Qu'est-ce qu'une spiritualité trinitaire


En définissant la « Spiritualité » comme « une expérience de vie » et comme « une authentique relation interpersonnelle avec le Dieu Vivant », nous plaçons d’emblée nos discussions présentes et futures sur le plan de « réalités vécues », de « faits existentielles » dans le domaine d’une foi expérientielle (ou expérimentale).

Déjà saint Jean nous décrit clairement la nature de cette expérience de foi dans sa première épitre au chapitre quatrième : « Dieu est amour-charité. Qui demeure dans la charité demeure dans la Trinité et la Trinité demeure en lui ». Jean se fait en cela l’écho fidèle du Seigneur Jésus qui déclarait : « si quelqu’un m’aime, il gardera ma Parole. Et mon Père l’aimera. Et nous viendrons à lui et nous ferons chez lui notre demeure » (Jean 14,23). Cette affirmation confirme en la complétant ce que Jésus disait quelques instants plus tôt : « Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Et je prierai le Père, et il vous donnera un autre paraclet, pour être avec vous a jamais, l’Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit ni ne le connait. Vous, vous le connaissez parce qu’il demeure avec vous et qu’il est en vous ». (Jean 13, 15-17)

Il est intéressant de constater comment un témoin de la primitive Église, Saint Irénée, décrit l’essence même de l’expérience trinitaire, tel que nous voulons en parler à nos fidèles lecteurs : « Dans la voie de son retour vers Dieu, l’âme suit l’ordre inverse des processions divines. Au sein de la Trinité, le Père est le principe premier qui engendre son Fils; Et c’est du Père et du Fils ensemble que respire l’Esprit saint. Mais l’âme humaine est d’abord touchée par l’Esprit qui la regénère et la façonne a l’image du Fils, et c’est par le Fils, avec le Fils et dans le Fils, qu’elle a accès auprès du Père ».

Cette approche déçoit et dérange plusieurs auteurs qui préfèrent l’ordre logique et pédagogique à l’ordre théologique et pneumagogique : « Ceux-là sont fils de Dieu qui se laissent conduire par l’Esprit de Dieu » (Rom. 8,14; Gal 5,18). Mais qui sommes-nous donc pour vouloir imposer à Dieu la manière de nous conduire jusqu’à lui?

Effectivement, l’expérience concrète de la spiritualité trinitaire suit largement trois étapes successives :

1- Un abandon total et inconditionnel a la personne du Saint-Esprit, Esprit d’amour du Père et du Fils. Tant que l’Esprit de Dieu n’a pas libre accès aux plus secrètes intimités de l’esprit de l’homme, il ne peut se produire effectivement de « contact personnel et personnalisant » capable de produire un « impact transformant et spiritualisant ».

2- Sous la conduite totale de l’Esprit saint, s’ouvrir à la merveilleuse découverte de Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme sous l’opération du Saint-Esprit, afin d’en arriver à ce que saint Paul appelle la « science suréminente de la charité du Christ » dont on déplore « la hauteur, la profondeur, la largeur et la longueur ». C’est l’Esprit saint qui nous fait enfin saisir la vérité et la réalité éblouissante que Jésus est vraiment notre Seigneur et notre sauveur personnel. La découverte sensationnelle de cette vérité fondamentale entraine une réaction a chaine dont le dynamisme nous attire au centre même de la réalité chrétienne. Jésus est vraiment le Fils de Dieu, Jésus est vraiment mort est ressuscité! Jésus est vraiment MON Seigneur et mon Dieu : Jésus est le même aujourd’hui, qu’il était hier et qu’il sera sans fin! Et Jésus doit revenir dans la gloire au dernier jour.

Loin d’être une abstraction logique ou un quelconque « être de raison », Jésus est si vrai, si réel et si présent qu’il m’enflamme d’amour pour lui au point que je lui abandonne pleinement le trône de mon cœur et la seigneurie absolue de ma vie !

Or, toute cette expérience n’est pas le terme logique d’un raisonnement ou d’une thèse de théologie : c’est le résultat concret d’une rencontre personnelle avec Jésus, parfaitement Dieu, parfaitement homme qui VIT aujourd’hui avec moi et en moi, avec son Église et dans son Église, avec les hommes et dans l’humanité du 20e siècle.

La prise de conscience en profondeur que Jésus-Christ est « sauveur » et « rédempteur » fait pénétrer plus avant au sein du mystère trinitaire : On saisit mieux la relation vitale et « essentielle » (dans l’économie actuelle du salut) entre Trinité et rédemption. Cela explique l’unité profonde de la spiritualité trinitaire qui évolue tout entier de cet axe bipolaire : des hauteurs sublimes et ineffables de l’amour vivant et personnel du Père, du Fils et de l’Esprit jusqu’aux abimes les plus sordides de l’homme déchu, abandonné, mal-aimé, laissé-pour-compte, déchet et rebut de l’humanité. « DES SOMMETS AUX ABIMES AU SERVICE DE LA TRINITÉ DANS LE TÉMOIGNAGE DE LA TRINITÉ ».

3- Signes et témoins du mystère de l’amour, d’un amour personnel, engagé, rédempteur, au sein de la misère humaine, spécialement de la captivité – sociale, économique, politique, religieuse; Voilà la vie même qu’inspire et que soutient la spiritualité trinitaire : loin d’être une élaboration intellectuelle, académique ou théor
ique, c’est une vie incarnée dans la réalité concrète de l’existence humaine!

Ça vit, ça vibre, ça vivifie, ça trépide d’action et de vie tout en se nourrissant aux sources vives de la contemplation et de l’amour.

Faut-il être nécessairement un « religieux trinitaire » pour faire cette expérience spirituelle? Pas le moins du monde. Depuis un an surtout, j’ai rencontré en Amérique et en Europe des centaines de catholiques et de protestants, hommes et femmes de toutes races et de toutes conditions qui vivent sur cette longueur d’onde : TRINITÉ ET RÉDEMPTION.

La seule différence, c’est que le religieux trinitaire a fait, dans sa vie, l’option fondamentale qui orientera et capitalisera toutes ses énergies apostoliques vers l’établissement du règne social de la Trinité dans la puissance de l’Esprit saint.

Mais son désir le plus cher c’est d’accorder à son ministère toutes les âmes « trinitaires » qui vivent et vibrent comme lui de ce même idéal. D’où le besoin d’établir diverses formes d’affiliation à la grande famille trinitaire. Comme tout phénomène VITAL, la vigueur du germe garantir, en promesse, l’abondance des fruits.

Qu’il me suffise de résumer mes propos sur la spiritualité trinitaire en citant le texte de nos nouvelles constitutions.

4- « Les frères de notre ordre, en tant qu’ils y sont incorporés, se donnent à la Trinité, a un titre nouveau et particulier; » avec ferveur, en effet, nous croyons que Dieu, par sa miséricorde, nous a mis à part pour porter et diffuser le nom de la Trinité ».

En partant de cette conviction trinitaire « vivement imprégnée en eux, ils veulent « vivre continuellement dans la familiarité du Père, PAR son Fils Jésus-Christ, dans l’Esprit saint », en croissant sans cesse dans la charité envers Dieu et le prochain : ainsi faut-il que TOUTE LEUR VIE, spirituelle, liturgique, religieuse, communautaire et apostolique découle constamment de la et y trouve toujours sa rénovation.

5- « L’esprit de notre ordre, de même ses intentions, son mode de vie, procède-t-il de la CHARITÉ REDEMPTRICE (charité régénératrices, salvifique, salutaire). Nos pères, en effet, fortement émus par les dangers auxquelles la foi était en butte, gémissant aussi sur le tourment des hommes, voulurent apporter des remèdes spirituels et sociaux aux maux les plus urgents de leur époque, surtout à la captivité des chrétiens (aux mains des musulmans). Aussi, le rôle et le devoir de notre ordre, c’est de mettre tout son zèle à assister ces hommes dont la foi est entravée ou mis en péril à cause des circonstances de lieux ou de temps, principalement ceux qui sont privés de leurs droits à la liberté et à la justice, et qui sont soumis aux souffrances et aux tourments dans leur corps et dans leur âme. Afin que, libérés de ces sortes de captivité et d’esclavage, ils arrivent enfin à jouir pleinement de la glorieuse liberté des enfants de Dieu. »

Apporter à tous les hommes du monde en proie à l’injuste captivité la totale liberté que leur a librement octroyé la Trinité sainte dans et par la rédemption universelle acquise par le Précieux sang de Jésus : voilà l’essence de la vocation trinitaire : Conscience vivante et agissante de la chrétienté au cœur même de la captivité.

Vivre en relation intime, personnelle et constante avec le Père, le Fils et L’Esprit saint pour être des signes authentiques et les témoins efficaces de sa présence, de sa puissance et de son amour sur la terre des hommes, dans la réalité trépidante du monde contemporain : voilà l’essence de la spiritualité trinitaire : prise de conscience de l’amour dévorant de Dieu au cœur même de l’existence humaine.

Du vrai, du réel, du vivant, du vécu, du concret, du pratique.

De l’existentiel, de l’Emmanuel : Dieu avec nous, en nous et pour nous.

Jean-Paul Regimbal

Tiré de: Trinité Liberté, Vol.3 No.5, septembre et octobre 1970, pp.2 à 5. Revue conservée chez Bibliothèque et archives nationales du Québec (BANQ – PER120)