859) fait de bonnes études et se destine à devenir prêtre de l’Église catholique romaine. C’est son souhait le plus cher. Il sent en lui la vocation. Olivier est un homme de grande piété.
Le père d’Olivier s’objecte sur le choix de vie de son fils. Il n’est pas question qu’il devienne prêtre ! N’ayant que deux enfants et un seul fils, il veut que son gars lui donne une descendance afin de perpétuer son nom. Ainsi donc, Olivier n’aura pas le choix de se marier. Le 20 janvier 1794, il épouse Geneviève Durocher (1768-1830), une petite-cousine, à Saint-Jean, sur l’île d’Orléans. Il deviendra cultivateur et s’établira à Saint-Antoine-sur-Richelieu.
Olivier et Geneviève donnent la vie à onze enfants : trois mourront en bas âge, trois se marieront et cinq choisiront le célibat en devenant religieux ou religieuses. Faut-il s’en étonner ? Olivier Durocher (1771-1859) a transmis sa grande foi en Dieu à ses enfants.
Séraphine (1809-1852), la sœur d’Eulalie, entrera dans la congrégation de Notre-Dame de Montréal, fondée par sainte Marguerite Bourgeoys.
Théophile Durocher (1805-1852) sera notamment curé à Beloeil. À 20 ans, Eulalie Durocher y devient gouvernante au presbytère de Beloeil auprès de son frère Théophile. Elle sera l’hôtesse des lieux pendant douze ans, c’est-à-dire jusqu’en 1843. Elle y accueille les prêtres en repos, s’engage dans la paroisse, visite les démunis, soutient les familles en difficulté, enseigne le catéchisme aux enfants et organise les célébrations liturgiques, comme une agente de pastorale avant la lettre. Ce séjour à Beloeil lui ouvre cependant les yeux sur la pauvreté de l’instruction religieuse et le manque d’écoles, en particulier, pour les filles des campagnes.
Eusèbe Durocher (1807-1879) étudiera au séminaire de Saint-Hyacinthe. Il exercera son ministère dans cette ville avant d’entrer chez les Oblats de Marie Immaculée.
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Bronze de Flavien Durocher dans le Parc Durocher a Québec |
Enfance
Eulalie grandit comme tous les autres enfants. Ses proches diront de la petite fille qu’elle était attachante, doucement impérative, très ardente, volontaire, vive, sensible, tenace, affectueuse, tendre de cœur, d’une franchise à toute épreuve, et très gaie, mais sans légèreté.
La gamine déborde d’ardeur. Cela se manifeste au jeu avec, dit-on, « une sorte de trop-plein de vie ». Son père en dira : « Quand elle était petite, elle était bien dissipée, Jargaude ; ses habits étaient toujours déchirés, de travers, elle était pleine de jeux, au point que sa mère en était désolée et disait quelquefois : mais que ferons-nous d’Eulalie quand elle sera grande ? »[2]
Germaine Duval, dans son livre « Par le chemin du roi une femme est venue » [3], une biographie sur la bienheureuse Marie-Rose Durocher souligne la grande intelligence de la jeune fille : « Enfant intelligente, toute jeune, elle laisse déjà voir le sens droit d’une Durocher et elle en a déjà la prudence et le sens du respect. Après sa mort, l’examen de son crâne révélera qu’il était celui d’une femme très bien douée, sous le rapport de l’intelligence, car le développement de la région frontale indique que la partie antérieure du cerveau était très développée."
Le 26 juin 1823, à Saint-Denis-sur-Richelieu, Eulalie Durocher fait sa première communion et reçoit le sacrement de la confirmation. La célébration est présidée par Mgr Jean-Jacques Lartigue, évêque de Montréal.
Devenir religieuse
En mars 1827, Séraphine, la sœur d’Eulalie, décide de se faire religieuse en entrant au noviciat de la congrégation Notre-Dame. Eulalie décide de l’imiter.
À 16 ans, elle est en âge de décider sérieusement de son avenir. Sans tarder, elle demande à son père la permission de remplacer Séraphine au pensionnat. « Eh bien, lui dit son père, sois prête demain, je te conduirai à Montréal. Le lendemain […] elle remplaçait sa sœur au pensionnat pour la suivre ensuite au noviciat, lorsque son cours d’études serait terminé. Voulant appartenir à une congrégation dont l’œuvre maitresse est l’enseignement, elle ne pouvait se contenter de ce qu’elle avait appris au couvent de St-Denis. ».[4]
Au pensionnat, elle se fait rapidement remarquer comme étant une personne digne de confiance, pour ses bons résultats scolaires et sa profondeur d’âme. « Elle seule ignorait son mérite […] elle reportait toute gloire au Seigneur, ne s’attribuant à elle-même que faiblesse et misère ; elle était docile, affable et d’une modestie qui ne se démentit jamais. Attentive à la voix de ses maitresses, elle l’était bien plus encore à la voix de Dieu qui lui parlait au cœur. »[5]
Malheureusement, comme il est souligné dans les comptes des élèves 1821-1829 du pensionnat de Montréal de la congrégation Notre-Dame entre 1827 et 1829 [6], elle doit s’absenter du pensionnat à cause de la maladie. Sur ses deux ans d’études, elle ne passe que six à sept ans au pensionnat.
En juin 1829, Eulalie reconnait qu’elle n’a pas l’énergie physique pour devenir enseignante. Elle quitte le couvent. « Elle croit alors que, maladive comme elle est, elle comprendrait mieux les besoins des malades et que Dieu pourrait bien la vouloir à leur service. Elle se dispose à demander son admission chez les Hospitalières de la Miséricorde qui dirigent l’Hôpital général de Québec. Avant que ne se réalise le projet, une grave maladie retient au lit, durant trois mois, la jeune Eulalie », raconte Germaine Duval.
Faire des tâches de relève
Dans les premiers jours de 1830, Geneviève Durocher, sa mère, est atteinte d’une grave maladie. Tout espoir de guérison s’évanouit. Il ne faudra que deux semaines pour que son dernier souffle arrive.
En 1895, dans Fidelis (chapitre 1, note 64, p. 94), une œuvre sur la vie de Marie-Rose Durocher, l’auteur écrit : « Au dernier moment, la famille, à l’exception de la religieuse, entoura le lit de la mourante. Le curé de la paroisse la confesse ; puis Flavien qui était prêtre lui administra les sacrements d’eucharistie et d’extrême-onction. » La religieuse absente, c’est Séraphine.
Le départ sera difficile pour tous ses enfants, particulièrement pour Eulalie qui vit épreuve sur épreuve depuis un bout de temps.
Rapidement, elle se ressaisit. La mort de sa mère signifie qu’elle devient la maitresse de la maison. Prenant son courage à deux mains, elle s’accroche un sourire au visage et fait tout son possible pour créer de la joie autour d’elle, tentant d’imiter le plus possible les manières de sa mère. Malgré le deuil, grâce à elle, la maisonnée reprend sa vie normale.
Le 9 mars 1828, son frère, Théophile, est ordonné prêtre. Quelques mois après avoir reçu le sacrement de l’ordre, il est nommé vicaire à Saint-Benoit-des-Deux-Montagnes, devenu de nos jours un secteur de la ville de Mirabel.
À la suite du décès du curé, sa ménagère quitte le presbytère. Par délicatesse et par respect et reconnaissance pour son prédécesseur, Théophile offre à une jeune nièce du défunt qui habite au presbytère de rester avec lui. Rapidement, il se rend compte de la situation délicate dans laquelle il s’est mis, lui qui a fait vœu de chasteté. Pour ne pas s’exposer aux tentations de la chair et éviter la critique, il prie son père de lui envoyer sans tarder Eulalie afin qu’elle dirige le personnel du presbytère. Ce dernier accepte et sa fille Geneviève et son mari Pierre Allaire iront habiter avec lui.
À l’été 1831, Eulalie retourne vivre chez son père parce que Théophile est nommé curé à Beloeil.
À peine installé, Théophile propose à son père de déménager avec Eulalie dans son presbytère. Il lui explique que son âge qui avance et qu’à trois il leur serait possible de vivre une saine vie de famille. Le projet prend forme à la fin de 1831. À Belœil, Eulalie prend la direction du quotidien au presbytère.
Dans son nouveau patelin, Théophile présente à Eulalie « Demoiselle » Mélodie Dufresne afin de l’aider au presbytère. Elles deviendront de grandes amies.
Fonder une communauté religieuse
À la demande de l’évêque catholique de Montréal, Mgr Ignace Bourget (1799-1885), elle fonde la congrégation des Sœurs de Jésus-Marie, destinées à l’éducation. Comme l’usage le veut à cette époque, puisqu’il s’agit d’une nouvelle naissance, dit-on, elle devient sœur Marie-Rose.
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Tombe de la bienheureuse Marie-Rose Durocher dans la cathédrale de Longueuil |
Marie-Rose Durocher décède le 6 octobre 1849, jour de son anniversaire de naissance.
De nos jours, la bienheureuse Marie-Rose Durocher repose dans la cocathédrale Saint-Antoine-de-Padoue, à Longueuil.
Sa mémoire liturgique est le 6 octobre.
____________________
[1] C'est en lisant le livre "Par le chemin du Roi, une femme est venue", consacré à la vie de la bienheureuse Marie-Rose Durocher (1768-1830), que j'ai découvert ce site historique tout à fait exceptionnel. C'est ici que sa mère, Geneviève Durocher, a passé son enfance, bénéficiant de l'éducation que lui offrait sa tante Anne Mauvide (1736-1799), la seigneuresse du lieu et épouse de René-Amable Durocher (1737-1786). L'actuel nom du manoir fait référence aux parents de sa tante, Jean Mauvide (1701-1782) et Marie-Anne Genest dit Labarre (1707-1781). En plus d'être seigneur de la partie sud-ouest de l'île de 1752 à 1779, Jean Mauvide était chirurgien du roi et marchand.
C'est dans cette maison que le contrat de mariage entre Geneviève Durocher et Olivier Durocher (1771-1859) a été signé. Ils se marieront le 20 janvier 1794, dans l'église catholique du patelin qu'il est également possible de visiter.
Ainsi donc, le Manoir Mauvide-Genest est un ancien manoir seigneurial situé à Saint-Jean, sur l'Île-d 'Orléans. Il a été construit en 1734 par Jean Mauvide et agrandi en 1738 et avant 1755. La chapelle date de 1929. Il s'agit d'un des plus vieux manoirs seigneuriaux qui existent au Québec. Il a été classé immeuble patrimonial en 1971 et désigné lieu historique national du Canada en 1993.
www.manoirmauvidegenest.com
[2] Témoignage de sœur Marie-Ignace (Onésime Lemieux), 25 mars 1885, ASNJM, G 1.1/41,2.
[3] Éditions Bellarmin, 1982, p. 48
[4] Fidelis, (pseud. De Jules-Henrio Prétot, o.m.i..), Mère Marie-Rose, Montréal, Desbarats et Cie, 1895, p.86-87
[5] Notes des Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame, ASNJM, G 1.1/37.7
[6] Cf. p.183, ASNJM, G 1.1/38,8