PAROLE ET VIE animée par Roland Leclerc No 12 (1993)
Émission de télévision Parole et Vie animée par Roland Leclerc No 12 (1993)
Au programme:
1- La chronique biblique de Bertrand Ouellet: Le livre d'Amos;
2-Suzane Cousineau, responsable de paroisse dans le diocèse de Saint-Jérôme;
3- Le courrier de l'évêque: Mgr Maurice Couture: La résignation chrétienne devant le mal;
4-Pèlerinage a l'Oratoire Saint-Joseph, a Montréal, par la communauté italienne;
5- Les moines cisterciens de Rougemont chantent;
6- Le père Benoit Lacroix (Joachim Lacroix de son vrai nom) parle du servant de messe;
7-Johanne Boisvert du diocèse catholique de Saint-Hyacinthe parle d'un guide produit pour l'Année internationale de la famille;
8- La chronique Pour une foi qu'on se parle animée par Yvon Cousineau. Une table ronde avec 6 jeunes: Est ce que les jeunes ont du coeur?
9- Chronique Sur les rayons avec Christiane Gagnon: Proposition de quelques livres.
10-Thérèse Miron livre une réflexion: Dieu et l'argent;
11- Le comédienne Mireille Thibault lit un extrait de la bible.
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Tiré de: P049 Parole et Vie Ep 12 (Fonds Benoit Voyer)
Société d'histoire de la Haute-Yamaska, a Granby
LE PRÉSENT DU PASSÉ: Le plus fort c'est mon père
Rachel et Jérôme Saint-Pierre
Jérome Saint-Pierre et Rachel Saint-Pierre (née Rainville) ont bien fait marcher la machine à rumeurs depuis 5 ans : une coquette fille de 25 ans fréquente un beau prêtre moustachu à l'aube de la cinquantaine ... Ils ne cachent point leur tendresse et l'amour qu'ils se portent l'un pour l'autre. Lorsqu'ils se retrouvent ensemble, leurs yeux brillent d'une joie sans faille. Il l'a confirmée dans sa féminité. Elle lui a permis d'être l'homme profondément humain et le religieux qu'il est devenu. Ce qu'ils vivent est très touchant.
Il n'est pas son amant. Elle n'est pas sa maîtresse. En réalité, il est son père. Il l'est devenu, il y a quelques mois, après plusieurs années de rencontres et de démarches personnelles, religieuses et civiles. Chez les Oblats de Marie-Immaculée, il est un pionnier au chapitre de l'adoption pour cause psychologique. Il y a bien eu quelques cas pour des motifs humanitaires, mais jamais pour aider une personne à guérir de certaines difficultés affectives, émotives et intérieures. Ils sont également des défricheurs sur le plan légal puisque les lois ne disent rien à ce sujet. C'est le vide. Pour leur avocate, Louise Richard de Montréal, puisque la loi ne dit rien, elle le permet. Leur expérience est unique
Un beau soir de novembre 1993, Rachel Rainville rencontre le père Jérome Saint-Pierre au Café Chrétien Centre-Sud où elle s'implique depuis 2 ans et où il travaille depuis 15 ans. Elle lui demande carrément : « Veux-tu être mon père ? » Il répond tout de go « non ». Il prétexte être trop occupé, ne pas avoir le temps à consacrer à développer une telle relation et en avoir trop à faire au « café ».
Cependant, il en parle à son directeur de conscience et à des confrères de sa communauté. Il finit par réviser sa position auprès de la jeune femme.
« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. S'avançant vers le premier, il lui dit : " Mon enfant, va donc aujourd'hui travailler à la vigne ". Celui-ci lui répondit : " Je ne veux pas ". Un peu plus tard, s'étant repenti, il y alla. S'avançant vers le second, il lui dit la même chose. Celui-ci répondit : " J'y vais, Seigneur "; mais il n'y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté de mon Père? » (Mt 21, 28-30)
Le père Saint-Pierre explique sa réaction : « C'était très compliqué à cause de mon fonctionnement au Café Chrétien. J'étais totalement donné à l'œuvre. Je travaillais de 100 à 110 heures par semaine ! Ce n'était donc pas facile de prendre une partie de mon attention juste pour elle. Pendant de nombreux mois, j'ai été obligé de la rencontrer à la maison des Oblats (Saint-Pierre-Apôtre), en secret, une heure par semaine, le jeudi de 16 à 17 heures. Cela a causé de nombreuses tensions. J'avais de la difficulté à faire faire la besogne, car j'avais de la misère à m'imposer ».
C'est de 18 à 25 ans que Rachel Rainville prend conscience du grand vide affectif laissé par l'absence de son père parti alors qu'elle était en bas âge et qui s'est fait peu présent au fil des années. Cette paternité absente a créé en elle de graves problèmes d'anxiété, des périodes de dépression et une recherche permanente de confirmation de sa féminité (par l'admiration, le réconfort, l'affection, l'intérêt pour elle, etc.). Depuis un an, Rachel Saint-Pierre ne fait plus de crises d'anxiété. Sa relation avec son père adoptif a grandement contribué à sa guérison
Adoption
Les démarches d'adoption se sont réalisées sur un an et demi. Le plus gros problème à surmonter a été l'acceptation de la démarche par les supérieurs du père Jérôme Saint-Pierre qui - au moment de son adhésion à la congrégation religieuse - a fait le vœu d'obéissance.
De rencontre en rencontre (une dizaine), la direction de la communauté n'arrivait pas à dire un « non » définitif à la demande. Les Oblats de Marie-Immaculée étaient devant une patate chaude. Les expériences vécues par sa communauté n'ont jamais été très positives : Des Vietnamiens, un Amérindien et bien des histoires d'immigration. Mais le « cas Saint-Pierre » était bien différent puisqu'il invoquait une raison encore jamais invoquée
Après de long mois de démarches, le supérieur provincial finit par informer le père Jérôme de sa décision. Le religieux ne tarde pas à téléphoner à Rachel pour l'informer : « J'espère que tu ne seras pas trop déçue, il n'y a rien à faire c'est non ». Sans tarder et sans lui demander la permission, elle téléphone au supérieur et demande une rencontre le même jour.
« J'y suis allée aussi, pour qu'il me connaisse, me présenter. Le supérieur comprenait mon point de vue, mais sur le plan légal, il ne voyait pas l'utilité. Je lui ai expliqué que nous vivons en société et qu'il est important de reconnaître les liens entre les personnes, au même titre qu'un homme et une femme qui se marient », se souvient la femme aux yeux bleus.
Elle a provoqué le supérieur en disant : « Vous dites que vous vous engagez, mais êtes-vous vraiment prêt à prendre un engagement ? » Finalement, la décision a été renversée.
« J'ai appelé le barreau de Montréal pour être référée à une avocate. Louise Richard m'a dit : " Je vérifie dans mes livres et si rien ne l'interdit, tout est possible ". Elle a finalement fait une bonne requête en 25 points. Ma mère m'a appuyée à cette étape du processus puisque jusqu'à ce moment, elle croyait plus ou moins au sérieux de ma démarche », dit-elle.
Le père adoptif rencontre le père biologique
Un beau jour, il emmène Rachel rencontrer son père biologique à Saint-Thomas-d'Aquin où il demeure. C'était sa façon bien à lui d'avoir une autre version des propos de sa future fille au sujet du père à remplacer.
« Je l'ai emmenée de force ! Elle ne voulait pas venir ! J'ai vraiment vu qu'il n'y avait aucune relation entre les deux. Il ne lui a même pas demandé si elle allait bien. Il y avait 4 ans qu'il ne l'avait pas vue ! Il lui a simplement dit "bonjour " !
Au long de notre rencontre, il a surtout parlé avec moi. Elle séchait dans son coin. J'ai essayé de détourner un peu l'attention, mais il ne s'intéressait vraiment pas à elle. Je voyais bien que les liens étaient coupés. Il l'a invitée à rester pour la nuit. Le lendemain, il est venu la conduire à Montréal. Sans tarder, elle m'a téléphoné. Elle pleurait à chaudes larmes : " C'est toi mon papa ! C'est toi mon papa ! " Pour moi, ça a été important cet événement-là. C'est ce jour -à que je me suis "branché "», raconte Jérôme Saint-Pierre, la voix pleine d'émotions comme si ce souvenir venait à peine de se produire.
« J'ai réalisé que cet homme n'avait pas été présent et que je ne le voulais pas dans ma vie. Notre rencontre ne s'est pas mal déroulée, mais notre relation ne voulait plus rien dire pour moi », insiste-t-elle.
Lorsque son père biologique a reçu la requête de la cour, il n'a même pas bronché. Il avait 20 jours pour réagir et contrer le projet d'adoption en disant : « C'est moi son père et je refuse qu'elle soit adoptée ! » Il n'a jamais donné de nouvelles.
« J'ai un frère plus jeune que moi qui est encore en lien avec lui. Il a voulu lui en parler. Il lui a simplement répondu sur le ton de la fermeture : " Je ne veux plus entendre parler de ça ! " »
Depuis 2 ans, Rachel Rainville porte légalement le nom de Rachel Saint-Pierre. Elle a été obligée de changer son nom parce qu'elle n'a plus de liens légaux avec son père biologique. Cependant, elle aurait pu porter un nom composé de celui du religieux et de sa mère, mais le résultat fait un peu trop humoriste à son goût : « Rachel Paradis-Saint-Pierre ». L'idée a vite été oubliée.
Un prêtre transformé
Se sentant un peu au-dessus des choses parce qu'il est prêtre, il a fait – au départ - la démarche pour lui venir en aide. Il trouvait que ses raisons étaient sérieuses et réfléchies. Il se donnait un peu la mission d'un sauveur. Il a vite constaté que ses partages avec Rachel étaient enrichissants pour lui-même.
Au fil des rencontres, il a reçu une véritable « grâce de révélation ». Il a rapidement constaté que sa manière de faire son travail apostolique « n'avait pas d'allure ». La présence de cette femme lui a permis de s'objectiver face à son vécu. « Sans le savoir, elle m'a forcé à prendre un recul face à ce que je faisais au "café " et à me resituer. Il faut que je l'avoue, elle m'a grandement aidé sur le plan affectif », confesse le prêtre de la rue
L'évangélisateur a vite été évangélisé. Elle lui a fait comprendre - par ses multiples propos - le grand désengagement des membres du clergé face aux personnes. Lorsqu'elles commencent à s'attacher, ils partent pour d'autres missions. De plus, le discours du monde clérical est souvent anti-évangélique : « On appartient au Christ, donc il ne faut pas trop s'attacher aux personnes et aux choses ». « Ha ! Telle personne est collante, je ne veux plus la voir ! Telle autre personne me fatigue ! » et « Ça fait deux fois qu'elle me téléphone aujourd'hui ! » C'est du désengagement pur et simple. Pour faire une véritable pastorale d'évangélisation, il faut savoir se donner entièrement aux autres, aux personnes.
Le Père et le père
L'enfant dit de son Père : « Est-ce que je vaux quelque chose ? " Pour moi, la question élémentaire c'est la valeur de la personne. La mère ne peut pas pleinement répondre à cette question. Seul le père peut le faire. C'est pour cela que le phénomène des pères qui abandonnent leurs enfants est très problématique. L'abandon dit à l'enfant : Je ne veux rien savoir de toi. L'exemple de l'expérience de Rachel est frappant : à deux ans et demi, elle se retrouve à l'hôpital, car elle ne veut plus vivre. À trois ans et demi, elle repousse les gens. C'est sa façon de rejeter l'amour, car elle ne se sent rien au fond d'elle. Le père confirme comme Dieu le Père confirme. D'ailleurs Jésus parle en ces mots : il dit toujours que le Père confirme ce qu'il dit et ce qu'il fait. Le père donne la vie de façon bien différente de la mère. Sa façon de faire est vitale, surtout pour la petite fille », explique Jérôme Saint-Pierre.
« Un père c'est quelqu'un qui m'appuie et qui m'aime comme je suis inconditionnellement. Je me sens moins enfant qu'avant. Je me sentais toujours comme une petite fille en moi. Je ne me sentais jamais adulte. Depuis que j'ai un père, je sens que je peux devenir adulte. Je me sens plus sécurisée et plus femme. Je remarque que les femmes qui ont eu des pères très présents, sont des femmes fortes et savent où elles vont dans la vie », conclut Rachel Saint-Pierre.
Les rumeurs ne courent plus. Tout est maintenant clarifié sur leur vie intime et émotive. Son amour pour elle est d'ordre filial. Rachel Saint-Pierre est la fille du père Jérôme Saint-Pierre. Il est très fier d'elle. Lorsqu'il parle de « sa » Rachel, une flamme de tendresse allume son visage. De son côté, elle voue une admiration sans limite à son nouveau papa. C'est lui qui l'a vraiment fait naître à la vie. Elle est heureuse de dire à tous, comme une gamine : Le plus fort c'est mon père!
Benoît Voyer
Le plus fort c'est mon père
Jérome Saint-Pierre et Rachel Saint-Pierre (née Rainville) ont bien fait marcher la machine à rumeurs depuis 5 ans : une coquette fille de 25 ans fréquente un beau prêtre moustachu à l'aube de la cinquantaine ... Ils ne cachent point leur tendresse et l'amour qu'ils se portent l'un pour l'autre. Lorsqu'ils se retrouvent ensemble, leurs yeux brillent d'une joie sans faille. Il l'a confirmée dans sa féminité. Elle lui a permis d'être l'homme profondément humain et le religieux qu'il est devenu. Ce qu'ils vivent est très touchant.
Il n'est pas son amant. Elle n'est pas sa maîtresse. En réalité, il est son père. Il l'est devenu, il y a quelques mois, après plusieurs années de rencontres et de démarches personnelles, religieuses et civiles. Chez les Oblats de Marie-Immaculée, il est un pionnier au chapitre de l'adoption pour cause psychologique. Il y a bien eu quelques cas pour des motifs humanitaires, mais jamais pour aider une personne à guérir de certaines difficultés affectives, émotives et intérieures. Ils sont également des défricheurs sur le plan légal puisque les lois ne disent rien à ce sujet. C'est le vide. Pour leur avocate, Louise Richard de Montréal, puisque la loi ne dit rien, elle le permet. Leur expérience est unique
Un beau soir de novembre 1993, Rachel Rainville rencontre le père Jérome Saint-Pierre au Café Chrétien Centre-Sud où elle s'implique depuis 2 ans et où il travaille depuis 15 ans. Elle lui demande carrément : « Veux-tu être mon père ? » Il répond tout de go « non ». Il prétexte être trop occupé, ne pas avoir le temps à consacrer à développer une telle relation et en avoir trop à faire au « café ».
Cependant, il en parle à son directeur de conscience et à des confrères de sa communauté. Il finit par réviser sa position auprès de la jeune femme.
« Quel est votre avis ? Un homme avait deux fils. S'avançant vers le premier, il lui dit : " Mon enfant, va donc aujourd'hui travailler à la vigne ". Celui-ci lui répondit : " Je ne veux pas ". Un peu plus tard, s'étant repenti, il y alla. S'avançant vers le second, il lui dit la même chose. Celui-ci répondit : " J'y vais, Seigneur "; mais il n'y alla pas. Lequel des deux a fait la volonté de mon Père? » (Mt 21, 28-30)
Le père Saint-Pierre explique sa réaction : « C'était très compliqué à cause de mon fonctionnement au Café Chrétien. J'étais totalement donné à l'œuvre. Je travaillais de 100 à 110 heures par semaine ! Ce n'était donc pas facile de prendre une partie de mon attention juste pour elle. Pendant de nombreux mois, j'ai été obligé de la rencontrer à la maison des Oblats (Saint-Pierre-Apôtre), en secret, une heure par semaine, le jeudi de 16 à 17 heures. Cela a causé de nombreuses tensions. J'avais de la difficulté à faire faire la besogne, car j'avais de la misère à m'imposer ».
C'est de 18 à 25 ans que Rachel Rainville prend conscience du grand vide affectif laissé par l'absence de son père parti alors qu'elle était en bas âge et qui s'est fait peu présent au fil des années. Cette paternité absente a créé en elle de graves problèmes d'anxiété, des périodes de dépression et une recherche permanente de confirmation de sa féminité (par l'admiration, le réconfort, l'affection, l'intérêt pour elle, etc.). Depuis un an, Rachel Saint-Pierre ne fait plus de crises d'anxiété. Sa relation avec son père adoptif a grandement contribué à sa guérison
Adoption
Les démarches d'adoption se sont réalisées sur un an et demi. Le plus gros problème à surmonter a été l'acceptation de la démarche par les supérieurs du père Jérôme Saint-Pierre qui - au moment de son adhésion à la congrégation religieuse - a fait le vœu d'obéissance.
De rencontre en rencontre (une dizaine), la direction de la communauté n'arrivait pas à dire un « non » définitif à la demande. Les Oblats de Marie-Immaculée étaient devant une patate chaude. Les expériences vécues par sa communauté n'ont jamais été très positives : Des Vietnamiens, un Amérindien et bien des histoires d'immigration. Mais le « cas Saint-Pierre » était bien différent puisqu'il invoquait une raison encore jamais invoquée
Après de long mois de démarches, le supérieur provincial finit par informer le père Jérôme de sa décision. Le religieux ne tarde pas à téléphoner à Rachel pour l'informer : « J'espère que tu ne seras pas trop déçue, il n'y a rien à faire c'est non ». Sans tarder et sans lui demander la permission, elle téléphone au supérieur et demande une rencontre le même jour.
« J'y suis allée aussi, pour qu'il me connaisse, me présenter. Le supérieur comprenait mon point de vue, mais sur le plan légal, il ne voyait pas l'utilité. Je lui ai expliqué que nous vivons en société et qu'il est important de reconnaître les liens entre les personnes, au même titre qu'un homme et une femme qui se marient », se souvient la femme aux yeux bleus.
Elle a provoqué le supérieur en disant : « Vous dites que vous vous engagez, mais êtes-vous vraiment prêt à prendre un engagement ? » Finalement, la décision a été renversée.
« J'ai appelé le barreau de Montréal pour être référée à une avocate. Louise Richard m'a dit : " Je vérifie dans mes livres et si rien ne l'interdit, tout est possible ". Elle a finalement fait une bonne requête en 25 points. Ma mère m'a appuyée à cette étape du processus puisque jusqu'à ce moment, elle croyait plus ou moins au sérieux de ma démarche », dit-elle.
Le père adoptif rencontre le père biologique
Un beau jour, il emmène Rachel rencontrer son père biologique à Saint-Thomas-d'Aquin où il demeure. C'était sa façon bien à lui d'avoir une autre version des propos de sa future fille au sujet du père à remplacer.
« Je l'ai emmenée de force ! Elle ne voulait pas venir ! J'ai vraiment vu qu'il n'y avait aucune relation entre les deux. Il ne lui a même pas demandé si elle allait bien. Il y avait 4 ans qu'il ne l'avait pas vue ! Il lui a simplement dit "bonjour " !
Au long de notre rencontre, il a surtout parlé avec moi. Elle séchait dans son coin. J'ai essayé de détourner un peu l'attention, mais il ne s'intéressait vraiment pas à elle. Je voyais bien que les liens étaient coupés. Il l'a invitée à rester pour la nuit. Le lendemain, il est venu la conduire à Montréal. Sans tarder, elle m'a téléphoné. Elle pleurait à chaudes larmes : " C'est toi mon papa ! C'est toi mon papa ! " Pour moi, ça a été important cet événement-là. C'est ce jour -à que je me suis "branché "», raconte Jérôme Saint-Pierre, la voix pleine d'émotions comme si ce souvenir venait à peine de se produire.
« J'ai réalisé que cet homme n'avait pas été présent et que je ne le voulais pas dans ma vie. Notre rencontre ne s'est pas mal déroulée, mais notre relation ne voulait plus rien dire pour moi », insiste-t-elle.
Lorsque son père biologique a reçu la requête de la cour, il n'a même pas bronché. Il avait 20 jours pour réagir et contrer le projet d'adoption en disant : « C'est moi son père et je refuse qu'elle soit adoptée ! » Il n'a jamais donné de nouvelles.
« J'ai un frère plus jeune que moi qui est encore en lien avec lui. Il a voulu lui en parler. Il lui a simplement répondu sur le ton de la fermeture : " Je ne veux plus entendre parler de ça ! " »
Depuis 2 ans, Rachel Rainville porte légalement le nom de Rachel Saint-Pierre. Elle a été obligée de changer son nom parce qu'elle n'a plus de liens légaux avec son père biologique. Cependant, elle aurait pu porter un nom composé de celui du religieux et de sa mère, mais le résultat fait un peu trop humoriste à son goût : « Rachel Paradis-Saint-Pierre ». L'idée a vite été oubliée.
Un prêtre transformé
Se sentant un peu au-dessus des choses parce qu'il est prêtre, il a fait – au départ - la démarche pour lui venir en aide. Il trouvait que ses raisons étaient sérieuses et réfléchies. Il se donnait un peu la mission d'un sauveur. Il a vite constaté que ses partages avec Rachel étaient enrichissants pour lui-même.
Au fil des rencontres, il a reçu une véritable « grâce de révélation ». Il a rapidement constaté que sa manière de faire son travail apostolique « n'avait pas d'allure ». La présence de cette femme lui a permis de s'objectiver face à son vécu. « Sans le savoir, elle m'a forcé à prendre un recul face à ce que je faisais au "café " et à me resituer. Il faut que je l'avoue, elle m'a grandement aidé sur le plan affectif », confesse le prêtre de la rue
L'évangélisateur a vite été évangélisé. Elle lui a fait comprendre - par ses multiples propos - le grand désengagement des membres du clergé face aux personnes. Lorsqu'elles commencent à s'attacher, ils partent pour d'autres missions. De plus, le discours du monde clérical est souvent anti-évangélique : « On appartient au Christ, donc il ne faut pas trop s'attacher aux personnes et aux choses ». « Ha ! Telle personne est collante, je ne veux plus la voir ! Telle autre personne me fatigue ! » et « Ça fait deux fois qu'elle me téléphone aujourd'hui ! » C'est du désengagement pur et simple. Pour faire une véritable pastorale d'évangélisation, il faut savoir se donner entièrement aux autres, aux personnes.
Le Père et le père
L'enfant dit de son Père : « Est-ce que je vaux quelque chose ? " Pour moi, la question élémentaire c'est la valeur de la personne. La mère ne peut pas pleinement répondre à cette question. Seul le père peut le faire. C'est pour cela que le phénomène des pères qui abandonnent leurs enfants est très problématique. L'abandon dit à l'enfant : Je ne veux rien savoir de toi. L'exemple de l'expérience de Rachel est frappant : à deux ans et demi, elle se retrouve à l'hôpital, car elle ne veut plus vivre. À trois ans et demi, elle repousse les gens. C'est sa façon de rejeter l'amour, car elle ne se sent rien au fond d'elle. Le père confirme comme Dieu le Père confirme. D'ailleurs Jésus parle en ces mots : il dit toujours que le Père confirme ce qu'il dit et ce qu'il fait. Le père donne la vie de façon bien différente de la mère. Sa façon de faire est vitale, surtout pour la petite fille », explique Jérôme Saint-Pierre.
« Un père c'est quelqu'un qui m'appuie et qui m'aime comme je suis inconditionnellement. Je me sens moins enfant qu'avant. Je me sentais toujours comme une petite fille en moi. Je ne me sentais jamais adulte. Depuis que j'ai un père, je sens que je peux devenir adulte. Je me sens plus sécurisée et plus femme. Je remarque que les femmes qui ont eu des pères très présents, sont des femmes fortes et savent où elles vont dans la vie », conclut Rachel Saint-Pierre.
Les rumeurs ne courent plus. Tout est maintenant clarifié sur leur vie intime et émotive. Son amour pour elle est d'ordre filial. Rachel Saint-Pierre est la fille du père Jérôme Saint-Pierre. Il est très fier d'elle. Lorsqu'il parle de « sa » Rachel, une flamme de tendresse allume son visage. De son côté, elle voue une admiration sans limite à son nouveau papa. C'est lui qui l'a vraiment fait naître à la vie. Elle est heureuse de dire à tous, comme une gamine : Le plus fort c'est mon père!
Benoît Voyer
(Revue Sainte Anne, octobre 1998, pages 396 à 398)
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