Le 28 juillet est la Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées

Jeannine, ma mère
Par Benoit Voyer
28 juillet 2024

En 2008, au Campus Rachel des Résidences des boulevards, sur la rue Rachel, à Montréal, je visite une vieille dame. Rapidement, elle me lance : « Mon bon monsieur! J’ai 97 ans! Les gens que j’ai aimés sont tous morts… Y reste juste moi dans mon gang! Pis en plus, je n’ai pas eu d’enfants parce que j’ai fait le choix de me consacrer entièrement à mon travail. Vous vous doutez fort bien que je n’aie plus grand-chose à faire dans ce monde. Il n’y a plus personne qui a besoin de moi ou qui va pleurer sur ma tombe! Pouvez-vous bien dire pourquoi le bon Dieu ne vient pas me chercher? Moi, je pense qu’il m’a carrément oubliée… Quand je prie, je dis souvent, comme dans un psaume que j’ai entendu à la messe : Mon Dieu, dans ma vieillesse, ne m’oublie pas…  Mais, entre vous et moi, je suis triste parce qu’il ne me répond pas! »

Je suis sans voix. J’ai devant moi une femme allumée comme j’en rencontre rarement qui se questionne sur le sens de la vie lors qu’on est dans le quatrième et le cinquième âge de la vie.

Je lui réponds : « Je ne le sais pas pourquoi il vous a oubliée... Est-ce que ce serait que vous auriez encore quelque chose à apporter ici-bas… »

Elle rétorque tout-de-go : « Ben, voyons dont! Une vieille affaire comme moi qui traine dans ce mouroir! Si au moins j’avais de la visite! Mais qui s’intéresserait à une vieille radoteuse… »

Pendant plus d’une heure nous parlons de nombreux sujets.

La dame est charmante et charmeuse. Si elle avait eu la moitié de son âge, je l’aurais draguée. En la regardant et en l’écoutant, je confirme ma théorie : Il y a des jolies femmes et il y en a des très belles. Elle fait partie de la deuxième catégorie. La beauté est quelque chose qui part du dedans de l’être… Et cette dame, malgré de nombreuses rides au visage, a touché la quasi-perfection en la matière.

Elle s’intéresse beaucoup à ce que je suis. Je fais de même.

Voyant des piles de livres sur le bureau de sa chambre, je lui m’exclame: « Vous aimez lire, on dirait! » Elle me confie être une « bouquivore ». Elle adore la littérature! « Mais ça, ce sont des livres que je dois me débarrasser. Je ne les emporterai pas de l’autre bord.  Je les ai tous lus! » Et elle se transforme en chroniqueuse littéraire me racontant ses meilleures lectures et me recommandant ses auteurs favoris.

Le temps file. Il passe vite, vraiment trop vite…

Je sursaute en voyant l’heure. Ben voyons donc!

Pour tenter de clore notre échange, je lui lance : « Moi, aujourd’hui, je suis vraiment content d’être passé à la résidence et, surtout, d’avoir jasé avec vous… Je suis sûr que vous avez encore beaucoup à faire ici-bas. Vous savez, je vais me souvenir très, très, très longtemps de notre conversation. Grâce à vous, je repars le cœur et la tête plein de belles nouvelles idées ».

Elle est visiblement étonnée de ce que je lui dis, mais ses yeux brillent. Elle me sourit.

Et j’ajoute : « J’aimerais ça vous présenter un ami. Je viendrai vous le présenter dans quelques jours. Il est dans la cinquantaine. Sa santé n’est pas très bonne. Il ne peut plus travailler et il sent bien seul. Il a besoin de sortir de l’isolement. Accepteriez-vous de le rencontrer? » Elle accepte.

Je me lève : « Avant de partir, est-ce que je peux vous donner deux baisers sur la joue et un câlin? ». Elle ne se fait pas prier. Elle s’avance vers moi en disant : « Y a longtemps qu’un jeune homme m’a embrassée! » Dans mes bras, elle s’étreint fortement. Je sens son manque de tendresse.

Deux jours plus tard, je lui présente Alain. Charmé tout autant que moi, il se met à la visiter une à deux fois par semaine. Pendant près de trois ans, elle a animé sa vie et lui la sienne en la traitant comme si c’était sa vieille mère et elle le fils qu’elle n’a pas eu.

Le 28 juillet est la Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées. Celle-ci nous rappelle que la solitude est l'amère compagne de vie d’un très grand nombre de personnes âgées qui, trop souvent, sont les victimes de la culture silencieuse, mais bien réelle, du rejet.

Je vous lance un défi aujourd’hui : Prendre 10 à 15 minutes pour visiter une personne âgée. Les « vieux » ont encore besoin de nous.

Et si vous habitez la municipalité de Granby, en Estrie, et que vous croisez ma mère en train de prendre une de ses marches du jour, n’hésitez pas à vous arrêter pour échanger avec elle. Elle a une belle capacité d’écoute et a plein de souvenirs à raconter. Sa mémoire vous ramènera assurément au temps de sa jeunesse au Bas Saint-Laurent, dans le petit village de Mont-Carmel, dans l’arrière-pays du Kamouraska ou elle est née, il y a plus de 90 ans.