LE PASSÉ DU PRÉSENT: Un médecin de l'âme qui ressemble au Capitaine Haddock

Jean Montbourquette


Un médecin de l'âme qui ressemble au Capitaine Haddock

«Mille sabords, mais c'est le capitaine Haddock !», me suis-je dit lorsque j'ai entrevu le visage du père Jean Monbourquette, o.m.i., pour la première fois. Il suffit de lui enlever ses lunettes qui lui donnent un petit air sérieux et de le vêtir d'une casquette de matelot et du costume d'usage noir et bleu pour qu'il en devienne la réplique vivante. Un verre de whisky et je me serais vraiment cru au pays de Tintin, Milou et du professeur Tournesol.

Sa voix est basse à la Georges Moustaki. Son apparence ? Rien des «starlettes» que je vois chaque jour à la télévision ! Pourtant, il est un grand auteur à succès ... Le jour de l'interview - comme à l'habitude, j'imagine ! -, il était habillé d'une chemise à carreaux et d'un pantalon très ordinaire.

Son tempérament n'a rien de celui du colérique capitaine Haddock. Il est d'une belle douceur et d'une très grande simplicité intérieure. Il ne se prend pas pour un autre le «vieux prof» de l'Université Saint-Paul d'Ottawa, originaire de la paroisse Saint-Athanase d'Iberville, dans le diocèse de Saint-Hyacinthe

Vieux ? Ce sont ses patrons de l'Université qui viennent de lui rappeler son âge ! Il aura 65 ans, l'an prochain, et il devra prendre sa retraite de l'enseignement. Il se demande bien ce qu'il fera, car c'est son monde, sa passion.

Son dernier ouvrage, «Sortir de l'ombre», a été écrit dans le but d'apprendre à s'apprivoiser en cette grande période de changements dans sa vie. En aidant les autres, il s'aide lui-même. C'est très brillant comme démarche !

D'ailleurs, chaque livre qu'il rédige devient un "succès story ". Les titres sont évocateurs de ses préoccupations et de son cheminement intime, car chacun prend sa source d'un élément de son existence qu'il veut approfondir : «Comment pardonner ?», «Aimer, perdre et grandir : l'art de transformer une perte en gain», «Dans l'épreuve ... grandir», «Je suis aimable, je suis capable : parcours sur l'estime et l'affirmation de soi», «Mourir en vie ! Le temps précieux de la vie», etc. ou d'une problématique commune qu'il rencontre souvent lors de consultations : «L'ABC de la communication familiale», «Groupe d'entraide pour personne en deuil : comment l'organiser et le diriger», etc.

«Vendre jusqu'à 40,000, 50,000, 100,000 exemplaires d'un petit traité, ça doit être payant ?» Elle est bien personnelle cette question de l'argent et des redevances, mais j'ai osé ... avec un brin d'hésitation. Je croyais bien qu'il s'objecterait à répondre. «Des années, j'ai remis - avec mon salaire de l'université et les profits des livres - jusqu'à 45 000 $ à ma communauté», lance-t-il pour m'épater. «Vous devez être très fier ?», lui ai-je lancé pour le provoquer. «Pas mal !» m'a-t-il répondu sur le même ton, le sourire fendu jusqu'aux oreilles.

La modestie l'a vite rattrapé. Il n'aime pas se flatter d'orgueil avec cela. Son salaire est remis à sa communauté, les Oblats de Marie Immaculée. Il se contente de peu pour vivre.

Il insiste pour dire que son succès, il le doit à sa congrégation, car elle lui permet de se libérer pour être entièrement au service des autres : pas de linge à laver, pas de ménage à faire, pas de repas à préparer, pas de comptes à gérer, etc. De plus, ses coûteuses études universitaires (BAC en éducation, licence en théologie et doctorat en psychologie), ce sont les Oblats de Marie Immaculée qui ont payé pour cela. Son succès est donc l'affaire d'une équipe.

«Je sais que si je n'avais pas eu Proteau, je ne serais pas là !» lance-t-il. Ce confrère prête oblat, 78 ans, est son directeur spirituel. Celui-ci corrige et apporte la clarté aux livres.

Une communauté riche ? Il ne s'en cache pas. Cependant, il explique que le groupe religieux donne de grosses contributions financières aux œuvres de charité et pour soutenir les missions un peu partout dans le monde, dont celles des diocèses du Nord canadien. On parle de plusieurs millions de dollars. La richesse est partagée.

Prête ou psychologue ?
Se considère-t-il prête ou psychologue ?

Il n'en fait pas de distinction : «Si tu apportes ton salut, tu fais comme Jésus-Christ ! Tu affirmes par ta présence, par ta petite présence, tes petits moyens, que le Royaume de Dieu est arrivé».

Il poursuit : «Lorsque j'ai demandé à mon supérieur de retourner à l'Université pour étudier en psychologie, à la suite de l'incendie de l'église Notre-Dame de Hull où j'exerçais mon ministère, il a eu l'impression que je voulais sortir de la communauté, parce que tous les Oblats qui ont étudié la psycho sont sortis ! Je lui ai répondu à la blague : "Je n'y avais pas pensé, c'est une bonne idée ! Ce que je voulais, c'est de prendre soin des gens. D'ailleurs, être prêtre, n'est-ce pas être médecin des âmes ? Je voulais être avec les gens, les aider. Je voulais apporter le salut. Est-ce que tu sais que la racine hébraïque de ce mot veut dire "guérison" ? Je voulais donc apporter une guérison aux gens comme signe du royaume ».

Il admet qu'il y a un danger pour la foi chrétienne dans l'étude de la psychologie. Il explique que celle-ci s'est développée à l'encontre de la religion. Freud affirmait que la religion est la projection d'un esprit infantile qui a un besoin de retrouver son père. Pour bien des psychologues qui partagent cette école de pensée, il n'est pas possible d'avoir une bonne santé mentale et être religieux au fond de soi.

«Pour moi, c'est l'inverse : Tu ne peux pas avoir une vie spirituelle équilibrée si ta psychologie est toute de travers ! Si tu es trop complexé ! À ce moment, tu tombes dans l'illusion spirituelle. Pour moi, l'ethnologie de la psychologie est l'étude du psychisme de l'âme humaine. Alors, le vrai sens de la science psychologique est l'étude de l'âme humaine et comment on l'aide à guérir. Je ne peux pas traiter un problème psychologique quand je sens qu'à l'arrière, il y a des échos d'une spiritualité qui est impure», explique le «prof auteur».

Sa souffrance
Qu'est-ce qui peut bien faire souffrir un prêtre psychologue ? Il doit bien porter un mal quotidien ? Il me semble que ce n'est pas parce qu'on est «médecin de l'âme» qu'on soit nécessairement parfait ! «Mes grandes souffrances, je les ai étudiées et j'en ai fait des volumes ... », a-t-il commencé par répondre, un peu embêté par une telle question.

Après quelques secondes de silence, il tente une autre réponse : «Je ne suis pas un type qui s'apitoie sur sa souffrance. Je suis plutôt porté à me sortir du pétrin que de tolérer une situation de souffrances parce que pour moi, il y a tellement de belles choses dans la vie. J'aime la vie !»

En constatant que sa réponse ne me satisfaisait pas, il finit par confesser : «Ne pas avoir d'enfant ... Ne pas avoir de femme ... Ne pas avoir quelqu'un pour me recevoir après mes journées de travail ... La solitude ... »

Projets pour la retraite
Pour sa retraite qu'il prendra l'an prochain, il a des idées. Il songe, notamment, à fonder un institut du pardon, c'est à dire un endroit pour apprendre à pardonner, spécialement destiné aux couples.

Il se pourrait aussi qu'il donne un cours ou deux à l'Université Saint-Paul. «Il faudrait que j'apprenne à aller à la pêche plus souvent, à prendre des journées ... J'ai de la difficulté à arrêter ... », conclut-il

«Pêcher ... » ça ressemble vraiment au capitaine Haddock. Qu'importe ... Jean Monbourquette est un prêtre formidable. Le reste, je m'en "fish " !

Benoît Voyer

(Revue Sainte Anne, octobre 1998, page 391)