André Dumont, un prêtre thérapeute en thérapie

Il était une fois dans les médias...


Par Benoit Voyer (2005)

Avec le clinicien Sylvain Proulx, André Dumont a fait l’élaboration de 60 ateliers thérapeutiques à couleur holistique, c’est-à-dire avec une approche de la personne, incluant la spiritualité. En 2002, il publiait, en collaboration avec Alphonse Nadeau, le livre Trajectoire d’un géant - Ubald Villeneuve. L’homme qui a changé notre regard sur la toxicomanie (Éditions Anne Sigier). En 2004, l’Exode a reçu la certification du ministère de la Santé du Québec pour ses trois pavillons. André Dumont est prêtre catholique et membre de la congrégation des Oblats de Marie Immaculée. Il est originaire du secteur de Cap-de-la-Madeleine, à Trois-Rivières.


Article paru en janvier 2000

Un prêtre thérapeute en thérapie

Il a bien changé, André Dumont! Je ne l’avais pas rencontré depuis 4 ans. C’était à l’occasion d’une interview pour un autre magazine. Fidélité oblige, je n’ai pu m’empêcher de téléphoner pour savoir où il en était dans sa vie.

Son visage m’a d’abord intrigué. Qu’est-ce qui a bien pu changer autant? J’ai pensé à la coupe de sa moustache et a ses quelques rides de plus - après tout, il vient d’avoir 60 ans! -, mais ce n’était pas ça.

Nous nous sommes assis l’un près de l’autre dans l’intimité du sous-sol de la maison l’Exode qu’il a fondée, rue Létourneux, à quelques pas du Stade olympique, à Montréal. C’est en scrutant son regard que j’ai enfin compris ce qu’il y avait de transformé en lui: son masque est tombé. “L’ex-star” et prêtre du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap, à Trois-Rivières, et auteur-compositeur de célèbres chansons religieuses qui ont fait le tour de la planète comme “Jésus est vivant”, est descendu de son podium. Il a compris que la montée spirituelle est une descente au fond de soi.

Quel regard! Quelle transparence! Beaucoup moins pincé qu’avant, plus ouvert, plus direct... Dieu est passé et lui a donné la grâce de la véracité. “Je suis en thérapie depuis neuf ans! C’est le prix à payer! Si tu prêches d’être vrai et authentique, ils exigent aussi cela de toi! Travailler sur l’empathie te rend franchement plus pauvre! J’ai pas toutes les réponses et solutions! Avant, j’avais un rôle sur le podium, mais après 20 ans on a goûté tout ce que ça veut dire! Ça donne quoi? Il y a tant de gens qui souffrent et qui ont besoin de quelqu’un en bas du podium qui va simplement s’asseoir et écouter sans juger. Il ne faut pas essayer de les amener à la messe ou au sacrement du pardon dans la demi-heure qui suit une première rencontre! A l’Exode, la thérapie sera la première véritable confession qu’ils feront”, lance-t-il.

Ce qu’il a trouvé le plus difficile au début de cette mission avec les “poqués” de la vie, c’est de ne recevoir que très rarement un merci. Son côté animateur demandait toujours une réaction: “ Ça va? C’est l’fun?” Il a dû faire face à son besoin d’approbation des autres.

“Ça a été confrontant pour moi d’arriver à dire: je fais juste ce que j’ai à faire, je fais ma mission et je n’attends pas la récolte, c’est gratuit”, ajoute André Dumont.

Même s’il est thérapeute, il est aussi un pauvre qui a besoin de l’aide des autres. “C’est quand on exprime ses pauvretés qu’on peut se faire aimer et apprécier des autres. Souvent, les gens disent: “oh! S’ils voyaient telle ou telle faille en moi!” Ça sert à quoi de se cacher? De toute façon, chaque faille en soi se voit. Plus tu joues à la cacher, plus elle parait! Puisque tu ne l’avoues pas, les gens s’enfuient, ils foutent le camp!”, confie-t-il. C’est toute une leçon que la vie lui a apprise!

Au risque d’en faire réagir certains, il va plus loin: “Le prêtre doit être atteignable! Être capable de pleurer! En thérapie, ils m’ont fait pleurer! Dans le monde clérical, il y a très souvent une forme de censure. Il faut toujours être un modèle. Le défaut majeur d’une certaine Église à laquelle je ne veux plus appartenir est le perfectionnisme. C’est impossible! On ne peut pas être parfaits! On est des êtres humains faillibles et imparfaits par définition. Lorsque Jésus nous dit: “Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait”, il veut juste nous dire: “Monte! Sois en marche! Évolue!”

Ouf! Pas reposant le vieux! C’est tout un cadeau qu’il vient de recevoir! Il n’est plus capable de se taire! La vérité rend libre.

La plus belle chose qu’il a reçue en neuf ans aura été d’apprendre à exprimer ses émotions. Et de faire d’une certaine façon l’expérience d’être papa de toxicomanes avec leurs espoirs, leurs échecs... leurs trahisons. “L’expérience de papa était celle qui me manquait. Mais maintenant, je peux dire aux parents: je vous comprends”, dit-il.

De l’exil à l’Exode
C’est un peu après 1984 que commence l’expérience qui conduira l’initiateur des messes rythmées à la fin des années 1960 - surnommées “messe à gogo” - à fonder cet organisme qui prend de plus en plus de place dans l’univers montréalais.

Sentant que la béatification du père Frédéric serait proche, il propose à l’équipe du Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap d’écrire un livre sur ce personnage: “Le Gout de Dieu.

Après avoir lu les lettres de Frédéric Jansoonne, qu’il a dû sortir de la poussière, il remarque des traits forts chez le saint homme. Un de ceux-ci est d’aller vers les gens qui portent des souffrances intérieures. Une similitude qui se retrouve chez saint Eugène de Mazenod, le fondateur des Oblats de Marie Immaculée.

Au moment de rédiger le livre, il reçoit un appel téléphonique, un cri de détresse d’un jeune, Pierre Forest, de la maison Mélaric, à Pointe-du-lac. Ce dernier lui explique qu’un prêtre qui célèbre l’eucharistie à leur centre ne peut plus venir et que les gars trouvent la situation difficile.

En partant, le prêtre a dit aux dirigeants du centre: “Demandez à André Dumont, il est au Sanctuaire!” “La direction de Mélaric a dit à ce jeune, qui est décédé deux ans plus tard d’une overdose, de trouver cet étrange personnage. Ces gens ne me connaissaient pas, car ils ne fréquentaient pas le Sanctuaire”, me raconte-t-il.

Le religieux le remercie pour l’offre qui lui est faite et répond que, pour l’instant, il est débordé. Le jeunes Forest revient à la charge quelques jours plus tard. André Dumont donne la même réponse. “La troisième fois, il a été wise, il m’a dit: Je sais que tu vas me dire non, alors ne me réponds pas. J’aimerais juste que tu viennes nous visiter, juste une petite fois pour que tu saches davantage qui on est. Après tu pourras dire non.” C’est là qu’il m’a eu!” se souvient-t-il en souriant.

Lors de sa visite du 3 septembre 1987, il est touché Parmi ses surprises, un jeune lui demande un gros “pardon de Dieu”. Je dois t’avouer que ça valait le déplacement!” lance-t-il. Les jeunes étaient enchantés par ce prêtre a l’allure un peu rock’n roll. Pendant 3 ans, il fréquente ce centre. C’est pour lui comme un noviciat.

En 1990, il laisse sa ville natale ou il est fort connu, Trois-Rivières, et va s’établir anonymement à Montréal pour fonder l’Exode, un centre de réhabilitation, pour faire suite aux démarches thérapeutique. Pour le père Dumont, le choix du site de la première maison est vraiment providentiel. C’est sa communauté religieuse qui lui offre le 2575, rue Létourneux, dans le quartier le plus chaud de Montréal. Il ne pouvait pas y avoir meilleur endroit.

En août 1995, les Sœurs de la Providence se joignent à lui. Elles lancent la maison de réhabilitation pour femmes, rue Dandurand. La maison est maintenant située juste en face de celle des hommes.

Le 15 mai 1999, c’est au tour de la maison de thérapie Genesis de l’Exode a Saint-Anicet d’ouvrir ses portes. Ancien domaine des Sœurs de Sainte-Croix qui comprend cinq millions de pieds carrés, Genesis offre une thérapie pour se sortir de toutes formes de dépendances, dont l’alcoolisme et la toxicomanie. Le programme thérapeutique de cinq mois comprend quatre étapes.

André Dumont est un homme de projets, un bâtisseur. Il nourrit encore un rêve pour l’Exode: des logements supervisés pour compléter la démarche de réinsertion. Il cherche de généreux donateurs qui permettront à l’organisme d’acheter un immeuble contenant uniquement des logements d’une pièce et demie.

C’est vrai qu’il a changé André Dumont. Le prêtre thérapeute a été “thérapeutisé”. Il reste le même bonhomme que j’ai connu, sauf que maintenant ce qu’il dégage parle plus que ce qu’il dit. Une lumière a jailli dans les ténèbres de ses yeux.

Tiré du livre « Les Témoins de l’essentiel », éditions Logiques, une division de Québecor, 2005, pp. 39 à 43. Article paru initialement dans la Revue Sainte Anne. Le livre est conservé chez Bibliothèque et Archives nationales du Québec, a Montréal (BANQ 204.4 V975t 2005).