MON HISTOIRE: Gaston m’a un peu sauvé la vie
Par Benoit Voyer
19 décembre 2025
L’hiver et le printemps de l’an 2000 ne sont pas faciles pour moi. Je traverse une sérieuse crise à l’intérieur de moi. Ma santé mentale est touchée. Se cumulent une perte d’emplois, un divorce, des sérieux problèmes monétaires et avec la garde de mes enfants et le suicide de mon ami Gaetan [1] me hantent. D’ailleurs, puisque je travaille près de là, plusieurs fois par semaine, je me rends devant sa pierre tombale au cimetière Mgr Pelletier. J’aimerais lui parler comme je le faisais avant. Il était toujours content de me parler lorsque je l’appelais. Il me manque beaucoup !
Depuis l’âge de 11 ans, j’ai des périodes où je suis envahi par de fortes idéations suicidaires. Ça arrive et ça repart comme dans un cycle menstruel [2].
Autour de Pâques, mon plan pour en finir une fois pour toutes est défini. Il ne me reste plus que la date à fixer. Je me disais que je fixerai ce moment le jour même, à mon réveil. La méthode utilisée par Roger [3], un autre vieil ami qui s’est suicidé, m’apparait la meilleure pour moi : de la vitesse excessive en automobile sur l’autoroute et je frappe une grosse remorque ou le mur d’un viaduc. Et personne n’aura de signes précurseurs de mon geste.
Dans mes contrats, il me reste ma collaboration avec la Revue Sainte Anne. La direction me laisse carte blanche. Ainsi donc, je peux écrire à partir de questions que je me pose et avec l’angle que je souhaite ou simplement par désir de rencontrer une personne sans plan précis en me disant « on verra ce que ça va donner ». D’ailleurs c’est avec le magnétophone ouvert et sans plan précis que j’ai réalisé mes reportages les plus touchants. J’ai toujours grandement apprécié cette liberté.
C’est ainsi qu'en feuilletant l’annuaire de l’Union des artistes, je suis tombé sur le nom et le numéro de téléphone de l’animateur et journaliste Gaston L’Heureux. Sans hésiter, par instinct, j’ai signalé son numéro.
Nous nous sommes rencontrés quelques jours plus tard au Café Cherrier, à quelques pas du Carré Saint-Louis.
Mon « feeling » était bon. En lui serrant la main, la chimie était au rendez-vous. C’était comme deux vieux amis qui ne s’étaient pas vus depuis quelques semaines. Il s’assoit devant moi et demande au serveur un café. Sans tarder, je démarre le magnétophone. Et hop : « Et puis comment ça va Gaston ? Quoi de neuf ? ». Ainsi débutait une conversation qui durera près de quatre heures, dont une seule pour le besoin du magazine.
Rapidement, il est question du sens de la vie. Il me confie : « Tu sais, j'ai failli m'enlever la vie par désespoir » […]. « Je me suis accroché en pensant à ceux que je laisserais. De plus, je me suis demandé si j'avais tout fait pour être heureux. Alors que je ne voyais plus la lumière au fond de mon tunnel, je me suis accroché à ce que d'autres personnes ont déjà vécu. Vouloir m'enlever la vie aurait été un geste d'égoïsme. »[4]
J’attrape la balle au vol et je la relance sans tarder : « Mais, Gaston, pourquoi vis-tu ? Tu as des raisons de vivre ? » Il est perspicace. Il comprend que derrière ma question se cachent les mots : « Au fond, donne-moi donc des bonnes raisons pour vivre parce que moi j’en ai plus. »
Il me répond : « Parce que chaque jour est complètement différent. J'ai vu des gens dans le plus grand désespoir. J'en ai vécu de grands ! Je m'accroche parce que j'ai vu trop de situations changer. Tu sais, quand tu t'en vas en mer, il y a une tempête. Crac ! Ton mât est arraché. Tout à coup ! Hop ! C'est le calme… et puis tout continue comme si rien ne s'était passé. La sensation qui vient après l'épreuve ne s'explique pas », pense-t-il à haute voix.
Est-il possible de porter le nom de L'Heureux et de se sentir malheureux ? L'idée me fait sourire et je n'hésite pas à lui exprimer.
Mon badinage l’amuse. Il me répond tout de go : « Attention mon cher ! Je ne suis pas malheureux ! Mais je ne suis pas un optimiste. Je suis un inquiet. Je n'ai jamais la certitude des choses – du moins de ce qui est essentiel. Je suis un perfectionniste.
Pour lui, ce qui est important dans la vie c'est d'être pleinement humain : « Je pense que chaque vie est un roman. C'est comme les empreintes digitales : elles sont toutes différentes ! Tu sais, comme dans les romans, il y a des vies plates, drôles, trépidantes, compliquées, optimistes, pessimistes et aussi, il y a des vies d'amertume. Les humains sont à la fois les plus exaltants et les plus décevants. »
Ce jour-là, la présence de Gaston a été d’un grand soutien. Sans trop le savoir, Gaston L’Heureux m’a redonné un peu d’espoir et de la matière pour réfléchir. Ses propos reviendront dans ma mémoire le matin du jour qui aurait pu être le dernier : J’ai pensé à ceux que j’aime. Ce jour-là, stationné devant la tombe de Gaétan, assis dans mon automobile, je reverrai dans ma tête les petits visages de mes enfants et ceux des filles de mon ami. J’ai éclaté en sanglots : « Je ne peux pas faire à mes enfants ce que Gaetan a fait. Si je pars, je veux qu’ils m’oublient, mais ce sera le contraire qui arrivera. De plus, aux jours sombres, ils voudront peut-être faire ce que je m’apprête à faire. Non ! Non ! Je ne veux pas ça pour eux ! » J’ai compris ce que Gaston me disait : « Tu sais, vouloir m'enlever la vie aurait été un geste d'égoïsme. »
Quelques minutes avant de nous quitter, Gaston m'a dit : « Qu'importe l'heure, si tu vis un moment sombre, n'hésite pas à me téléphoner ! » Heureusement, je n'ai pas eu besoin de le faire, mais j'ai grandement apprécié sa disponibilité. C'est ce que j'appelle vivre à plein son humanité en étant un don de soi pour les autres.
Jusqu’à mon dernier souffle, je me souviendrai de Gaston L’Heureux. C’était vraiment un bon gars.
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[1] Il s’agit du journaliste Gaetan Girouard.
[2] A l’aube de la quarantaine, grâce a l’écoute, aux traitements médicaux et aux conseils du Dr Pierre Lizotte, je suis sorti de ce qui était dans la réalité une dépression juvénile non résolue. Par la suite, je n’aurai plus jamais d’idéations suicidaires.
[3] Il s’agit de Roger Paré, député de Shefford.
[4] Cf. Benoit Voyer. « Gaston L'Heureux - « J'ai failli m'enlever la vie ... » », Revue Sainte Anne, octobre 2000, page 391. https://benoitvoyerenliberte.blogspot.com/2026/01/le-present-du-passe-gaston-lheureux.html
AU COEUR DE LA PAROLE: 4e dimanche de l'avent B
20231222 AU COEUR DE LA PAROLE - 4e dimanche de l'avent B
LE PRÉSENT DU PASSÉ: Jean-Guy Dubuc
Benoît Voyer, journaliste
« Tant que je suis utile, j'ai une raison de vivre. Un prêtre qui n'est pas utile, ne peut pas vivre. Tant qu'il est utile, il a un sens à sa vie ... », dit Jean-Guy Dubuc Cet homme que peu de gens soupçonnent être prêtre catholique travaille depuis 40 ans à diffuser l'Évangile ... à sa façon.
Né en 1934, à Montréal, il est devenu prêtre, en 1958, parce qu'il voulait être au service des autres. Ce n'est que dans la vie religieuse qu'il pouvait pleinement réaliser cette aspiration profonde, inscrite au fond de son âme. « Je voudrais mourir 5 minutes après que je ne serai plus utile », lance-t-il spontanément.
Le fils de Juliette Martel et de Eugène Dubuc, originaires de la banlieue montréalaise, est un jeune d'une intelligence au-dessus de la moyenne. C'est à l'école Plessis, institution scolaire dirigée par les Frères des écoles chrétiennes que débute sa longue montée.
«Mon frère est allé à la même école. Il a continué jusqu'en 9e année. Parce qu'il était premier de classe, il a obtenu une bourse pour aller étudier à Mont Saint-Louis. J'ai décidé que je ferais la même chose parce que j'étais premier de classe à tous les mois et à toutes les années. À la fin de la 6e année, j'ai dit à mon père: « Je ne veux pas aller à Mont Saint-Louis! » « Pourquoi? », répondit-il. "Parce que je veux devenir prêtre!" raconte le futur éditorialiste en chef du journal La Presse et président-éditeur des quotidiens La Voix de l'Est et La Tribune
Il poursuit: « Il voulait que j'aille étudier chez les Sulpiciens au Collège Mont-Royal parce qu'il avait lui-même étudié là. Je ne voulais pas aller à cet endroit parce que des gars que je connaissais allait là. Je n'aimais pas leurs styles. Cela ne convenait pas à mon image(!). Alors, il a trouvé le Collège Grasset, sur le boulevard Décarie, donc très loin pour moi qui habitait sur la rue Sherbrooke, près du parc Lafontaine ».
Jean-Guy Dubuc était vraiment décidé et motivé. Tôt le matin, il faisait 45 minutes de tramway et vice-versa à la fin des cours. Ceux-ci débutaient à 8h15 et finissaient à 18h, presque 7 jours par semaine. Les élèves de ce collège étaient en congé les mardi et jeudi après-midi, le samedi, ils finissaient à 18h, et le dimanche, ils besognaient de 8h30 à midi. Il garde de très beaux souvenirs de cette époque.
Il vit au sein d'une famille unie où tout concourt au développement intellectuel. Son père était professeur à l'élémentaire et maître de chapelle (il dirigeait une chorale). «Chez-nous, il fallait chanter tous les soirs. Après le souper, nous allions au salon et papa s'installait au piano ... », se souvient-il fièrement, le regard rempli d'une étincelle de béatitude.
À 16 ans, il commence à travailler pour être responsable de lui-même. Il achète ses habits pour le collège, paie ses études et ses sorties.
Prêtre catholique
Il est de la dernière grande vague de prêtres canadiens-français. À cette époque, la vocation presbytérale est synonyme de prestige. Dans sa classe de première année au Grand Séminaire de Montréal, ils sont 25 gars de Montréal et une centaine du Québec. Ils sont valorisés d'être séminariste et de devenir prêtre. Tous portent la soutane et sont salués sur la rue. Le prêtre fait partie de l'élite de la société. Cela est inscrit dans les mœurs.
« C'est pour cela que vous êtes devenu prêtre? », lui lance promptement, en interview, le représentant de la Revue Sainte Anne. La réponse se fait entendre aussi rapidement que la question-commentaire: « surtout pas! J'ai d'ailleurs été un des premiers à ne pas vouloir porter la soutane! »
Une histoire de soutane
Le Cardinal Paul-Émile Léger n'aimait pas tellement voir son nouveau venu sans soutane et col romain. Il n'a pas manqué de lui dire. Cependant, il a su respecter ce choix fondé sur quelques arguments valables.
Cependant, puisque le jeune abbé Jean-Guy Dubuc est brillant, président des étudiants du Grand Séminaire et un peu marginal, son supérieur et archevêque de Montréal décide de le garder bien à vue en le nommant vicaire à la cathédrale.
« Lorsque je suis allé étudier en France et en Belgique et que je suis allé à Rome pour participer au Concile Vatican II, je ne portais pas de soutane et de col romain! Le Cardinal était mal à l'aise avec cela, mais je lui ai expliqué mon point de vue. Pour moi, le prêtre déguisé, c'est le prêtre de l'ancien testament, l'homme retiré du peuple. L'homme du nouveau testament, c'est l'homme dans le peuple qui est pêcheur ou comptable et qui vit dans son milieu », explique-t-il.
En Europe
Après avoir été vicaire, aumônier de l'aviation et aumônier diocésain de la Jeunesse étudiante catholique (JEC), il part, à la suggestion de l'ordinaire du diocèse de Montréal, poursuivre sa formation académique en Europe. Durant l'année 1961-1962, il étudie à l'Institut Lumen Vitae à Bruxelles, mais cela ne convient pas à ses attentes.
Après 3 semaines, il rencontre le chanoine Philippe Delais dont l'influence est grande en Belgique puisqu'il est prêtre et sénateur au gouvernement. Il est le représentant de l'Église au gouvernement et professeur à Rome et à l'Ille. Il conseille Jean-Guy Dubuc d'aller étudier à l'Ille.
« Comme j'étais lié à Lumen Vitae, j'ai décidé de faire les deux en même temps. Tous les matins, je partais à 7h avec ma voiture pour 2 heures de route. Après mes 3 heures de cours à l'Ille, je prenais une bouchée, je rentrais et je prenais mes cours à Lumen Vitae. Le soir, j'étudiais. Le lendemain matin, je repartais. J'ai fait cela pendant une année », raconte-t-il comme un conteur de bonnes vieilles histoires.
Participation au Concile Vatican II
En 1962, à la suggestion de Paul-Émile Léger, il laisse tomber l'offre de devenir aumônier des étudiants à Paris. Il opte plutôt pour une poursuite de ses études au doctorat à l'université Grégorienne à Rome afin de suivre de près le Concile Vatican Il et se retrouver auprès du Cardinal et ses deux collaborateurs.
Ce qu'il rencontre au concile, c'est une Église contestataire, car il y avait de grandes oppositions. Les positions du Cardinal Léger et du Cardinal Wojtyla, le futur pape Jean-Paul II, n'allaient vraiment pas dans le même sens, surtout sur la notion même d’ « Église ».
«Heureusement que le Cardinal Léger était un batailleur! J'ai appris au concile qu'il est important d'affirmer ce que l'on croit et de prendre les moyens pour imposer sa volonté. Le Cardinal s'est vraiment imposé. Il a eu des interventions extrêmement importantes qui ont influencé l'Église d'aujourd'hui », commente le sympathique intellectuel.
Au concile, l'ouverture de l'Église sur le monde était la préoccupation d'un certain nombre d'évêques et de théologiens et c'était loin d'être l'opinion de plusieurs autres qui étaient encore liés à une Église extrêmement hiérarchique et extrêmement romaine, liée aux dicastères romains.
La décentralisation est apparue et, surtout, les notions « Église peuple de Dieu » et « sacerdoce au service du peuple de Dieu ». L'idée d'un sacerdoce hiérarchique et dominant devenait une chose du passé. C'est là que Jean-Guy Dubuc s'est formé à l'idée que sa vie trouve un sens dans le service.
«Heureusement que j'ai fait un doctorat. Je ne pense pas que je serais resté prêtre si je n'avais pas eu l'occasion d'approfondir ma foi parce que la théologie apprise au séminaire me rebellait. Il fallait apprendre des thèses, que nous ne comprenions pas, par cœur. Je comprends pourquoi tant de prêtres intellectuels ont décroché à cette époque: il y avait une opposition entre la foi et la raison », constate-t-il.
À Rome, il a appris à raisonner sa foi. Il a vu qu'il est possible de ne pas être en accord et d'avoir le droit de se définir comme Catholique et croyant. Il a aussi appris qu'il est possible d'être contestataire et prêtre. Tout cela l'a rassuré.
Retour au Canada
À son retour au Canada, en 1963, il devient professeur à l'Université de Montréal. Ses sujets: la catéchèse et le rapport foi et raison. Son discours devient: L'Évangile doit s'incarner dans la culture contemporaine.
À partir de 1967, tout en continuant son travail d'enseignant, le cardinal Paul-Émile Léger lui demande de devenir directeur de l'Office des communications sociales, directeur de la revue L'Église de Montréal et de fonder un bureau de presse à l'archevêché.
Culture de masse
Rapidement, il est aussi demandé pour l'animation hebdomadaire d'une heure à
la télévision de Radio-Canada, trente minutes au réseau TVA et trente minutes à CKAC 730, la radio la plus populaire de l'époque.
Pendant que des confrères religieux s'intéressent à la technique médiatique, il s'intéresse au phénomène de la culture de masse.
«J'étais très préoccupé par cette culture populaire. Je vivais dans un monde qui avait une culture et la transmission de sa culture et, par ailleurs, j'étais dans une Église qui vivait une autre culture et qui était de plus en plus repliée sur elle-même parce qu'elle n'était pas capable de transmettre sa culture à l'intérieur d'une culture de masse qui s'imposait. C'est cela qui a créé la crise que l'Église traverse au Québec. Je trouvais cela dramatique parce que, de toute son histoire, l'Église a toujours trouvé le moyen de transmettre son message: martyrs, l'empire de Constantin, les empereurs de l'époque, les cathédrales du Moyen âge, les arts de la renaissance ... » ajoute le prêtre séculier.
Pour lui, depuis 1960 et, surtout depuis 1967, l'Église est incapable de transmettre son message par la culture contemporaine. Il trouve cela regrettable.
La Presse
En 1971, à la suggestion du pasteur de son diocèse, il passe au journalisme au quotidien La Presse. En 1973, il devient éditorialiste. En 1983, éditorialiste en chef. En 1988, éditeur du quotidien La Voix de l'Est et, l'année suivante, éditeur du quotidien La Tribune. En 1993, il tire sa révérence de l'empire de Paul Desmarais.
Durant ces années, il a toujours la même préoccupation de la propagation de l'Évangile en défendant les valeurs de la vérité, de la justice, du parti pris des plus faibles et en défendant diverses situations de défense de la vie.
Il reste attaché aux Journaux Trans-Canada en signant à chaque semaine des éditoriaux qui sont publiés dans La Tribune, Le Nouvelliste et La Voix de l'Est.
Il est maintenant devenu Conseil de direction en communication. Ses clients sont les grandes entreprises et les dirigeants de notre société qui désirent insérer des valeurs humaines, sociales et spirituelles dans leurs interventions publiques. Il est aussi responsable des communications à l'Oratoire Saint-Joseph. Enfin, il est à la tête du Réseau Vision qui espère mettre en ondes une station de télévision francophone œcuménique sur le câble. La décision du CRTC se fera connaître dans les prochains jours.
Dans ses temps libres, il est membre du conseil d'administration de 10 œuvres sans but lucratif dont il assume la présidence de 5. Il trouve du temps pour la recherche et la rédaction de livres
Tant qu'il y a des projets, il y a de la vie. Tant qu'il pourra rendre service, tant qu'il vivra. Voilà un modèle de vie au service des autres.
(Revue Sainte Anne, mai 1999, page 199)
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