SOCIÉTÉ: Nous travaillons de moins en moins


Par Benoît Voyer

8 novembre 2025

Le travail, au sens traditionnel du mot, tend à disparaître. Nous besognons de moins en moins. «Pourquoi continuer à appeler de ce nom cette occupation qui demande de nous une présence régulière, bientôt facultative d'ailleurs, en un lieu collectif où se tiennent des réunions et des échanges de messages et où s'accumulent des papiers qu'il faut remplir sous peine de fautes juridiques ou d'exclusion sociale?» questionne le philosophe Michel Serres, ancien membre de l'Académie française, un des responsables de l'acceptation des nouveaux mots de la langue française

Son interrogation se fonde sur les critères qui, selon lui, donnent du sens au mot travail.

Cinq sens du mot travail
Le travail est d'abord une force en déplacement. Traditionnellement, travailler voulait dire: creuser, hisser et frapper.

Il implique une lutte contre l'entropie, contre l'absence de l'espoir, c'est-à-dire qu'il va à l'encontre de la nature humaine.

Il produit des outils qui ont une fin. Il y a des lunes, l'homme taillait du silex pour chasser. Tailler avait une finalité comme le reste des gestes qu'il accomplissait.

«Le travail demande un emploi du temps défini pour déplacer des forces, lutter contre l'entropie croissante, l'absence de l'effort, et, quelquefois, pour façonner des objets. Il demande donc une certaine souffrance», dit Michel Serres.

Enfin, il suppose d'être à l'œuvre.

Suivant la logique de ces cinq sens, jadis l'humain travaillait. La majorité des métiers qui impliquent ces éléments sont disparus ou sont sur le point de ne plus faire partie du paysage.

Qui aurait cru! Des femmes au volant ...
«Je me souviens, […] combien conduire un poids lourd demandait de la force et du courage, car l'inertie de la cargaison l'emportait quelquefois sur les capacités de la machine au freinage et à l'entraînement sur des chemins en relief. Aujourd'hui, les commandes assistées demandent beaucoup moins de puissance. Il faut juste de l'habilité. Qui aurait cru, lorsque j'étais jeune, que des femmes piloteraient des monstres de plus de cinquante tonnes!», raconte l'homme aux longs sourcils blancs.

Aujourd'hui, les grues et les outillages mécaniques effectuent le travail à leur place. Quelle force déplace le journalier contemporain? Il produit toujours «autant d'énergie, mais seulement en salle de conditionnement physique!», blanguait-t-l.

Jadis et naguère, l'humain définissait sa fierté et son honneur en travaillant. Si le travail disparaît, en quels lieux l'humain retrouvera-t-il un sens à ce qu'il réalise au fil des jours?

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Cet article est une mise a jour de : Benoit Voyer. « Nous travaillons de moins en moins », Revue Sainte Anne, Septembre 2001, page 358