Lettre du Jour de l’An 1937 du frère Marie-Victorin à Marcelle Gauvreau


Ma chère amie,

Vous êtes ma fille chérie, non pas parce que j’ai injustement reporté sur vous ce que je devais aux autres ou à tous, mais parce que vous m’avez choisi comme ami et père, en acceptant toutes les implications que cela comporte. Vous m’avez accepté tel que je suis, avec les faiblesses qui ne peuvent échapper à votre perspicacité féminine, vous avez épousé pleinement ma pensée, ma manière de penser, mes idéals, mes ambitions les plus fortes. Vous êtes devenue, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire pour votre consolation, mon soutien moral en certaines circonstances, le petit bras de chair sur lequel chacun a besoin de s'appuyer, aux heures noires.

Vous êtes entrée dans ma vie – donnez à cette expression qui est très juste la signification la plus noble et la plus pure – a un moment ou mon milieu me desséchait quelque peu, ou on opposait sans cesse à ma conception d’une science sans cesse en communion avec le beau et la poésie la froide conception d’une technicité morte. Vous êtes venue comme un rayon de soleil. Il y avait quelqu’un désormais que mes accents les plus convaincus, au lieu de faire sourire, faisaient vibrer sur la même note, et à partir de ce moment, je suis devenu plus créateur. De vous savoir la, votre petit cœur battant des mêmes ardeurs et des mêmes convictions, cela me donnait du courage, et j’ai marché plus droit, et j’ai marché autrement. Ma chère amie, je sais que je ne puis pas vous faire un plus beau cadeau de Noel que de vous dire cela, qui est d’ailleurs la pure vérité. Dieu, par vous, a mis sur mon chemin une de ces femmes capables d’élever un homme très haut. Ici cet homme était avancé dans la vie. Et c’était un religieux. Étrange murmure en vérité! Mais, chère Marcelle, vous avez été cela. Restez cela. Soyez toujours cela. [...]

Vous avez raison de penser qu’il peut exister entre un homme et une femme une amitié très grande, et sans arrière-pensée, une union absolue des âmes, sans un mensonge et sans une réticence, qui élève au-dessus des choses matérielles et rapproche de la divinité. L’histoire nous en montre quelques-unes entre saints et saintes (saint François et sainte Claire), entre grandes âmes, entre hommes et femmes d’action. Mais combien il y a eu de ces amitiés qui ne firent pas de bruit littéraire, et qui n’en furent que plus véritables. Combien de fois devant l’oeuvre splendide d’un homme a-t-on oublié la grande âme de femme qui l’inspirait! Ces femmes ne furent pas toujours des épouses. Elles furent souvent des amies. [...]

Il se trouve que nos deux âmes rendent le même son, que nous regardons la vie et la vie avec les mêmes yeux d’enfants. Il se trouve que l’idée religieuse parle à nos âmes de la même façon, parce que nous avons grandi dans des familles de vieux christianisme patriarcal. [...]

C’est une lettre du jour de l’An que je voulais vous écrire, ma chère fille, et je bavarde inconsidérablement [...]

Tout le beau et tout le bien pour votre famille, pour votre papa que vous adorez [...]

Et puis je redis avec vous: “Et que ce Nouvel An nous garde unis dans le Christ pour notre plus grand bien et celui d’autrui”.

Tout vôtre dans le Christ.

Frère Marie-Victorin
29 décembre 1936