Par Benoit Voyer
15 septembre 2025
Pour le rationnel que je suis, le concept de la résurrection de Jésus, fondement même du christianisme, a été très difficile à comprendre. Un jour, lorsque j’étais journaliste, j’ai demandé une rencontre à Mgr François Lapierre, l’ancien évêque de Saint-Hyacinthe, afin de parler du sujet. Le projet consistait en une réflexion pour les jours saints, mais en réalité, c’était bien plus pour dénouer ma propre impasse que je voulais m’entretenir avec lui.[1]
L’échange que j’ai eu avec lui sera la clef dont j’avais besoin pour saisir de quoi il s’agit.
***
BENOIT VOYER – Monseigneur François Lapierre, qu’est-ce que la résurrection ?
FRANÇOIS LAPIERRE – C'est “être vivant” ! C’est ce qu’affirment les Évangiles. “Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?” (Lc 24,5).
Cette réalité ne se vit pas uniquement lors de notre passage de la vie à trépas au terme de notre chemin humain. Nous la vivons déjà durant notre existence quotidienne. Toute personne vit des moments de mort et de résurrection. Au moment des ténèbres que nous traversons, au moment où nous croyons qu’il n’y a plus rien de possible, il y a toujours l’espérance d’une vie nouvelle. Déjà cette espérance est très présente dans les psaumes. Je dois vous avouer que c’est ce qui soutient ma foi.
B.V. – Cela est le sens philosophique de la résurrection. Après la pluie vient toujours le beau temps. Au bout d’un long tunnel obscur, il y a toujours la lumière qui nous attend…
F. L. – Pour représenter la résurrection, j’aime l’image de l’enfant qui vient au monde. Lorsqu’il nait, il y a rapidement une rupture avec la mère. Ainsi, nous visons une expérience nouvelle. La résurrection chrétienne, c’est faire l’expérience de devenir une nouvelle création dans le Christ. J’aime beaucoup cette pensée de Pascal : “Quelle raison ont-ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Qu'est-ce qui est le plus difficile, de naître ou de ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? (...) La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible : populaire façon de juger !” (Pascal, Pensées, 222-882). Son questionnement est intéressant : celui qui a créé le monde peut aussi nous re-créer !
B.V. – Thomas dit avoir touché concrètement à Jésus après sa mort. Cela pose un doute pour l’intelligence. Est-ce que vous êtes à l’aise avec cette affirmation ?
F.L. – Jésus lui dit : “Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.” Je crois fermement que nous sommes appelés à vivre cette béatitude des gens qui ne l’ont pas vu et qui sont appelés à la foi. Cependant, on peut penser que cette foi ne repose pas uniquement sur une réalité vraiment rationnelle ou logique parce que toute la spiritualité chrétienne nous invite à ressusciter chaque jour, à vivre la résurrection au quotidien.
Voici une autre image de la résurrection que j’aime beaucoup. À la fin d’une journée, parfois, il m’arrive d’être très fatigué. Je me couche et ne fais rien pendant huit heures. Le matin, je me réveille reposé. L’Écriture nous parle à plusieurs reprises de la résurrection comme d’un réveil.
B.V. – Peut-on faire ce parallèle avec la réalité de la résurrection du Christ qui est le fondement du christianisme ?
F. L. – Ces images sont des réalités qui peuvent nous aider à découvrir le mystère de la résurrection et à le vivre au présent. La grande question n’est pas seulement de la vie après la mort, mais de la vie avant la mort. Nous avons à nous soucier de la qualité de cette vie. C’est là que l’expérience chrétienne, quand elle est bien vécue, devient une expérience de vie. Tout le cheminement de la foi est un art de vivre. La résurrection, c’est l’expérimentation de la vie en abondance.
B. V. – Revenons à Thomas. Est-ce qu’il a vraiment touché le Christ en chair et en os ? Est-ce qu’il serait plus simple pour l’intelligence d’affirmer que c’était un corps métaphysique ?
F.L. – C’est le corps du Christ ressuscité.
B.V. – Comment décrire ce corps du Christ ressuscité ?
F.L. – C’est une réalité qui dépasse notre entendement. La résurrection n’est pas simplement, comme dans le cas de Lazare, un retour à la vie antérieure. Lazare a été réanimé. La résurrection est une nouvelle création. C’est une réalité nouvelle qui dépasse notre raisonnement humain.
B. V. – Est-ce que nous pourrions comparer la résurrection du Christ à une apparition ?
F.L. – Vous avez bien compris. C’est un phénomène mystique. Ce n’était plus le corps de chair du Seigneur. C’était son corps transformé, ressuscité. Sans vouloir amenuiser l’importance de la nécessité d’une compréhension rationnelle de ce phénomène, je pense que c’est une réalité qui se comprend surtout avec le cœur.
B.V. – Comment surmonter le doute ?
F.L. – Le récit de la rencontre du Christ avec les disciples d’Emmaüs vous donne la recette. Il faut commencer par se mettre en route. En marchant, Jésus se présente et engage un dialogue à l’aide des Écritures. La Parole de Dieu a le pouvoir d’animer ou de réanimer un élan en soi. Parfois, il faut juste une parole.
Les étapes de leur cheminement nous montrent que la première chose qui ressuscite, c’est le cœur : il s’ouvre à de nouvelles capacités. Une nouvelle espérance s’installe. L’amour qui renait nous amène à nous engager davantage au service des autres et à pardonner.
De plus, les jours saints que nous vivrons dans peu de temps (L’entrevue précède de peu la fête de Pâques) peuvent être une source pour retrouver l’élan. Par cette commémoration du passage de Jésus de l’épreuve à la mort et de la mort à la vie nouvelle, chacun célèbre ses vendredis saints et ses matins de Pâques,
B. V. – Qu’est-ce qu’il faut penser du doute ?
F.L. – Il est normal de douter et de passer par des périodes ténébreuses. Les plus grands saints sont passés par des périodes de grande obscurité. Ce sont des étapes charnières dans notre vie. Elles ne se traversent pas toujours avec l’avancée en âge.
B. V. – Avez-vous déjà connu de ces périodes de doutes ?
F.L. – (Silence. Il scrute du regard les yeux du journaliste. Il comprend que la question a pour principal but d’aider son interlocuteur à traverser ses propres doutes. D’une voix mi-éteinte, comme lorsqu’on confie un grand secret, il poursuit…) L’assassinat de mon ami Raoul Léger, avec qui j’ai travaillé au Guatemala, a engendré dans ma vie et dans ma foi une grande période d’obscurité. Ce fut une terrible épreuve pour moi. J’ai douté jusqu’à remettre en question mon apostolat.
Il y a quelques mois, lors de la présentation du nouveau film de l’ONF qui porte sur sa vie, j’ai vu un parallèle entre celle-ci et celle de Jésus. Raoul n’avait que 30 ans.
B. V. – Pourquoi avez-vous douté ?
F.L. – C’est toujours la question du pourquoi qui hante l’esprit, surtout lorsqu’on a l’impression d’avoir été fidèle à l’appel reçu et qu’on a donné le meilleur de soi-même. J’ai beaucoup questionné Dieu.
B. V. – Qu’est-ce que l’épreuve a transformé en vous ?
F. L. – L’expérience a été pour moi un tournant important. J’ai découvert une réalité nouvelle dans la spiritualité. Elle n’est pas une fuite, mais un au-delà. J’ai découvert une lumière dans ma nuit. C’est difficile à exprimer. C’est une expérience qui s’explique difficilement avec des mots. Si je n’avais pas vécu cet événement, mon cheminement n’aurait pas été le même. Après quelques pas dans la nuit, j’ai vu le soleil se lever. J’ai vécu l’expérience d’une vie nouvelle. La résurrection, c’est le soleil qui se lève après la nuit obscure.
***
Ainsi donc, le concept de résurrection ne se comprend pas avec la logique de l’intelligence, mais avec le cœur. Les textes évangéliques ne sont pas des récits journalistiques, mais ils ont pour but d’aider à comprendre des réalités spirituelles et de donner du sens à la vie humaine.
Mgr François Lapierre m’invitait donc à ne pas regarder la résurrection comme étant seulement quelque chose qui se passe après la mort, mais plutôt comme une réalité qu’il est possible de vivre à même cette vie qui nous est prêtée.
D’ailleurs, la foi chrétienne nous invite à croire au-delà de tout entendement rationnel que la Vie est plus forte que la mort et toutes les petites morts que nous traversons au fil de ce pèlerinage sur cette terre. La foi est de croire que le trésor que nous cherchons est devant, à portée de soi. Comme il l’affirme : « La résurrection, c’est le soleil qui se lève après la nuit obscure. » De son côté, le frère Marie-Victorin écrivait un jour à Marcelle Gauvreau : « Il ne peut pas toujours faire noir […] La nuit appelle le soleil. »[2]
Je ne le savais pas à ce moment, mais ma réflexion ne faisait que commencer.
Une autre fois, lors d’une rencontre qui devait être un peu banale, des propos sont venus enrichir ceux de l’évêque maskoutain.
Afin d’écrire un article sur l’Accueil Bonneau, à Montréal [3], j’avais sollicité un entretien avec Nicole Fournier, une sœur de la Charité, qui en était la directrice générale. Durant notre échange, je lui demande : « Qu’est-ce que la pauvreté a changé dans votre conception de Dieu ? »
Après un long silence introspectif, elle me répond : « Qu’il faut avoir foi en la résurrection. Dans la lutte contre la pauvreté, je pense que si on a si peu de résultats, c’est que souvent on oublie que la personne est plus que ses carences. Elle a aussi une force qui habite dans son intériorité secrète. Je crois que c’est cela le grand message de l’Évangile. Il y a dans chaque personne un pouvoir de résurrection que l’Esprit peut réveiller, peut faire grandir. Il ne faut jamais perdre confiance en ce pouvoir de résurrection. Croire en quelqu’un, c’est le rendre capable de grandir. Si je ne crois pas que l’enfant puisse marcher, il ne prendra jamais le risque de se tenir debout et d’avancer ses jambes. Dans la vie, je pense que nous avons surtout besoin, au-delà de nourriture et d’argent, de quelqu’un qui croit en nous. » Et puis elle ajoutait : « Lorsque je prie, je rappelle à Dieu tous ces gens qui nous fréquentent. Je lui demande la force d’ouvrir en eux des portes et qu’il travaille sur les causes qui peuvent amener toutes ces personnes chez nous. Je lui demande aussi de faire grandir en eux la confiance en ce qu’ils sont. »
Il n’y a pas longtemps, je lisais le livre de l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, “Créés pour être aimés”. Il écrit : « Nous pourrions penser que la vie éternelle, c’est ce qui nous attend à la fin de nos vies. Cela est vrai, mais Jésus nous dit aussi que la vie éternelle nous est offerte maintenant, pendant notre vie terrestre (Jn 6, 26-70). Nous serons pleinement transformés lorsque le royaume éternel sera achevé. Mais entre-temps Dieu est entièrement présent à chacun et à chacune d’entre nous dans un amour agissant où il nous donne déjà part à la vie éternelle. La vie éternelle est donc une question qui me concerne maintenant, quel que soit mon désir des choses concrètes, quels que soient mes besoins humains. Comme l’air que je respire, invisible et impalpable, la vie éternelle, que je ne vois pas et ne sens pas, manifeste sa dimension concrète dans l’existence propre qu’elle me permet d’avoir. »[4]
Pour le chrétien, l’existence qu’il vit sur cette terre est déjà une partie de l’éternité à laquelle il est appelé. La résurrection est déjà dans ce monde parce qu’il a dit oui à l’appel de Jésus de marcher à sa suite malgré les croix du quotidien, ces petits défis qui sont des petits « plus » dans sa marche vers le grand bonheur final.
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15 septembre 2025
Pour le rationnel que je suis, le concept de la résurrection de Jésus, fondement même du christianisme, a été très difficile à comprendre. Un jour, lorsque j’étais journaliste, j’ai demandé une rencontre à Mgr François Lapierre, l’ancien évêque de Saint-Hyacinthe, afin de parler du sujet. Le projet consistait en une réflexion pour les jours saints, mais en réalité, c’était bien plus pour dénouer ma propre impasse que je voulais m’entretenir avec lui.[1]
L’échange que j’ai eu avec lui sera la clef dont j’avais besoin pour saisir de quoi il s’agit.
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Mgr Francois Lapierre, p.m.é. |
FRANÇOIS LAPIERRE – C'est “être vivant” ! C’est ce qu’affirment les Évangiles. “Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ?” (Lc 24,5).
Cette réalité ne se vit pas uniquement lors de notre passage de la vie à trépas au terme de notre chemin humain. Nous la vivons déjà durant notre existence quotidienne. Toute personne vit des moments de mort et de résurrection. Au moment des ténèbres que nous traversons, au moment où nous croyons qu’il n’y a plus rien de possible, il y a toujours l’espérance d’une vie nouvelle. Déjà cette espérance est très présente dans les psaumes. Je dois vous avouer que c’est ce qui soutient ma foi.
B.V. – Cela est le sens philosophique de la résurrection. Après la pluie vient toujours le beau temps. Au bout d’un long tunnel obscur, il y a toujours la lumière qui nous attend…
F. L. – Pour représenter la résurrection, j’aime l’image de l’enfant qui vient au monde. Lorsqu’il nait, il y a rapidement une rupture avec la mère. Ainsi, nous visons une expérience nouvelle. La résurrection chrétienne, c’est faire l’expérience de devenir une nouvelle création dans le Christ. J’aime beaucoup cette pensée de Pascal : “Quelle raison ont-ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Qu'est-ce qui est le plus difficile, de naître ou de ressusciter, que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? (...) La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible : populaire façon de juger !” (Pascal, Pensées, 222-882). Son questionnement est intéressant : celui qui a créé le monde peut aussi nous re-créer !
B.V. – Thomas dit avoir touché concrètement à Jésus après sa mort. Cela pose un doute pour l’intelligence. Est-ce que vous êtes à l’aise avec cette affirmation ?
F.L. – Jésus lui dit : “Heureux ceux qui n’ont pas vu et qui ont cru.” Je crois fermement que nous sommes appelés à vivre cette béatitude des gens qui ne l’ont pas vu et qui sont appelés à la foi. Cependant, on peut penser que cette foi ne repose pas uniquement sur une réalité vraiment rationnelle ou logique parce que toute la spiritualité chrétienne nous invite à ressusciter chaque jour, à vivre la résurrection au quotidien.
Voici une autre image de la résurrection que j’aime beaucoup. À la fin d’une journée, parfois, il m’arrive d’être très fatigué. Je me couche et ne fais rien pendant huit heures. Le matin, je me réveille reposé. L’Écriture nous parle à plusieurs reprises de la résurrection comme d’un réveil.
B.V. – Peut-on faire ce parallèle avec la réalité de la résurrection du Christ qui est le fondement du christianisme ?
F. L. – Ces images sont des réalités qui peuvent nous aider à découvrir le mystère de la résurrection et à le vivre au présent. La grande question n’est pas seulement de la vie après la mort, mais de la vie avant la mort. Nous avons à nous soucier de la qualité de cette vie. C’est là que l’expérience chrétienne, quand elle est bien vécue, devient une expérience de vie. Tout le cheminement de la foi est un art de vivre. La résurrection, c’est l’expérimentation de la vie en abondance.
B. V. – Revenons à Thomas. Est-ce qu’il a vraiment touché le Christ en chair et en os ? Est-ce qu’il serait plus simple pour l’intelligence d’affirmer que c’était un corps métaphysique ?
F.L. – C’est le corps du Christ ressuscité.
B.V. – Comment décrire ce corps du Christ ressuscité ?
F.L. – C’est une réalité qui dépasse notre entendement. La résurrection n’est pas simplement, comme dans le cas de Lazare, un retour à la vie antérieure. Lazare a été réanimé. La résurrection est une nouvelle création. C’est une réalité nouvelle qui dépasse notre raisonnement humain.
B. V. – Est-ce que nous pourrions comparer la résurrection du Christ à une apparition ?
F.L. – Vous avez bien compris. C’est un phénomène mystique. Ce n’était plus le corps de chair du Seigneur. C’était son corps transformé, ressuscité. Sans vouloir amenuiser l’importance de la nécessité d’une compréhension rationnelle de ce phénomène, je pense que c’est une réalité qui se comprend surtout avec le cœur.
B.V. – Comment surmonter le doute ?
F.L. – Le récit de la rencontre du Christ avec les disciples d’Emmaüs vous donne la recette. Il faut commencer par se mettre en route. En marchant, Jésus se présente et engage un dialogue à l’aide des Écritures. La Parole de Dieu a le pouvoir d’animer ou de réanimer un élan en soi. Parfois, il faut juste une parole.
Les étapes de leur cheminement nous montrent que la première chose qui ressuscite, c’est le cœur : il s’ouvre à de nouvelles capacités. Une nouvelle espérance s’installe. L’amour qui renait nous amène à nous engager davantage au service des autres et à pardonner.
De plus, les jours saints que nous vivrons dans peu de temps (L’entrevue précède de peu la fête de Pâques) peuvent être une source pour retrouver l’élan. Par cette commémoration du passage de Jésus de l’épreuve à la mort et de la mort à la vie nouvelle, chacun célèbre ses vendredis saints et ses matins de Pâques,
B. V. – Qu’est-ce qu’il faut penser du doute ?
F.L. – Il est normal de douter et de passer par des périodes ténébreuses. Les plus grands saints sont passés par des périodes de grande obscurité. Ce sont des étapes charnières dans notre vie. Elles ne se traversent pas toujours avec l’avancée en âge.
B. V. – Avez-vous déjà connu de ces périodes de doutes ?
F.L. – (Silence. Il scrute du regard les yeux du journaliste. Il comprend que la question a pour principal but d’aider son interlocuteur à traverser ses propres doutes. D’une voix mi-éteinte, comme lorsqu’on confie un grand secret, il poursuit…) L’assassinat de mon ami Raoul Léger, avec qui j’ai travaillé au Guatemala, a engendré dans ma vie et dans ma foi une grande période d’obscurité. Ce fut une terrible épreuve pour moi. J’ai douté jusqu’à remettre en question mon apostolat.
Il y a quelques mois, lors de la présentation du nouveau film de l’ONF qui porte sur sa vie, j’ai vu un parallèle entre celle-ci et celle de Jésus. Raoul n’avait que 30 ans.
B. V. – Pourquoi avez-vous douté ?
F.L. – C’est toujours la question du pourquoi qui hante l’esprit, surtout lorsqu’on a l’impression d’avoir été fidèle à l’appel reçu et qu’on a donné le meilleur de soi-même. J’ai beaucoup questionné Dieu.
B. V. – Qu’est-ce que l’épreuve a transformé en vous ?
F. L. – L’expérience a été pour moi un tournant important. J’ai découvert une réalité nouvelle dans la spiritualité. Elle n’est pas une fuite, mais un au-delà. J’ai découvert une lumière dans ma nuit. C’est difficile à exprimer. C’est une expérience qui s’explique difficilement avec des mots. Si je n’avais pas vécu cet événement, mon cheminement n’aurait pas été le même. Après quelques pas dans la nuit, j’ai vu le soleil se lever. J’ai vécu l’expérience d’une vie nouvelle. La résurrection, c’est le soleil qui se lève après la nuit obscure.
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Ainsi donc, le concept de résurrection ne se comprend pas avec la logique de l’intelligence, mais avec le cœur. Les textes évangéliques ne sont pas des récits journalistiques, mais ils ont pour but d’aider à comprendre des réalités spirituelles et de donner du sens à la vie humaine.
Mgr François Lapierre m’invitait donc à ne pas regarder la résurrection comme étant seulement quelque chose qui se passe après la mort, mais plutôt comme une réalité qu’il est possible de vivre à même cette vie qui nous est prêtée.
D’ailleurs, la foi chrétienne nous invite à croire au-delà de tout entendement rationnel que la Vie est plus forte que la mort et toutes les petites morts que nous traversons au fil de ce pèlerinage sur cette terre. La foi est de croire que le trésor que nous cherchons est devant, à portée de soi. Comme il l’affirme : « La résurrection, c’est le soleil qui se lève après la nuit obscure. » De son côté, le frère Marie-Victorin écrivait un jour à Marcelle Gauvreau : « Il ne peut pas toujours faire noir […] La nuit appelle le soleil. »[2]
Je ne le savais pas à ce moment, mais ma réflexion ne faisait que commencer.
Une autre fois, lors d’une rencontre qui devait être un peu banale, des propos sont venus enrichir ceux de l’évêque maskoutain.
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soeur Nicole Fournier |
Après un long silence introspectif, elle me répond : « Qu’il faut avoir foi en la résurrection. Dans la lutte contre la pauvreté, je pense que si on a si peu de résultats, c’est que souvent on oublie que la personne est plus que ses carences. Elle a aussi une force qui habite dans son intériorité secrète. Je crois que c’est cela le grand message de l’Évangile. Il y a dans chaque personne un pouvoir de résurrection que l’Esprit peut réveiller, peut faire grandir. Il ne faut jamais perdre confiance en ce pouvoir de résurrection. Croire en quelqu’un, c’est le rendre capable de grandir. Si je ne crois pas que l’enfant puisse marcher, il ne prendra jamais le risque de se tenir debout et d’avancer ses jambes. Dans la vie, je pense que nous avons surtout besoin, au-delà de nourriture et d’argent, de quelqu’un qui croit en nous. » Et puis elle ajoutait : « Lorsque je prie, je rappelle à Dieu tous ces gens qui nous fréquentent. Je lui demande la force d’ouvrir en eux des portes et qu’il travaille sur les causes qui peuvent amener toutes ces personnes chez nous. Je lui demande aussi de faire grandir en eux la confiance en ce qu’ils sont. »
Il n’y a pas longtemps, je lisais le livre de l’archevêque de Montréal, Mgr Christian Lépine, “Créés pour être aimés”. Il écrit : « Nous pourrions penser que la vie éternelle, c’est ce qui nous attend à la fin de nos vies. Cela est vrai, mais Jésus nous dit aussi que la vie éternelle nous est offerte maintenant, pendant notre vie terrestre (Jn 6, 26-70). Nous serons pleinement transformés lorsque le royaume éternel sera achevé. Mais entre-temps Dieu est entièrement présent à chacun et à chacune d’entre nous dans un amour agissant où il nous donne déjà part à la vie éternelle. La vie éternelle est donc une question qui me concerne maintenant, quel que soit mon désir des choses concrètes, quels que soient mes besoins humains. Comme l’air que je respire, invisible et impalpable, la vie éternelle, que je ne vois pas et ne sens pas, manifeste sa dimension concrète dans l’existence propre qu’elle me permet d’avoir. »[4]
Pour le chrétien, l’existence qu’il vit sur cette terre est déjà une partie de l’éternité à laquelle il est appelé. La résurrection est déjà dans ce monde parce qu’il a dit oui à l’appel de Jésus de marcher à sa suite malgré les croix du quotidien, ces petits défis qui sont des petits « plus » dans sa marche vers le grand bonheur final.
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[1] Cf. Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp.153 à 163. Articles parus initialement dans la Revue Sainte Anne. https://benoitvoyerenliberte.blogspot.com/2024/06/francois-lapierre.html
[2] Lettres du frère Marie-Victorin à Marcelle Gauvreau, 29 avril 1939
[3] Cf. Benoit Voyer. « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp.165 à 169. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. https://benoitvoyerenliberte.blogspot.com/2024/06/il-etait-une-fois-dans-les-medias.html
[4] Christian Lépine. Créés pour êtres aimés, Médiaspaul, 2012, p. 37.